Lors du rassemblement à la porte de Brandebourg. | Thomas Wieder / LE MONDE

Les uns ont fait simple : « Non à Trump. » D’autres ont donné dans le plus conceptuel : « A bas l’hétonormativité, à bas le patriarcat. » Certains ont apporté de grands drapeaux américains, sur lesquels ils ont écrit au feutre noir : « Nous disons non. » Mais la plupart avaient choisi de détailler les raisons de leur colère : « Non à Trump, non au racisme, non au sexisme, non à l’homophobie, non à la xénophobie. »

Deux rassemblements se sont tenus à Berlin, samedi 12 novembre, pour protester contre l’élection du candidat républicain à la Maison Blanche. Le premier sur Hermannplatz, dans le quartier populaire et cosmopolite de Neukölln, à l’initiative d’une jeune Irlando-Américaine de 24 ans habitant à quelques rues de là et qui « vingt minutes après l’annonce du résultat », avait lancé sur Facebook un appel à manifester « par solidarité avec toutes les personnes queer, trans, de couleur, avec les musulmans, les Mexicains, les femmes, les réfugiés et tous les opprimés de la planète »

Lors du rassemblement à la porte de Brandebourg. | Thomas Wieder / LE MONDE

Le second, organisé par de jeunes Américains un peu plus tard dans l’après-midi au pied de la porte de Brandebourg et de l’ambassade des Etats-Unis, pour dénoncer « l’injustice, l’intolérance, la haine et l’inégalité dont Trump est l’incarnation ». Plus d’un millier de personnes au total, parmi lesquels beaucoup d’Américains (ils sont environ 16 000 dans la capitale allemande), la plupart âgés de 20 à 40 ans.

« On se dit que tout est possible »

C’est le cas de Katya Salisbury. Etudiante en arts graphiques, cette Californienne de 23 ans s’est installée à Berlin cet été pour quelques mois. Emmitouflée dans une grosse doudoune pour supporter le froid glacial qui s’est abattu sur la ville ce week-end, elle est venue avec une grande pancarte en carton, sur laquelle elle a résumé ce qu’elle ressent depuis trois jours : « J’ai peur de Trump. » Peur en tant que « femme noire », dit-elle. Peur de « la parole raciste et violente qui va se libérer aux Etats-Unis et ailleurs après cette élection », ajoute-t-elle. Peur, enfin, de « devoir rentrer à Los Angeles dans quelques semaines » et de retrouver un pays dans lequel elle « ne se reconnaî[t] plus », confie cette ancienne partisane de Bernie Sanders, qui dit avoir voté pour Hillary Clinton parce qu’elle « n’avait pas le choix ».

Daniel Hundermark, lui, est Allemand. Agé de 38 ans, ce designer installé depuis quinze ans à Berlin n’est pas un grand habitué des manifestations. « Je n’ai jamais fait de politique, mais là, j’ai ressenti un tel choc avec cette élection que je me dis que ça ne peut plus continuer ainsi et qu’il faut que les gens comme moi fassent quelque chose », raconte-il. Car pour lui, « la victoire de Trump est un enjeu mondial et pas seulement américain ». « Il y a cinq mois, on a eu le Brexit, maintenant on a Trump, l’année prochaine on risque d’avoir Marine Le Pen en France et de voir [le parti d’extrême droite] Alternative pour l’Allemagne entrer au Bundestag. Quand on voit que la plus vieille démocratie du monde est capable d’élire un tel individu, on se dit que tout est possible », explique ce père de trois petites filles, qui a fabriqué pour l’occasion un gros cœur rouge sur lequel il a écrit : « Untrump the World. »

Lors du rassemblement à la porte de Brandebourg. | Thomas Wieder / LE MONDE

De la « peur », de la « colère », du « dégoût » et de la « sidération », Lene Timochenko en ressent elle aussi depuis qu’elle a appris en allumant sa télévision, mercredi matin, que « le peuple américain a pris cette décision terrible d’élire à la Maison Blanche un homme raciste, lunatique, populiste et plein de haine ». Mais si cette Danoise d’origine ukrainienne installée depuis vingt-quatre ans à Berlin est venue manifester devant la porte de Brandebourg, ce samedi, c’est aussi pour le symbole que ce lieu représente. « La porte de Brandebourg, pour le monde entier, ce sont les images de la chute du Mur. A l’époque, les Etats-Unis symbolisaient la liberté. Vous n’imaginez pas l’émotion que c’est pour moi de venir ici aujourd’hui pour protester contre un président américain qui lui, justement, veut ériger un mur à la frontière avec le Mexique. Et dire qu’on a appris sa victoire un 9 novembre, le jour-même de la chute du mur de Berlin, vraiment c’est incroyable », ajoute cette femme, pour qui « cela a un sens très fort que l’Allemagne se mobilise contre un individu comme Trump, compte tenu de l’histoire du pays, qui a l’expérience des dictatures et sait ce qu’est la liberté ».

« Aujourd’hui c’est trop tard »

Si certains se disent « rassurés » de voir « les consciences s’éveiller », d’autres reconnaissent qu’ils sont « un peu déçus » de constater que seul un millier de personnes soient venues protester ce samedi, à Berlin, contre la victoire de Donald Trump. « Je me demande pourquoi on n’est pas plus nombreux. Normalement, dans une ville comme Berlin, si progressiste et si cosmopolite, on aurait dû être dix fois plus. J’espère que c’est seulement parce qu’il fait froid et que les gens ont préféré rester chez eux bien au chaud », estime ainsi Tobias Schreiber, un infirmier de 31 ans.

Mais la météo n’explique pas tout. Agé de 25 ans, Shqiprim Balazoski fait partie de ceux qui auraient pu très bien descendre dans la rue. Etudiant en sociologie à l’Université libre de Berlin, cet Américain originaire de l’Illinois, qui a « toujours voté pour des démocrate ou des écologistes », reconnaît volontiers que « Trump incarne tout ce qu’il déteste ». Informé par les réseaux sociaux des deux manifestations organisées ce samedi, il a cependant préféré passer la journée chez des amis. « Protester pour protester, je ne vois pas l’intérêt à part pour se donner bonne conscience. Trump a été élu démocratiquement, aujourd’hui c’est trop tard. Et dire sa haine pour quelqu’un qui est lui-même plein de haine, je trouve ça contradictoire. Ce qu’il faut maintenant, c’est des solutions, pas de l’indignation. »