A l’automne 2001, Le Monde avait rencontré Leonard Cohen, à Los Angeles. C’était à l’occasion de la sortie de son album Ten New Songs. Il sortait de six années de retraite zen, à Mount Blady, dans les montagnes du sud de la Californie. Il avait parlé de ses chansons, de la façon dont il les « construisait ». De sa voix. De la musique qu’il écoutait. Nous republions, ci-dessous, cet article.

Pour Yeats, que cite Leonard Cohen, les poèmes naissent des « lambeaux fétides et des tas d’os que sont les cœurs ». Mais les chansons ?

« Si je savais d’où elles viennent ! nous dit Leonard Cohen, chanteur, mais aussi romancier et poète. Les paroles d’une chanson doivent bouger rapidement, de cœur à cœur, de lèvres à lèvres. Tandis que, sur un livre, la perception du temps est très différente. Sur une page, vous pouvez entrer par n’importe quel chemin. Le délicieux plaisir de lire un grand poème tient à ce que vous pouvez vous arrêter, continuer, revenir, examiner. Une chanson ne peut se morceler, elle a un rythme, elle résonne dans votre cœur aussi longtemps que vous le voulez.

Je n’ai jamais appartenu au rock’n’roll, mais j’ai bénéficié de son hospitalité. J’ai grandi avec la musique folk et le blues. J’ai toujours espéré qu’un jour je serais capable d’accomplir l’exploit de la simplicité des grandes chansons comme Blueberry Hill. »

Il récite la chanson de Fats Domino : « I found my thrill on Blueberry Hill, and the moon stood still » (J’ai vibré sur la colline aux myrtilles et la lune n’a pas bronché). J’étais très ému en entendant cela. C’est de la grande écriture, moderne. J’ai commencé à jouer de la guitare là-dessus. »

« Je suis un chanteur très limité »

« J’aurais voulu que ma voix soit plus ordinaire. Elle est typée, mais je suis un chanteur très limité. Dans mon petit studio, dans le garage, je n’arrête pas de faire des essais de chant. On s’améliore avec les générations : mon père ne savait pas chanter du tout, et mon fils chante très bien. Mon père écoutait du folk sans arrêt, et toutes ces musiques noires – les percussions sont parties d’Afrique pour venir aux Amériques en passant par la Jamaïque et Cuba. Ces rythmes soufflent sur le monde, ils sont les arrière-plans des émotions, l’âme de nos activités.

J’écoute la radio dans ma voiture. J’écoute de la musique classique, de la country, j’aime le hip-hop, même si j’ai des difficultés à comprendre les textes des rappeurs. Le Talmud dit qu’il y a du bon vin dans chacune des générations. Il y a tout le temps de la bonne musique. Par exemple, la musique électronique. J’aime cette musique, très fraîche, qui décrit un nouveau paysage émotionnel. J’aime le son que les machines peuvent produire. Ils sont différents et originaux et pourtant nous vivons avec eux tous les jours, à la radio, au téléphone, sur les répondeurs. Peut-être ferai-je un disque avec des musiques électroniques. Mais le diable se moque de mes projets. Le Bon Dieu, lui, est plus compatissant. Le diable rit, Dieu regarde. »

De Paris à Coachella : les inoubliables concerts de Leonard Cohen
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