Depuis une dizaine d’années, les marques de luxe essaient de renforcer leur emprise sur la distribution. Ces efforts ont coïncidé avec la croissance d’un marché en ligne à l’échelle mondiale, alimentant une peur généralisée face aux menaces de l’e-commerce sur la discipline tarifaire et le contrôle de la distribution, deux piliers fondamentaux du luxe moderne. Résultat, l’industrie du luxe a été relativement lente à adopter les plateformes digitales – et à s’y adapter.

Mais après des débuts hésitants, l’industrie du luxe s’est ruée vers l’opportunité que représente l’e-commerce, seul point lumineux dans un secteur en pleine stagnation. Le fait d’arriver tardivement sur ce marché a permis aux acteurs du luxe de bien maîtriser ces technologies déjà établies et d’apprendre des erreurs des pionniers. Aujourd’hui, cette industrie doit faire face à une nouvelle réalité où les mondes physique et virtuel fusionnent, ce qui représente une nouvelle source de profit majeure pour les marques. Toutefois, l’exploitation de ces opportunités numériques n’est pas sans risques.

La déconvenue Ray-Ban

L’e-commerce augmente en effet le risque de conflit entre les canaux – physique et numérique – et amplifie les problèmes de contrôle sur la distribution. Le pire scénario pour une marque de luxe, ce sont des grossistes qui vendent ses produits sur Internet à des prix plus bas que dans ses propres magasins. Avant, une marque ne se rendait peut-être pas compte – ou préférait ignorer – que les grossistes bradaient ses produits ; désormais une marque ressent clairement la différence quand des sites moins haut-de-gamme vendent ses produits depuis n’importe où dans le monde. Cela semble évident, mais c’est pourtant ce qui est arrivé au groupe Luxottica avec sa marque Ray-Ban. L’entreprise fut finalement contrainte de réduire sa présence aux États-Unis et de mettre en place une politique de prix minimum affiché, en interdisant aux grossistes de faire la publicité des produits Ray-Ban vendus à prix cassés afin de « protéger la réputation » de la marque.

L’e-commerce peut aussi court-circuiter l’architecture des prix fixée selon les zones géographiques qui a été instaurée dans ce secteur au fil du temps. Ainsi, une marque qui vend ses produits plus cher dans ses boutiques en Chine, mais qui offre aux consommateurs chinois la possibilité d’acheter sur son site Internet les mêmes produits à des tarifs européens ou américains plus bas finira probablement par en subir les conséquences.

Plusieurs marques américaines se retrouvent dans cette situation délicate. Empêcher la clientèle chinoise d’accéder à des sites américains ou européens reviendrait à perdre un chiffre d’affaires conséquent. Mais poursuivre une approche contradictoire entre les canaux physiques et digitaux pourrait entraîner des problèmes encore plus importants à l’avenir, étant donné que les ventes en ligne ne cessent d’augmenter.

Le danger de la banalisation

Pour aller un peu plus loin, on peut dire que c’est une chose d’avoir des grossistes avec des boutiques physiques qui pratiquent de légères réductions. Mais c’en est une autre lorsque le même comportement est amplifié par Internet : soudain, n’importe qui, n’importe où dans le monde peut avoir accès à une « boutique » et les conséquences négatives sur le chiffre d’affaires et sur la marque sont exponentiellement plus élevées.

Cela nous amène au danger de la banalisation causée par les réseaux de distribution discount en ligne. Au début, l’e-commerce semblait être une bonne solution pour déstocker la marchandise de fin de saison ; c’était plus facile, plus efficace et cela générait un chiffre d’affaires plus important que les circuits d’écoulement habituels. Mais c’était à l’époque où le luxe sur Internet était encore une niche. Aujourd’hui, le luxe en ligne est devenu mainstream et les consommateurs peuvent beaucoup plus facilement comparer les prix. Il suffit d’un clic sur son smartphone pour chercher les éventuelles réductions disponibles avant d’acheter n’importe quel produit à prix fort. L’époque où il fallait faire des kilomètres en voiture pour se rendre dans un magasin d’usine risque d’être bientôt révolue. Et les conséquences de ce changement ne sont pas encore clairement visibles, même si les marques de luxe risquent de surveiller de plus près leurs tentatives de rabais en ligne.

Une concurrence de niche

En définitive, Internet est un espace démocratique qui permet aux petites marques de niche d’être à égalité face à leurs plus gros concurrents. Les plus grandes marques de luxe étaient parvenues à dresser d’importants obstacles en intensifiant leurs investissements dans des produits vedettes physiques. Mais Internet permet aujourd’hui à des marques plus petites d’accéder à une clientèle mondiale avec un niveau d’investissement plutôt modeste. Gagner des consommateurs représente toujours un défi, mais il n’est plus nécessaire de débourser des sommes prohibitives pour la location de points de vente.

Cela dit, les entreprises avec une forte emprise sur la distribution ont beaucoup à gagner avec l’e-commerce et sont moins susceptibles de succomber au « côté obscur d’Internet » : Louis Vuitton et Hermès en tête. Elles sont suivies de près par d’autres entreprises haut-de-gamme, notamment Moncler, Prada et Ferragamo. En revanche, les marques de montres et de lunettes se retrouvent dans la position la plus fragile. Luxottica est actuellement contraint d’investir beaucoup d’argent pour réorganiser sa distribution en gros, tandis que les marques de montres doivent encore trouver comment s’orienter vers un système de distribution plus resserré.

À Londres, Luca Solca

À lire : l’article original sur le site www.businessoffashion.com