En cinquante ans de carrière phonographique, Leonard Cohen a enregistré quatorze albums en studio auxquels il faut ajouter huit disques produits à partir de concerts. Tous sont aujourd’hui disponibles chez Columbia Records.

  • Songs Of Leonard Cohen (1967)

COLUMBIA RECORDS/SONY MUSIC

Le premier album de Leonard Cohen, publié en décembre 1967, débute par l’une des chansons les plus connues du musicien, Suzanne. Elle a déjà été enregistrée par la chanteuse Judy Collins sur son album In My Life sorti en novembre 1966. Ce qui a attiré l’attention du producteur John Hammond, à l’origine des carrières de Billie Holiday, Aretha Franklin ou Bob Dylan. Guitare acoustique, voix grave, Cohen est accompagné de chœurs féminins, de cordes lointaines. L’autre chanson qui a beaucoup fait pour la réputation de Cohen s’intitule So Long Marianne. Un violon country, une rythmique déliée, des chœurs à nouveau y apportent une sorte d’allégresse. Autres futurs classiques de Cohen, Master Song, plus aride qui valorise le jeu en tournoiement du guitariste, Sisters of Mercy, avec clochettes et mandoline, ou la déchirante et délicate Hey, That’s No Way To Say Goodbye.

  • Songs From A Room (1969)

Direction Nashville (Tennessee), la capitale de la country, pour ce deuxième album, que Columbia Records commercialise en avril 1969. Aux manettes de la production, Bob Johnston, qui a travaillé avec Dylan, Johnny Cash, ou Simon & Garfunkel. Là aussi l’album, que son créateur présentera souvent comme plus austère que le précédent, débute par Bird on the Wire, qui va devenir l’un de ses thèmes fétiches lors des concerts. La voix de Cohen s’aventure dans des courbes mélodiques, plus chanteur ici que dans le débit de conteur qui caractérise nombre de ses enregistrements des premières années. Une poignée de musiciens est à son service, dont le guitariste Ron Cornelius et le multi-instrumentiste Charlie Daniels. Le recours aux chœurs féminins n’intervient que sur une chanson, The Partisan, chantée en anglais et en français, évocation de la Résistance à partir de La Complainte du Partisan d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie.

  • Songs of Love And Hate (1971)

COLUMBIA RECORDS/SONY MUSIC

A nouveau, c’est à Nashville que les « chansons d’amour et de haine » du troisième album de Leonard Cohen sont gravées. Avec une base formée par la même équipe de musiciens que Songs From A Room, et le retour d’arrangements de cordes. Vocalement, Cohen se montre souvent sous son aspect le plus lyrique, il a aussi cette manière un peu ironique (Diamonds In The Mine) qui viendra de temps à autre dans d’autres interprétations. On trouve dans Songs of Love And Hate, sorti en mars 1971, trois sommets. En ouverture, Avalanche, emporté par l’écriture des cordes de Paul Buckmaster, qui a précédemment travaillé pour David Bowie (Space Oddity) et Elton John. La douceur de Famous Blue Raincoat – cordes et chœurs en retrait, voix très expressive et dépressive. Et en conclusion de l’album Joan Of Arc, là aussi avec des arrangements soignés, des vents signés Buckmaster, les chœurs féminins en osmose avec la voix de Cohen. Un extrait du concert au festival de l’île de Wight, le 31 août 1970, Sing Another Song, Boys figure aussi dans ce disque.

  • New Skin For The Old Ceremony (1974)

Premier album sur la pochette duquel Leonard Cohen ne figure pas – un dessin représentant un homme et une femme nus, ailés, couronnés et enlacés dans les airs –, New Skin For The Old Ceremony a été pensé par son jeune producteur John Lissauer (il a fait ses premiers pas avec Al Jarreau, le Montréalais Lewis Furey et The Manhattan Transfer) comme un écrin destiné à bien faire entendre la voix de Leonard Cohen. Elle est de fait mixée en avant, même sur les chansons les plus orchestrées. Il y a du monde sur cet album, avec claviériste, tromboniste, deux sections rythmiques, clarinette, banjo, des cordes. Si plusieurs thèmes continuent de relever plus de l’épure du folk, l’album, publié en août 1974, est musicalement assez varié, avec des passages vers le jazz (Why Don’t You Try), le blues (I Tried To Leave You), presque la pop (Lover Lover Lover), parfois dans un va-et-vient entre l’accompagnement simple à la guitare et des phrases aux cordes comme dans Field Commander Cohen. Triste et cruelle, Chelsea Hotel # 2 revient sur la nuit passée par le séducteur avec Janis Joplin, morte quatre ans plus tôt.

