Pour l’historien Jean-Christophe Vinel, « par nature, le conservatisme américain a toujours fabriqué des compromis visant à contenir les tensions importantes entre ses différentes factions » (Photo: Donald Trump sur l'écran video géant de la Convention Nationale Républicaine de Cleveland, Ohio). | Darcy Padilla/ VU pour Le Monde

Des intellectuels américains et français manifestent leur inquiétude après la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine. L’écrivain et essayiste américain Paul Berman parle « d’effondrement » de toutes les institutions américaines. « Aucune crapule ni aucun charlatan ne s’est jamais hissé à la tête de l’un des principaux partis, ni ne s’est frayé un chemin jusqu’à la Maison Blanche. Des idiots, oui – il y en a qui sont parvenus à la Maison Blanche (…). Trump est sans précédent, et c’est pour cela que personne dans la classe politique n’a prédit qu’il réussirait ». Ce qui le conduit à s’interroger, sans trouver de réponse, sur l’avenir des Etats-Unis et des conséquences pour le monde.

Vient le temps des explications. Pour l’écrivain Thomas Chatterton Williams, le « ralliement désastreux à un représentant de commerce incompétent », est « une réaction de rejet des huit années de présidence Obama, comme si un grand nombre d’Américains blancs des deux sexes, après avoir vu la Maison Blanche occupée par une famille noire, cherchait à dévaloriser la fonction présidentielle jusqu’à la réduire à néant ».

Pour l’historien Denis Lacorne, Trump a bénéficié de la faible mobilisation d’une partie de l’électorat, en particulier hispanique et afro-américain. Il a su canaliser la colère, les angoisses et les peurs « des ouvriers blancs, peu éduqués, du Sud et surtout de la « Rust Belt » (« ceinture de la rouille »), et de toutes les victimes de la mondialisation en leur promettant d’édifier une Amérique forteresse, fondée sur la renégociation de tous les grands accords de libre-échange signés par les Etats-Unis ». Denis Lacorne insiste sur le levier du racisme utilisé par Trump relevant dans ses attaques « d’évidents relents d’antisémitisme » dans ses derniers spots publicitaires.

Parallèle avec la France

Dressant un parallèle avec la France, pour lui, cette victoire – qui « s’inscrit dans le mouvement plus vaste et plus puissant qui se propage à tout l’Occident et que l’on a vu à l’œuvre cet été avec le Brexit » – rend possible celle de Marine Le Pen à l’Elysée en 2017. Il est rejoint sur ce point par Seyla Benhabib, professeure de sciences politiques et de philosophie à l’université Yale (Connecticut), qui ne serait pas surprise de possibles effets sur l’élection en France, avec Marine Le Pen.

Alors que Seyla Benhabib s’inquiète de voir le Sénat, la Chambre des représentants et la présidence dans les mains d’un seul parti, l’historien spécialiste des Etats-Unis Jean-Christophe Vinel reste confiant dans l’avenir : « La collaboration avec le nouveau titulaire de l’exécutif pourrait être plus facile à envisager qu’une difficile traversée du désert, explique-t-il. Par nature, le conservatisme américain a toujours fabriqué des compromis visant à contenir les tensions importantes entre ses différentes factions ». De plus, l’abrogation de l’Affordable Care Act [loi sur la protection des patients et les soins abordables, promulguée par Barack Obama en 2010], ou les questions concernant la législation sur l’immigration pourraient rapprocher Trump des élites républicaines pour un temps.

A lire sur le sujet :

« L’Amérique face à un effondrement de son intelligentsia », par Paul Berman, écrivain et essayiste américain. Les institutions, comme la presse, les universités, les syndicats, qui pesaient sur l’opinion, n’exercent plus la même autorité aux Etats-Unis. Leur perte de prestige a préparé la victoire de Donald Trump.

L’élection américaine : Après les Etats-Unis, la France ?, par Thomas Chatterton Williams, écrivain et chroniqueur américain, vivant actuellement à Paris où il est rédacteur en chef adjoint à l’Holiday et au Purple Fashion Magazine. Réaction adressée par les Blancs au mouvement Black Lives Matter, la victoire de Donald Trump rend possible celle de Marine Le Pen à l’Elysée en 2017.

L’élection américaine : Un compromis envisageable avec l’appareil du Parti républicain, par Jean-Christian Vinel, historien des Etats-Unis. Donald Trump a eu beau diviser le camp conservateur, l’abrogation de l’Obamacare et la législation sur l’immigration pourraient le réunifier, explique l’historien.

– Entretien avec Seyla Benhabib, professeure de sciences politiques et de philosophie à l’université Yale (Connecticut) : « Plus de contre-pouvoir pour arrêter Trump », propos recueillis Par Céline Henne (Collaboratrice du « Monde des livres ») et Marc-Olivier Bherer. Plus que l’élection de Donald Trump, la philosophe redoute de voir sa présidence débuter avec un Congrès qui lui sera acquis, puisque aux mains des républicains. Rien ne viendra faire contrepoids.

Le candidat Trump a réactivé la xénophobie des années 1900-1920, par Denis Lacorne (Directeur de recherche au CERI-Sciences Po). Le succès paradoxal du milliardaire dans l’électorat ouvrier replace sa victoire dans une tradition américaine : ethniciser les conflits de classe pour mieux s’en débarrasser, selon l’historien Denis Lacorne.