Rarement père spirituel a eu autant d’enfants. Au lendemain de la mort de Leonard Cohen, difficile de ne pas constater que le poète et chanteur canadien a rassemblé bien au-delà des styles et des générations. Peut-être parce que celui qui débuta sa carrière de musicien en adulte trentenaire, sans agiter l’étendard d’aucune mode, est très vite entré dans la sphère d’un classicisme intemporel se moquant des clivages.

Site Internet de référence, The Leonard Cohen Files ne dénombre pas moins de 3100 reprises de ses chansons, interprétées dans une multitude de pays, par des artistes de tous horizons. Parmi les titres les plus souvent adaptés figurent en tête Hallelujah, morceau tardif (1984) et longtemps passé inaperçu, avant de renaitre en grâce par l’intermédiaire de l’Américain Jeff Buckley (et plus de 300 autres interprètes dont Bob Dylan, John Cale, Justin Timberlake, Bono, Willie Nelson, Bon Jovi, Vanessa Paradis…), et bien sûr Suzanne, premier signe public de la mutation de l’écrivain en troubadour dans la seconde moitié des années 1960.

84 albums hommage

Parmi les autres classiques figurant dans d’innombrables répertoires, des chansons des débuts, Bird on the Wire, So Long, Marianne, Sisters of Mercy, Hey That’s No Way to Say Goodbye – parfois devenues, à l’instar de Suzanne, des succès avant même que Cohen ne les interprète –, mais aussi des titres des années 1970 (Famous Blue Raincoat, Lover Lover Lover…) ou des années 1980 (Dance Me to the End of Love…).

The Leonard Cohen Files répertorie également 84 albums hommage, entièrement constitués de chansons du chantre du pessimisme. Certains ne sont l’œuvre que d’un seul interprète, comme Graeme Allwright chante Leonard Cohen, qui, en 1973, permettait au public français de mieux connaître le répertoire du Québécois anglophone, ou Famous Blue Raincoat The Songs of Leonard Cohen de Jennifer Warnes, ancienne choriste du maître, dont le succès, en 1987, relança la carrière du poète, alors sinistrée aux Etats-Unis.

Pochette de l’album hommage collectif « I’m Your Fan - The Songs of Leonard Cohen » (1991). | ATLANTIC/EAST WEST RECORDS

De Bob Dylan à Kurt Cobain

Si la sobriété instrumentale de ses premiers disques l’ont d’abord imposé comme icône de la communauté folk, qu’elle soit française (Georges Moustaki, Yves Simon...) ou italienne (Francesco de Gregori, Fabrizio de André...), les « tribute albums » à Cohen, composés d’une distribution éclectique, témoignent de la variété d’une descendance autant attirée par la noirceur ciselée de ses textes que par la qualité de mélodies, parfois sous-évaluées. Comme le soulignait récemment un de ses plus fidèles admirateurs, Bob Dylan, dans un article du magazine américain The New Yorker, « quand les gens parlent de Leonard (Cohen), ils oublient souvent de mentionner ses mélodies qui, pour moi, sont, autant que ses paroles, preuves de génie ».

Nombre de vedettes de la chanson populaire l’ont aussi compris, comme le montrent des reprises signées Joe Cocker, Sting, Elton John, Billy Joel, Neil Diamond, Nana Mouskouri, Suzanne Vega ou Françoise Hardy. Attirée par le désespoir à la fois intimiste et détaché du Canadien, par sa faculté à parler sans pudeur de la douleur, du chagrin et de la peur, toute une frange du rock dit « indépendant » a aussi fait de Cohen son idole. La première manifestation de cette admiration a sans doute été la compilation I’m Your Fan, publiée en 1991 par le magazine Les Inrockuptibles, où la fine fleur de la pop d’avant-garde de l’époque – R.E.M., Pixies, The House of Love, Ian McCulloch, mais aussi le Français Jean-Louis Murat, reprenait ses morceaux.

Parmi les zélotes les plus actifs de ce registre sombre, les Américains de Bonnie « Prince » Billy (alias Palace Brothers) ou de Lambchop (reprenant sur scène Chelsea Hotel #2) et l’Australien Nick Cave qui, de sa voix de baryton, ouvrait son premier album solo, From Her to Eternity (1984), avec une version gothique de Avalanche. Les références à Cohen ont aussi pu se nicher dans des pochettes de disques – le groupe Ween pastichant celle de The Best of Leonard Cohen –, des noms de groupes (The Sisters of Mercy) ou des textes citant nommément le Monsieur.

Nick Cave And The Bad Seeds-Avalanche
Durée : 05:16

Kurt Cobain : « Give me a Leonard Cohen afterworld »

Il est ainsi mentionné dans le couplet de Pennyroyal Tea, de Nirvana (publié quelques jours avant le suicide de Kurt Cobain) : « Give me a Leonard Cohen afterworld / So I can sigh eternally » (Donne-moi un au-delà à la Leonard Cohen / Que je puisse sangloter éternellement). Mais aussi dans le morceau Want de Rufus Wainwright ou dans le titre Smokers Reflect des Belges de dEUS. Dans sa chanson From a Room, le Français Vincent Delerm avait, quant à lui, construit un scénario autour de la photo de Marianne Ihlen en simple serviette de bain, illustrant le verso de l’album Songs from a Room.

Ces deux dernières années, des interprétations chantées par Lana Del Rey, Owen Pallett, Anna Calvi, She & Him, Angel Olsen, Aaron, Liz Green, Anonymous Choir, Lail Arad ou, tout récemment, le duo formé par Matthew E White et Flo Morrissey (pour un somptueux Suzanne), n’ont cessé d’approvisionner ce catalogue de reprises. Un cercle de disciples qui n’a pas fini de s’élargir.

Palace Songs - Winter Lady (Leonard Cohen cover)
Durée : 02:56