L’exposition « Joan Miró : matérialité et métamorphose », qui se tient jusqu’au 28 janvier à la Fondation Serralves de Porto, n’est pas seulement l’occasion d’admirer 77 œuvres inédites du peintre espagnol. C’est aussi un symbole de résistance, une petite victoire du pays face à la crise et à l’austérité, un acte de bravoure. Car cette exposition aurait bien pu ne jamais avoir lieu. La collection de 85 tableaux de Joan Miró que détient l’État portugais était promise aux enchères. Et Lisbonne espérait en tirer un bon prix pour renflouer ses caisses. Après tout, elle les avait obtenus par hasard…

Des œuvres méconnues

Ces tableaux appartenaient en effet à la Banque portugaise des négoces (BPN) qui, selon les versions, les avait achetés en 2006 à un collectionneur japonais, Kazumasa Katsuta, ou reçus en paiement de la part d’entreprises offshore en faillite. Ils auraient pu orner les bureaux des directeurs, décorer les grandes succursales, symboliser la richesse de l’établissement financier. Mais ils n’ont pas eu le temps de sortir des coffres-forts où ils étaient entreposés. En 2008, la BPN s’effondre. Accusée de malversations en tous genres, la banque est au bord de la faillite. La crise pointe déjà le bout de son nez.

Pour sauver le secteur financier, le gouvernement portugais opte pour la nationalisation de la banque après y avoir injecté 1,8 milliard d’euros. Et récupère par la même occasion 85 œuvres méconnues de Miró peintes entre 1924 et 1981, deux ans avant sa mort. Comme elles ne sont pas inscrites au patrimoine de l’État, elles ne sont pas protégées…

Pour renflouer les caisses de l’état, 85 tableaux de Miró, dont 77 sont actuellement exposés à Porto, ont bien failli être vendus aux enchères. | SERRALVES 2016/JOAN MIRÓ/FILIPE BRAGA

Pendant six ans, les œuvres resteront cachées. Les Portugais n’apprennent leur existence que fin 2013, lorsque le gouvernement conservateur de Passos Coelho, alors au pouvoir, décide de confier à Christie’s leur mise aux enchères à Londres. Objectif : récolter près de 34 millions d’euros, alors que la valeur estimée des tableaux est de 80 millions… Selon le secrétaire d’État à la culture de l’époque, Miró « n’est pas une priorité ». Les Portugais doivent se montrer « réalistes », explique le premier ministre. En clair, les tableaux seront cédés.

Bras de fer judiciaire

Ce n’est pas la seule couleuvre que les Portugais s’apprêtent à avaler. En échange du plan de sauvetage européen de 78 milliards d’euros accordé en 2011 par les bailleurs de fonds de la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international), l’État a privatisé les grandes entreprises du pays (poste, télécoms, gestion des aéroports…), augmenté les impôts et les journées de travail des fonctionnaires, baissé les salaires publics et les retraites… Mais la vente des Miró ne passe pas. Après des années de sacrifice, les Portugais ne sont pas prêts à brader les derniers bijoux de famille. Des pétitions en ligne sont publiées, les intellectuels protestent et la gauche porte l’affaire devant les tribunaux, qui refusent dans un premier temps d’inscrire les œuvres au patrimoine de l’État, avant que le parquet ne finisse par en interdire la sortie du pays. Entre-temps, à quelques heures de la mise aux enchères, devant les doutes sur sa légalité, Christie’s annule la vente

« L’exposition de ces œuvres était indispensable, ne serait-ce que d’un point de vue moral. » Francisco José Viegas, écrivain

Lorsqu’il arrive au pouvoir, en 2015, le Parti socialiste d’Antonio Costa est clair : la collection Miró ne quittera pas le Portugal et les toiles seront enfin exposées au public : « Les contribuables portugais ont dû payer la nationalisation de la BPN, qui a supposé d’injecter plus de 4 milliards d’euros. L’exposition de ces œuvres était indispensable, ne serait-ce que d’un point de vue moral », a déclaré l’écrivain portugais Francisco José Viegas lors de l’inauguration de l’exposition, le 30 septembre. Aujourd’hui, les toiles pourraient quand même être, en respectant certaines modalités, vendues. Mais, étant à présent classées et protégées par une nouvelle législation sur le patrimoine, elles resteraient de toute façon à Porto, un éventuel acheteur devant s’engager à maintenir la collection sur place, a assuré Antonio Costa.

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