Editorial du « Monde ». Un mauvais vent souffle sur Hongkong. Il ne vient pas de la mer, mais de l’intérieur, du continent, très exactement de Pékin, où l’on s’efforce depuis deux ans de rogner progressivement ce qui fait la spécificité d’Hongkong : son autonomie par rapport à la Chine. C’est une météo déplaisante qui comporte nombre de risques et fait craindre la fin d’une expérience jusque-là remarquable.

Les autorités chinoises viennent d’intervenir unilatéralement, sans qu’aucune autorité de l’ex-colonie britannique le leur demande, dans le fonctionnement de la justice hongkongaise. Une commission de l’Assemblée nationale (ANP) chinoise, à Pékin, a tranché dans un débat porté devant un tribunal d’Hongkong sans même attendre son jugement. Il s’agissait d’annuler ou de confirmer la prestation de serment de deux jeunes députés indépendantistes du Rocher, tout juste élus en septembre au Conseil législatif d’Hongkong. La Chine a déclaré que Mlle Yau Wai-ching et Sixtus Leung étaient inéligibles. Ils ne siégeront pas.

Cette intervention est sans précédent. Elle vient s’ajouter à une longue liste de pressions, agissements en sous-main, prises de participation dans la presse locale et autres mesures destinées à restreindre chaque jour davantage l’autonomie d’Hongkong. Lorsque la Grande-Bretagne rend la colonie à la Chine, en 1997, Londres et Pékin s’entendent sur un principe original : « un pays, deux systèmes ». Hongkong conserve son mode de gouvernement, un système judiciaire indépendant, une presse libre, bref un Etat de droit hérité de la Couronne britannique. Ce pacte est consigné dans la Basic Law, sorte de mini-Constitution hongkongaise.

Pékin serre la vis

Certes, le traité sino-britannique signé en 1984 donne à l’ANP le droit d’interpréter la Basic Law. Mais, par respect pour l’indépendance judiciaire hongkongaise, elle n’avait jamais exercé cette prérogative de sa propre initiative. C’est fait désormais. C’est un coup porté à ce qui est au cœur du succès phénoménal d’Hongkong, en tant que place financière mondiale et l’un des plus grands centres d’affaires d’Asie : l’Etat de droit – garantie pour les investisseurs étrangers et chinois.

Yau Wai-ching et Sixtus Leung n’ont pas prêté serment dans les formes. Les deux jeunes gens se sont livrés à diverses provocations, plus ou moins insultantes pour la Chine. Mais là n’est pas la raison profonde de l’intervention de Pékin. La Chine redoute l’émergence d’un mouvement indépendantiste hongkongais. Elle serre la vis. Elle interprète de manière de plus en plus restrictive la formule « un pays, deux systèmes ».

En 2014 et 2015, l’ex-colonie a connu trois mois de manifestations intenses sur une autre affaire juridico-politique : le droit reconnu à Hongkong d’élire directement son premier ministre (jusque-là désigné par Pékin). La Chine a donné une lecture a minima de ce droit : elle entend garder la main haute sur la sélection des candidats. Dialectique infernale : plus la Chine mord sur l’autonomie d’Hongkong et plus cette politique génère une tentation indépendantiste dans une fraction de la population hongkongaise.

La sagesse voudrait que la Chine laisse les Hongkongais, gens responsables et ô combien talentueux !, donner tout son sens à la formule « un pays, deux systèmes ». Mais, à Pékin – comme à Moscou et, depuis l’élection de Donald Trump, à Washington –, l’heure n’est pas à la sagesse. Mais à l’ultranationalisme.