Le président russe, Vladimir Poutine, reçoit les lettres de créance des ambassadeurs au Kremlin, le 9 novembre 2016. | SERGEI KARPUKHIN / AFP

Passé l’euphorie de l’élimination du camp démocrate, considéré en Russie comme une force hostile, le doute a commencé à s’immiscer. « Trump est un macho, Poutine aussi », a commenté, sur la radio Echo de Moscou, Sergueï Markov, un politologue proche du Kremlin, ex-député du parti au pouvoir Russie unie, ajoutant : « Trump est imprévisible, sans expérience… Il sera obligé de prouver qu’il est macho et de se mesurer avec Poutine. » « Le plus grand obstacle au rétablissement des relations entre les Etats-Unis et la Russie, estime de son côté l’analyste politique Lilia Chevtsova, c’est la volonté de Trump de briser les règles du jeu. Quand c’est le fait des dirigeants des deux pays, il faut s’attendre à des problèmes… »

Sitôt après avoir envoyé un télégramme de félicitations au nouveau président américain, Vladimir Poutine l’avait lui-même reconnu, mercredi 9 novembre : la restauration des relations russo-américaines « sera un chemin long et difficile », comme il l’a répété à deux reprises, tout en faisant savoir qu’il ne s’entretiendrait pas avec son homologue avant sa nomination officielle, le 20 janvier 2017.

Le premier accroc est survenu dès le lendemain. Alors que, durant la campagne électorale aux Etats-Unis, le candidat républicain – accusé publiquement par sa rivale démocrate, Hillary Clinton, d’être la « marionnette » du président russe – n’a cessé de nier tout contact avec Moscou, Serge Ryabkov, vice-ministre des affaires étrangères russe, a affirmé le contraire. « Il y a eu des contacts, a-t-il déclaré, cité par l’agence Interfax. Ce travail a eu lieu au cours de la campagne et se poursuivra. » « Evidemment, ajoutait-il, nous connaissons la plupart des gens dans [l’] entourage » de Donald Trump. Bourde ? Volonté délibérée de mettre les pieds dans le plat ? M. Ryabkov n’a fourni aucun autre détail, mais ses propos ont suscité un démenti très sec de la porte-parole de M. Trump, Hope Hicks : « Aucun contact avec les officiels russes » avant le scrutin de mardi.

Nervosité

Autre déclaration contrariante pour l’équipe républicaine : dans son intervention sur Echo de Moscou, M. Markov, déclaré persona non grata en Estonie, après s’être vanté d’avoir soutenu la cyberattaque contre le gouvernement de Tallinn en 2007, a réfuté les accusations portées par les autorités américaines contre des hackeurs russes dans l’intrusion des courriers électroniques du QG démocrate, tout en ajoutant : « Ils ont peut-être aidé WikiLeaks. »

Adepte des coups de poker en politique, la présidence russe, quoi qu’elle en dise, ne sait rien, ou presque, des cartes de son nouveau partenaire, et cette situation crée une certaine nervosité au Kremlin. Depuis New York, où il s’est opportunément rendu dès jeudi pour soutenir le joueur russe au championnat du monde des échecs, Dmitri Peskov, porte-parole de M. Poutine, a nié être porteur d’un message du président russe. Mais il s’est dit frappé par la similitude des points de vue des deux chefs de l’Etat. « Ils ont exposé les mêmes principes de politique étrangère, c’en est incroyable », a assuré M. Peskov, jeudi soir, à la première chaîne de télévision nationale russe.

« Même si Trump continue à exprimer sa sympathie pour Poutine, un nouveau “reset” paraît peu probable, juge la politologue Lilia Chevtsova. Il faut rappeler aux Russes qui se réjouissent que la Russie a besoin d’une Amérique prévisible, sinon le Kremlin, qui est toujours prêt à renverser l’échiquier, mais qui s’attend, en même temps, à ce que les Etats-Unis suivent les règles, peut se retrouver face à une asymétrie [des réponses] que Washington ne se permettait pas jusqu’à présent. »

« Homme pratique »

Beaucoup, à l’image de Sergueï Glaziev, conseiller économique de M. Poutine, espèrent que l’arrivée du nouveau dirigeant américain se traduira par la levée des sanctions. « Je crois que Trump est un homme pratique, il va lever les sanctions sur la Russie qui sont nocives aussi pour les entreprises américaines », a affirmé M. Glaziev. Mais rien n’est moins sûr. Et l’engouement suscité en Russie pour les élections américaines pourrait avoir un effet collatéral non souhaité.

Privé d’accès aux télévisions nationales, l’opposant Alexeï Navalny a livré sur les réseaux sociaux son analyse. Tout en insistant sur les différences entre M. Poutine et M. Trump, il concluait : « Je ne suis pas fan de M. Trump (…), mais nous devons faire attention à une chose : aucun expert, aucun observateur n’avait prévu qu’il gagnerait. Les gens ont voté pour qui ils voulaient. C’est à cela que doivent ressembler des élections. » Publié à la veille du scrutin sur son compte Twitter, le message « Democracy RIP » de Margarita Simonyan, chef de Russia Today, premier réseau média pro-Kremlin, a été effacé.