Cette semaine, découvrez un formidable roman historique traitant de la Grande Guerre, du deuil et de la mémoire, le roman-performance de l’artiste Chris Kraus, best-seller aux Etats-Unis, les conseils en écriture de Ray Bradbury, légende de la science-fiction, et le nouvel essai politique d’Alain Touraine.

ROMAN. « L’Odeur de la forêt », d’Hélène Gestern

« J’ai besoin de savoir ce qui a désespéré Alban de Willecot, ce qui lui a fait mal au point qu’il a désiré en finir. Je veux faire le chemin avec lui, le comprendre et compatir à sa douleur. Je n’ai que ce rôle-là, et il est dérisoire. Mais c’est le mien, et je ne le laisserai à personne. »

Une universitaire, historienne de la photographie, se voit confier les lettres d’un soldat de la Grande Guerre adressées à un célèbre poète, mais aussi une série de clichés que le poilu a pris au front dans un but antimilitariste. Tout au long de son enquête sur ce disparu, déchiffrant sa correspondance, ainsi que le journal crypté de sa fiancée, la narratrice tente de percer un mystère littéraire, et de faire le deuil de son propre compagnon, disparu après une longue maladie l’ayant rendu amnésique. Hélène Gestern mêle les problématiques de la mémoire, de l’archive et de la survie dans un formidable roman historique raconté depuis le fond des tranchées. Eric Loret

Arléa

« L’Odeur de la forêt », d’Hélène Gestern, Arléa, « 1er mille », 704 pages, 27 €.

ROMAN. « I Love Dick », de Chris Kraus

Roman-performance, autofiction aussi ludique que sérieuse, I Love Dick est l’histoire un peu folle d’une passion déraisonnable et salutaire, analysée au microscope et relatée avec force.

Les premières lignes sont sèches, distanciées, assez plates. Chris Kraus, l’auteure de I Love Dick, évoque « Chris Kraus, une vidéaste expérimentale de 39 ans, et Sylvère Lotringer, un professeur d’université venu de New York, 56 ans, [qui] dînent avec Dick ***, une bonne connaissance de Sylvère, dans un bar à sushis de Pasadena ».

Très rapidement, l’ironie affleure puis se déploie franchement, pour transformer les protagonistes de ce récit en rats de laboratoire. En écrivant à Dick avec la complicité de son mari, comme elle décide de le faire, le personnage féminin « offr[e] sa vie pour que celle-ci devienne une étude de cas », « une chance d’apprendre finalement quelque chose sur la romance et le béguin », et plus généralement sur le désir féminin (Emma Bovary n’est pas très loin). Florence Bouchy

Flammarion

« I Love Dick », de Chris Kraus, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Alice Zeniter, Flammarion, 272 pages, 20 €.

RECUEIL. « Le Zen dans l’art de l’écriture », de Ray Bradbury

Depuis l’année de ses 12 ans, où il reçut à Noël une machine à écrire, Ray Bradbury a couché sur le papier au moins un millier de mots par jour. Deux jours sans s’atteler à la tâche, le voilà pris de tremblements. Un jour de plus et la folie le guette, confie-t-il dans Le Zen dans l’art de l’écriture, un recueil de textes, jusque-là inédits, rédigés à diverses époques de sa vie et qui sont autant de mémos pour apprendre à écrire.

Par exemple, lire de la poésie (« elle fait travailler des muscles dont on ne se sert pas suffisamment », « développe les sens ») et taper à toute vitesse sur le clavier. « Moins vous réfléchissez, plus vous écrivez, et plus vous êtes honnête. Avec l’hésitation apparaît la pensée. Et avec elle, la préoccupation du style, là où saisir la vérité au vol est le seul style qui vaille de risquer la mort ou de partir à la chasse au tigre. » Dans ces pages, Bradbury se tient au chevet du lecteur et lui ordonne d’oublier les garde-fous de l’imaginaire. Macha Séry

Antigone 14

« Le Zen dans l’art de l’écriture. Essais sur la créativité » (Zen in the Art of Writing), de Ray Bradbury, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bertrand Augier, Antigone 14, 206 pages, 16 €.

ESSAI. « Le Nouveau Siècle politique », d’Alain Touraine

Alain Touraine en est convaincu, l’élection présidentielle française de 2017 n’opposera pas la droite et la gauche, mais bel et bien le passé et l’avenir. Du côté du passé : le libéralisme économique le plus féroce, d’une part, et la défense de droits spécifiques comme ceux liés au travail, d’autre part. Du côté de l’avenir : la revendication radicale d’un droit fondamental, le « droit à avoir des droits », et la dignité humaine.

Face à un pouvoir – économique et politique – de plus en plus « total », il s’agit en effet dorénavant pour les individus de s’engager dans des mouvements nouveaux, des mouvements éthiques autant que politiques, comme le furent les grandes manifestations consécutives aux attentats de l’année 2015. Un essai qui dessine la longue et sinueuse route que devra prendre le nouveau « sujet-citoyen » dans le siècle qui s’ouvre. Gilles Bastin

Seuil

« Le Nouveau Siècle politique », d’Alain Touraine, Seuil, 208 pages, 17 €.