Des théâtres au secours des sans-papiers
Des théâtres au secours des sans-papiers
Par Clarisse Fabre
Des membres du Collectif du « 81 avenue Victor Hugo » d’Aubervilliers sont hébergés à l’Odéon, à la Colline, ou au TGP de Saint-Denis.
L’affiche de la « pièce d'actualité » d'Olivier Coulon-Jablonka, créée au Théâtre de la Commune d'Aubervilliers. | DR
L’aventure théâtrale de 81 avenue Victor Hugo, s’achève, mais le combat politique continue. Mardi 15 novembre, au Théâtre de Brétigny (Oise), dans le cadre du Festival d’automne, huit comédiens non professionnels, d’anciens clandestins ayant obtenu un titre de séjour, jouaient pour la dernière fois la « pièce d’actualité » mise en scène par Olivier Coulon-Jablonka, dans laquelle ils racontent leur quotidien et leurs tracas à leur arrivée en France. Leurs noms : Adama Bamba, Moustapha Cissé, Ibrahim Diallo, Mamadou Diomandé, Inza Koné, Souleyman S., Méité Soualiho, et Mohammed Zia. Ils font partie du Collectif du « 81 avenue Victor Hugo », en référence à l’adresse du bâtiment occupé par les sans-papiers à Aubervilliers.
Olivier Coulon-Jablonka et son équipe ont suivi le périple de ces hommes, leur combat pour obtenir des papiers, et certains d’entre eux ont accepté de monter sur scène pour témoigner. La création de 81 avenue Victor Hugo a eu lieu en mai 2015, au Théâtre de la Commune, Centre dramatique national (CDN) d’Aubervilliers dirigé par la metteuse en scène Marie-José Malis. Dévoiler au public son identité de clandestin, il fallait oser le faire… Invité à découvrir la pièce, le préfet délégué à l’égalité des chances, Didier Leschi, proche de Jean-Pierre Chevènement, décidait alors d’examiner les dossiers et de régulariser « au fil de l’eau » une trentaine de personnes en 2015, en fonction des promesses d’embauche d’employeurs.
« Une aventure humaine »
Mais les temps deviennent plus difficiles. En janvier 2016, Fadela Benrabia, ancienne conseillère de Manuel Valls à Matignon, a succédé à M. Leschi. Si, dans un premier temps, la préfète a poursuivi la politique de son prédécesseur – une vingtaine de nouvelles régularisations ont eu lieu –, elle a mis son véto sur les vingt-et-un dossiers restants. Motif : ceux-ci ont été refusés par la direction du travail, la « Direccte ». Précisons que cet avis négatif de la « Direccte » ne s’impose pas au préfet, lequel peut apprécier la situation et accorder le titre de séjour. Ce que faisait Didier Leschi. Sollicitée par Le Monde, Fadela Benrabia n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. L’équipe de la Commune continue de se mobiliser : « Les dossiers de ces vingt-et-une personnes sont très solides. J’ai rappelé un à un les patrons pour vérifier leur détermination à embaucher », affirme Frédéric Sacard, le directeur adjoint du CDN. Mais les employeurs ne vont-ils pas finir par se décourager, à force d’attendre le feu vert ? Telle est la crainte.
Marie-José Malis, de son côté, a tenté une médiation auprès de la ministre de la culture et de la communication. Laquelle souhaite trouver une sortie de crise. Lors d’un débat au Théâtre de la Colline, à Paris, intitulé « A quoi bon des poètes en temps de détresse ? », lundi 7 novembre, Audrey Azoulay a pointé « les difficultés » auxquelles sont confrontés « ces hommes du 81 avenue Victor Hugo » : « Mais le chemin parcouru est déjà considérable et je veux croire qu’il ne sera pas sans trouver une issue favorable », a déclaré la ministre. « Voilà une expérience exemplaire. Au-delà d’un spectacle, c’est une aventure humaine. On a alerté Matignon. Voilà des hommes qui ont potentiellement la perspective de travailler et de mener une vie normale », précise-t-on dans l’entourage de la ministre.
Un matelas et une douche
L’autre bataille est celle du relogement : en effet, le 26 octobre, les occupants du « 81 avenue Victor Hugo » ont été expulsés du bâtiment, et trente-quatre d’entre eux sont toujours sans abri – les vingt-et-un clandestins, ainsi que treize autres personnes détenant des titres de séjour, parmi lesquels les huit comédiens de la pièce. Dans un premier temps, ils ont tous été accueillis au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, avant que sa directrice ne lance un appel à d’autres scènes culturelles. Le message a été entendu : actuellement, six hommes sont hébergés au Théâtre de l’Odéon, dans des loges inoccupées, en l’absence de représentations – celles-ci ont lieu en ce moment aux Ateliers Berthier, dans le 17è.
« Les hommes dorment dans les loges situées au deuxième étage de l’Odéon. Chacun dispose d’un matelas et d’une douche. Ils peuvent aussi se restaurer gratuitement dans la cuisine située sous les toits au cinquième étage. Nous pouvons les accueillir jusqu’au 25 novembre. Ensuite, l’équipe de Kristian Lupa arrive », explique au Monde l’administrateur du Théâtre de l’Odéon, Pierre-Yves Lenoir. En effet, le metteur en scène polonais présentera dans la salle emblématique du 6è arrondissement , du 30 novembre au 11 décembre, Des arbres à abattre, d’après Thomas Bernhard.
Quatre autres membres du Collectif sont accueillis au Théâtre Gérard-Philipe, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), trois autres à La Colline, six autres au Théâtre Nanterre-Amandiers (Hauts-de-Seine). Six personnes ont pu résider quelques jours au Centre national de la danse (CND), à Pantin (Seine-Saint-Denis). Enfin, six comédiens de la pièce d’actualité ont été hébergés dans des locaux du Parc de la Villette à Paris, mais ils ont dû quitter les lieux, mardi 15 novembre. « Chacun se débrouille comme il peut, à présent », observe Moustapha Cissé, l’un des acteurs, qui est par ailleurs le délégué du Collectif.