Membres des forces armées japonaises dans le cadre de l’opération de maintien de la paix de l’ONU, à Juba, au Soudan du Sud, le 7 janvier 2014. | © James Akena / Reuters / REUTERS

Au Japon, la question de l’implication de l’armée à l’étranger reste un sujet extrêmement sensible. La récente décision du gouvernement de Shinzo Abe d’autoriser l’extension des missions dévolues aux troupes de la Force d’autodéfense (FAD, armée japonaise) actuellement envoyées au Soudan du Sud, pays en état de guerre civile, en témoigne.

Mardi 15 novembre, le cabinet de M. Abe a décidé d’autoriser ces troupes, qui interviennent dans le cadre de l’opération de maintien de la paix des Nations unies (Unimiss), à mener des opérations dites « kaketsuke-keigo », ce qui signifie littéralement « se précipiter dans des endroits éloignés pour protéger et sauver ».

Il s’agit d’une première depuis l’adoption, en septembre 2015, d’une législation controversée sur la sécurité nationale, qui a étendu le rôle des forces armées à l’étranger, rapporte le quotidien de gauche Asahi Shimbun.

Cette nouvelle disposition plan élargit et modifie le mandat des troupes japonaises qui, jusqu’à présent, travaillent sur des projets d’infrastructures dans des zones non combattantes dans le cadre de l’Unimiss depuis 2012, remarque The Daily Caller.

La situation est très critique au Soudan du Sud et les forces gouvernementales et les forces de l’ONU ont même échangé des tirs pendant des combats en juillet, quand la violence a éclaté à Juba, la capitale.

Révolution pour le Japon

L’objectif principal du « kaketsuke-keigo » est de protéger les employés des Nations unies ou des organisations non gouvernementales qui travaillent dans un endroit éloigné et qui seraient attaqués.

L’ensemble des lois sur la sécurité du Japon, adoptées l’année dernière, permettent aux membres des FAD d’utiliser leurs armes pour protéger ces travailleurs, alors que dans le passé, les armes ne pouvaient être utilisées que pour l’autodéfense des seules forces japonaises.

Les membres des FAD peuvent désormais tirer des coups de semonce pour faire reculer un groupe armé ou des émeutiers. Ils peuvent également répondre à des tirs s’ils sont attaqués ou se sentent en danger de mort. Cette évolution est inédite depuis la seconde guerre mondiale.

Les membres de la 9e division des FAD basée dans la ville d’Aomori dans le nord du Japon devraient partir pour le Soudan du Sud le 20 novembre. Au total, 350 soldats supplémentaires y seront envoyés. Les nouvelles fonctions de cette unité prendront effet à partir du 12 décembre.

Les membres des FAD seront également autorisés, théoriquement – souligne le South China Morning Post –, à des efforts conjoints de protection des camps de l’ONU avec ceux d’autres forces expédiées par les pays qui font partie de l’opération de maintien de la paix.

Les réserves « rassurantes » du cabinet Abe

Le cabinet du premier ministre a publié un document qui expose ses réflexions sur les nouvelles tâches à confier aux FAD. Le document définit le « kaketsuke-keigo » comme « une mesure qui ne sera mise en œuvre que de manière extrêmement limitée et qui servira de mesure d’urgence et temporaire qui entrera dans les limites des capacités » des FAD. La zone dans laquelle cette tâche peut être mise en œuvre a été limitée à « Juba et les régions avoisinantes ».

Le document indique également que l’utilisation du « kaketsuke-keigo » pour protéger des troupes d’autres nations n’est pas considérée comme une option viable.

Le gouvernement japonais tente donc de minimiser l’idée que sa nouvelle mission serait dangereuse, en affirmant que les membres des FAD ne seront appelés à la rescousse que si les autorités du Soudan du Sud ou d’autres troupes de l’ONU responsables de l’application de la loi ne peuvent pas répondre à l’urgence.

Mais les partis d’opposition sont inquiets. Ils ont utilisé les délibérations à la Diète (le Parlement) pour souligner les risques accrus auxquels doivent faire face les membres des FAD. Ils affirment que certaines des cinq conditions de participation aux opérations de maintien de la paix (trêve entre les belligérants, acceptation par les belligérants de la participation du Japon aux opérations de maintien de la paix des Nations unies) ne sont pas remplies au Soudan du Sud.

Certains opposants redoutent que les troupes des FAD se trouvent en situation d’échanger des tirs avec les forces gouvernementales, ce qui risquerait de constituer une violation de l’article 9 de la Constitution japonaise qui ne reconnaît pas le droit de belligérance de l’Etat. Dans un éditorial, l’Asahi Shimbun a estimé que le gouvernement devrait plutôt préparer un plan de retrait en cas de guerre civile.

Craignant l’implication des forces japonaises dans un conflit armé, des centaines de personnes se sont rassemblées le 15 novembre devant le bureau de M. Abe pour manifester contre l’adoption d’une mesure jugée trop risquée et contraire à l’esprit pacifiste de la Constitution. « La sécurité est une préoccupation. Si ce n’était pas dangereux, pourquoi auraient-ils besoin de porter des armes ? », s’inquiète Kiro Chikazawa, un fonctionnaire de Tokyo qui a participé à la manifestation.