  • Death Of A Ladies’ Man (1977)

COLUMBIA RECORDS/SONY MUSIC

Pour certains, Death Of A Ladies’ Man est un naufrage, une rencontre qui n’aurait pas dû avoir lieu entre la démesure du producteur Phil Spector et l’introversion de Leonard Cohen. Pour d’autres, ce disque unique dans la discographie du Canadien est l’un de ses plus excitants justement parce qu’il repose sur cette incompatibilité, que Cohen ne sonne pas comme Cohen (sa voix avec de la réverbération est parfois méconnaissable comme dans la superbe chanson titre Death Of A Ladies’ Man, qui s’étend sur plus de 9 minutes) et parce qu’il est avant tout un disque de Spector – comme tous les enregistrements de l’inventeur du « mur de son ». Une cinquantaine de musiciens participent, avec doublement, triplement voire plus des différentes sections instrumentales, trois studios sont utilisés, dont le sanctuaire de Spector, le Gold Star de Los Angeles. Cela reste le grand disque pop de Cohen (écouter True Love Leaves No Traces, Memories, I Left a Woman Waiting…), qui à sa sortie, en novembre 1977 ne s’y reconnaît pas – et rétrospectivement le sentait durant un enregistrement qui s’est fait dans des débordements de consommation alcoolique. Comme quoi les créateurs ne sont pas toujours leurs meilleurs critiques.

  • Recent Songs (1979)

Après les envolées spectoriennes, Cohen redescend sur terre et en partie aux origines de sa culture folk. Pour autant, il n’opte pas pour l’aridité, avec seulement une guitare et sa voix. Recent Songs est aussi un voyage musical vers des sonorités, des inspirations de ce qui ne s’appelle pas encore, lors de sa publication en septembre 1979, les « musiques du monde ». On y entend du oud oriental, des violons d’Europe de l’Est, une formation mexicaine, des traces de musique traditionnelle grecque, possible souvenir de son séjour dans l’île d’Hydra dans les années 1960. Parmi les musiciens, le claviériste et saxophoniste canadien Garth Hudson du groupe The Band. L’album demeure l’un des moins connus de Cohen. Chansons à retenir, The Traitor, Un Canadien errant, traditionnel que Cohen chante en franco-canadien sur un arrangement mariachi, ou The Gypsy’s Wife.

  • Various Positions (1984)

COLUMBIA RECORDS/SONY MUSIC

Cinq ans séparent Recent Songs et Various Positions, qui paraît fin décembre 1984 au Canada et en février 1985 dans le reste du monde. Ce septième album studio marque le retour du producteur John Lissauer, dix ans après New Skin For The Old Ceremony. Il intervient majoritairement comme musicien avec divers claviers, parfois des sons synthétiques et des séquences rythmiques, à une époque où la technologie des machines n’est pas une copie toujours exacte des instruments traditionnels. Ce qui donne par moments un air assez daté (Dance Me To The End of Love, The Law) à cette entrée de Cohen dans les années 1980. Vocalement posé, le chanteur assume son timbre grave et quelques errements avec la justesse. Au cœur de l’album, se niche une autre des chansons les plus célèbres de Cohen, Hallelujah, qui donnera lieu à plus de 300 reprises. Pour l’anecdote Columbia Records, doutant du potentiel commercial du disque, décida de ne pas le publier aux Etats-Unis sur le label de la maison mère, avant de le réintégrer à son catalogue quelques années plus tard.

