Un Haïtien vérifie la présence de son nom sur une liste d’électeurs, le 25 octobre à Port-au-Prince. | Ricardo Arduengo / AP

Les responsables politiques, les ténors du monde des affaires et de la société civile et les diplomates étrangers s’accordent sur l’importance de l’élection présidentielle et des législatives qui auront lieu dimanche 20 novembre en Haïti. Pourtant, un mois et demi après l’ouragan Matthew qui a ravagé une partie de l’île et au terme d’un processus électoral chaotique qui a débuté en août 2015, les électeurs ne sont guère mobilisés. Une forte abstention compromettrait la légitimité des nouvelles autorités.

L’ouragan, qui a dévasté quatre départements du sud, faisant plusieurs centaines de morts et plus de 2 milliards de dollars de dégâts, a provoqué un nouveau report des élections programmées pour le 9 octobre. L’urgence humanitaire est loin d’être terminée dans le sud, surtout dans les villages isolés. Des pluies diluviennes se sont abattues la semaine dernière sur le nord et le nord-est du pays, faisant une douzaine de morts dans la région du Cap-Haïtien, la deuxième ville du pays. La campagne a repris timidement ces derniers jours. Mais de nombreuses personnes, dans les quartiers populaires de Port-au-Prince, n’étaient pas décidées à voter, se plaignant de la misère, de l’inflation et de la crise qui n’a cessé de s’aggraver.

« Ces élections sont fondamentales pour l’avenir du pays, explique pourtant au Monde Jocelerme Privert, le président à titre provisoire. Toutes nos institutions sont menacées de dysfonctionnement si les élections ne sont pas réalisées : le deuxième lundi de janvier 2017, il n’y aurait plus de Parlement, ni de gouvernement, ni de président légitimes et Haïti quitterait la liste des pays démocratiques. »

Les routes coupées par l’ouragan ont été rouvertes. Les autorités affirment que le matériel électoral pourra être acheminé. Environ 250 écoles endommagées par Matthew ont été remises en état afin d’héberger les bureaux de vote. « Il n’est pas question d’évacuer par la force les écoles publiques qui servent toujours d’abris provisoires aux sinistrés, des tentes seront dressées pour abriter les centres de vote », affirme M. Privert.

« Les conditions sont extrêmement difficiles, le conseil électoral a tardé à relancer une campagne de motivation et nous savons que les élections ne seront pas parfaites, mais il faut qu’elles soient acceptables, sinon Haïti plongera dans le chaos », résume Pierre Espérance, le porte-parole d’un consortium d’organisations de la société civile, qui va déployer plus de 3 000 observateurs sur tout le territoire.

« Déchoukaj électoral »

En l’absence de sondages crédibles, diplomates et journalistes pèsent les chances des uns et des autres. Le conseil électoral a annoncé que les résultats ne seraient connus qu’une semaine après le premier tour. « Il me paraît impossible qu’un candidat soit élu au premier tour », avance le journaliste Hérold Jean-François. Le nombre de candidats à la présidence a été divisé par deux depuis octobre 2015. Quatre se détachent du lot, sur les 27 toujours en lice. Les deux favoris, Jovenel Moïse, le candidat du parti de l’ancien président Michel Martelly, et Jude Célestin, l’ancien dauphin de l’ex-président René Préval, étaient arrivés en tête lors du scrutin d’octobre 2015, qui avait été annulé pour fraude.

Financés par des chefs d’entreprise dans la plus grande opacité, ils ont visiblement plus de moyens que leurs concurrents. « Jovenel, le seul qui dispose d’un hélicoptère, a un temps d’avance et se vante d’avoir fait cinq fois le tour des dix départements », raconte un ambassadeur. « Le retard pris par le processus électoral lui a permis de se détacher du clan corrompu de Martelly et de ne plus apparaître comme la créature de l’ancien président », estime Réginald Boulos, l’une des figures les plus en vue du monde des affaires. « Jovenel a dépensé plus en publicité que tous les autres candidats réunis », calcule Pierre Espérance. « Mais Jude Célestin n’a pas baissé, au contraire, il pourrait bénéficier de la bataille qu’il a menée pour dénoncer la fraude d’octobre 2015 malgré les fortes pressions de la communauté internationale qui ne voulait pas annuler ce scrutin », ajoute-t-il.

A Port-au-Prince, le 15 novembre. | HECTOR RETAMAL / AFP

Deux autres candidats, Maryse Narcisse, du parti Fanmi Lavalas (« Famille Lavalas ») et Moïse Jean-Charles, de la Plate-Forme Pitit Dessalines, espèrent bien troubler le duel des deux favoris. Silencieux depuis son retour d’exil, le fondateur de Fanmi Lavalas, l’ancien président Jean-Bertrand Aristide, a multiplié les meetings en faveur de sa candidate. Il a retrouvé le verbe enflammé qui l’avait porté à la présidence en décembre 1990, accusant les adversaires de sa protégée d’être « des menteurs, des corrompus et des voleurs ».

« Maryse présidente ou déchoukaj électoral », clamait l’un de ses jeunes partisans jeudi lors d’un meeting dans la banlieue populaire de Carrefour, près de Port-au-Prince. Ce slogan en forme de menace de contestation, lancé il y a quelques jours par M. Aristide, a semé la préoccupation au point que l’ambassade des Etats-Unis a publié un communiqué rappelant que « l’intimidation et la violence sont inacceptables et ont des conséquences négatives sur la participation des citoyens aux élections ».

Après l’annulation du scrutin d’octobre 2015, contre l’avis des principaux bailleurs de fonds qui l’avaient largement financé, les « pays amis », à commencer par les Etats-Unis et les Etats de l’Union européenne, avaient annoncé qu’ils ne paieraient pas de nouvelles élections. Malgré l’état calamiteux des finances publiques, le gouvernement du président Privert a trouvé 25 millions de dollars (24 millions d’euros) pour financer le premier tour. Mais Matthew a alourdi l’ardoise d’au moins 5 millions de dollars. Après le passage du cyclone, les Etats-Unis ont remis la main au portefeuille et la communauté internationale espère bien pouvoir valider des élections qu’elle avait boudées.

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