François-Joseph Ier, monarque du vivre-ensemble ou du laisser-aller ? | Imagno / Getty Images

Difficile, en Autriche, d’échapper aux généreux favoris de l’empereur François-Joseph Ier, bien connu pour avoir été le mari de Sissi. Qu’elle illustre des boîtes de chocolats ou orne les couloirs du château de Schönbrunn, l’image de l’octogénaire est partout. Et symbolise la nostalgie de tout un peuple, qui se vécut un temps comme la lumière sur le monde en rassemblant des hommes aux cultures et aux religions aussi diverses que leurs langues. Mais, cette année, on frise l’overdose : le 21 novembre, le pays alpin commémore le centième anniversaire de sa disparition à l’âge – canonique pour l’époque – de 86 ans.

« Le monarque impotent »

L’eau a cependant coulé sous les ponts et les Autrichiens semblent désormais intéressés par le côté obscur de sa force. Cette dernière pointe facilement, derrière les monuments baroques et la nostalgie pour ce « monde d’hier » qu’entretiennent toujours l’œuvre de Stefan Zweig et les sucreries cinématographiques avec Romy Schneider.

En début d’année, l’hebdomadaire de référence Profil avait déjà déboulonné la figure tutélaire en lui consacrant un numéro spécial au titre peu flatteur : « Le monarque impotent ». Une telle irrévérence aurait été inimaginable il y a encore quelques années, les Autrichiens restant attachés aux fastes désuets de la monarchie danubienne. Celui qui régna soixante-huit ans sur un vaste territoire multi-ethnique de cinquante millions d’habitants y est décrit comme un personnage « gauche » et un chef des armées « peu compétent ».

Introspection critique

À l’occasion d’expositions pour le centenaire de sa mort, sa part de responsabilité dans la valse des funambules qui mena l’Europe à sa ruine et aux rivières de sang de la première guerre mondiale est également rappelée. Le 28 juillet 1914, Franz-Joseph signa en effet la déclaration de guerre à la Serbie, ce qui contribua grandement à déclencher le conflit mondial. On l’oublierait presque, en se baladant sur les avenues Belle Époque du centre historique, magistralement préservé, de Vienne.

Certes, il n’y a pas de débat pour savoir s’il faut déboulonner les statues à son effigie ou débaptiser gare et hôpital portant son nom, mais l’introspection critique est tout à fait sincère et dépolitisée.

« Il y a beaucoup de clichés sur le bon vieil empereur à corriger ou à relativiser. » Karl Vocelka, historien

« Il y a beaucoup de clichés sur le bon vieil empereur à corriger ou à relativiser et la présentation qui est faite de François-Joseph est plus différenciée, commente l’historien Karl Vocelka, commissaire d’une des expositions et auteur d’une récente biographie très équilibrée. Il a vécu longtemps, avec des séquences différentes révélant ses qualités, mais aussi ses faiblesses. » La volonté de domination des puissances victorieuses en 1918 a longtemps été rendue responsable du démembrement de l’Autriche-Hongrie. Mais les Autrichiens, désormais, interrogent aussi l’incapacité de l’empereur à renforcer le fédéralisme et à répondre aux problèmes sociaux de ses sujets.

Culte de la personnalité et propagande

Et à l’heure où des voix plus nombreuses s’élèvent pour présenter l’Empire austro-hongrois comme un modèle du « vivre-ensemble » pouvant servir d’exemple pour les temps troublés qui nous viennent – l’islam y avait droit de cité –, d’autres rappellent aussi le culte de la personnalité instauré par le monarque et sa propagande implacable, qui servaient à cimenter une cohésion souvent inexistante ailleurs que dans quelques quartiers de la capitale. Elle ne protégea pas le souverain « modérément talentueux » (la formule est du quotidien conservateur Die Presse) des bouleversements extraordinaires d’une époque qui eut raison de sa persévérance.

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