  • I’m Your Man (1988)

Musicalement, l’évolution vers des sons synthétiques est encore plus marquée en février 1988 dans I’m Your Man que dans l’album précédent. Et même quand ce sont des instruments traditionnels qui sont employés, ils pâtissent d’un son années 1980 déjà périmé à l’époque de la parution du disque, particulièrement déplaisant (la batterie de Vinnie Colauita). A la production, outre Leonard Cohen, trois autres intervenants, Roscoe Beck, Jean-Michel Reusser et Michel Robidoux. Si les chansons First We Take Manhattan ou Everybody Knows sortent à peu près intactes de ce traitement, surtout parce que leur ligne mélodique est accrocheuse, le reste de l’album est musicalement moins convaincant : Ain’t No Cure For Love, avec solo de saxophone criard, I’m Your Man, et des sons de synthétiseurs chargés en vibrato, Jazz Police kitsch pour son ambiance film noir avec mécanique rythmique et des chœurs angéliques (ou alors c’est de l’humour)…

  • The Future (1992)

Avec ses chansons qui s’étirent dans la quasi-totalité des cas entre 6 et 8 minutes, une base instrumentale composée à partir de programmation (cela s’entend même lorsque des instrumentistes viennent en superposition), des excès choraux, The Future n’est pas de bon augure pour les années 1990. Ce disque globalement oubliable, publié en novembre 1992, est surtout sauvé par Anthem, avec un bel équilibre de rythmique fluide et de cordes en contrechant et par Democracy, pour son impulsion.

  • Ten New Songs (2001)

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A la fin des années 1970, Leonard Cohen avait proposé ses Recent Songs. A l’entrée dans le troisième millénaire, il reste tout aussi factuel dans le titre de son nouvel album, le premier en dix ans : Ten New Songs. Dix nouvelles chansons, co-écrites avec la chanteuse Sharon Robinson, qui a longtemps été sa choriste. C’est elle qui se charge aussi des programmations des machines, Cohen prolongeant son idylle avec les synthétiseurs. La technologie ayant fait des progrès, le son global est plus plaisant, d’autant qu’il s’accompagne d’une approche bricolée à la maison, une forme de minimalisme dans l’accompagnement. C’est aussi plus le disque d’un duo, contraste entre la voix très grave et fantomatique de Cohen, et celle, caressante, de Robinson.

  • Dear Heather (2004)

En octobre 2004 apparaît cet étrange recueil de chansons conçues ou enregistrées à diverses époques, entre 1979 et 2004. Du coup, l’objet gagne en diversité d’approches, moins monotone dans son traitement que le disque précédent. On y entend des guitares acoustiques, un bassiste et un batteur, un vrai piano, du oud, de la trompette et du saxophone. A plusieurs reprises, la voix s’efface et laisse le lead à Sharon Robinson ou Anjani Thomas comme dans Because of ou Undertow. Une autre captation de concert, comme dans son deuxième album, figure dans le disque. Celle de Tennessee Waltz, classique de la country de la fin des années 1940, que Cohen a interprété au Montreux Jazz Festival le 9 juillet 1985.

  • Old Ideas (2012), Popular Problems (2014) et You Want It Darker (2016)

COLUMBIA RECORDS/SONY MUSIC

Les trois derniers albums de Leonard Cohen, respectivement publiés en janvier 2012 (Old Ideas), septembre 2014 (Popular Problems) et octobre 2016 (You Want It Darker) ont des points communs. La présence du claviériste et producteur Patrick Leonard (collaborateur de Madonna!), une réception critique aux Etats-Unis et en Europe particulièrement positive, qui avait manqué à ses deux ou trois précédents enregistrements. Un succès public aussi, certes relatif, mais à l’échelle d’un chanteur qui n’est pas considéré comme « grand public ». Old Ideas aura aussi été le seul album de la carrière de Leonard Cohen à grimper au troisième rang du classement des meilleures ventes de Billboard aux Etats-Unis. Popular Problems atteignant lui la quinzième place et You Want It Darker la dixième, en attendant une probable remontée suite à la mort du chanteur. Voix de rocaille, définitivement en parleur-conteur plutôt que chanteur, humour et sonorité d’ensemble plus traditionnelle, organique, sont au rendez-vous. Leonard Cohen chante une dernière fois l’amour qui va et la mort qui vient.