Manifestation de militants écologistes devant la Maison Blanche le 29 novembre 2015. | MANDEL NGAN / AFP

Donald Trump, qui prendra ses fonctions présidentielles à la Maison Blanche le 20 janvier 2017, pourrait être contraint de reconsidérer ses positions climatosceptiques. Le républicain, qui avait qualifié en novembre 2012 le dérèglement climatique de « concept créé par et pour les Chinois pour nuire au rendement de l’économie américaine » et qui menace de dénoncer l’accord de Paris, risque en effet d’être rapidement mis au pas par la justice de son pays.

Jeudi 10 novembre, la juge fédérale de l’Etat de l’Oregon Ann Aiken a jugé recevable la plainte de 21 enfants et adolescents âgés de 9 à 20 ans qui reprochent à Barack Obama – auquel succédera M. Trump –, et à son administration, de ne pas protéger leur environnement du dérèglement climatique.

Majoritairement résidents dans l’Oregon, les plaignants de l’affaire « Juliana [nom de la principale plaignante] contre les Etats-Unis », adossés à l’association environnementaliste Our Children’s Trust, ont déposé leur recours en août 2015.

En première instance, le 8 avril 2016, un autre juge du district fédéral de l’Oregon leur avait déjà donné raison, rejetant l’argument du gouvernement qui souhaitait voir le ­Congrès trancher. Le magistrat avait également écarté les protestations des représentants de l’industrie du charbon et des hydrocarbures qui s’étaient joints à la procédure en janvier. Confirmée par la juge Aiken, cette décision ouvre donc pour la première fois la voie à un procès sur le fond, dont la date n’est pas encore déterminée. Julia Olson, principale avocate des plaignants et directrice exécutive de Our Children’s Trust, a cependant indiqué avoir proposé à l’administration Obama la négociation d’un accord avec décision exécutoire préalable à l’investiture de M. Trump afin de « protéger l’avenir des enfants ».

Discrimination

Selon ces jeunes plus connus aux Etats-Unis comme « Les 21 », Barack Obama et son gouvernement ont manqué à leur devoir de les protéger du dérèglement climatique en perpétuant depuis plus de cinquante ans l’utilisation des énergies fossiles. Par leur lenteur à réduire les émissions de CO2 dans l’atmosphère, ils auraient bafoué leur droit constitutionnel à « la vie, la liberté et la propriété » et délibérément contribué au réchauffement de la planète.

Les plaignants invoquent la violation de la doctrine dite de « public trust », fondatrice de la jurisprudence américaine, qui implique que le gouvernement est garant des ressources naturelles qui constituent le bien commun de tous les citoyens (océans, voies navigables, atmosphère…). Ils s’estiment victimes de discrimination au profit des « intérêts économiques » d’un « autre groupe de ­citoyens », en l’occurrence l’industrie pétrolière.

Jeudi, Ann Aiken a jugé qu’il ne s’agissait pas « de prouver que le changement climatique est en cours ni que l’activité humaine en est responsable », mais bien de « déterminer si les plaignants sont fondés à réclamer des actions au gouvernement et si une juridiction peut intimer à l’Etat sans aller à l’encontre de la Constitution de modifier son comportement ». « Ce dossier implique que l’action ou l’inaction des mis en cause a si profondément abîmé notre planète qu’elle menace les droits constitutionnels des plaignants à la vie et à la liberté », explique la juge dans son arrêt.

« Corrigé par ses propres tribunaux »

Ce litige s’inscrit dans la lignée du contentieux Urgenda : en juin 2015, un juge néerlandais avait sommé l’Etat de respecter une réduction des gaz à effet de serre, après avoir été saisi par cette fondation environnementale et 886 citoyens qui dénonçaient la responsabilité des autorités néerlandaises dans le non-respect des recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). 

« Ce nouveau dossier américain témoigne de la déception de la société civile face aux politiques publiques de lutte contre les changements climatiques, qui se traduit par une montée en puissance de la judiciarisation de cette question, note Laurent Neyret, juriste spécialisé dans le droit à l’environnement et à la santé. Au moment où Donald Trump menace le monde du pire en matière environnementale, il pourrait être corrigé par ses propres tribunaux. »

Spécialiste du droit international, porte-parole de l’association End Ecocide on Earth et auteure d’Un nouveau droit pour la Terre (Seuil), Valérie Cabanes voit dans la décision de Mme Aiken la reconnaissance tant attendue du crime d’écocide. « La juge crée une jurisprudence en établissant que porter atteinte à notre Terre mère est une violation du droit constitutionnel à la vie, se réjouit-elle. Et elle donne la possibilité de porter plainte contre un gouvernement, mais aussi contre des multinationales au nom de la sûreté planétaire. »