Dans une société hyperconnectée, où plus de 8 Français sur 10 fréquentent Internet, l’école entend tirer parti des nouvelles technologies. Elle apprend en tout cas à le faire, d’un « plan numérique » à l’autre, adaptant ses gestes professionnels, transformant ses relations avec les élèves, les parents… Mais d’Internet et des réseaux sociaux, l’école peut, parfois aussi, être la victime : c’est le sens de la conférence que les Autonomes de solidarité laïque (ASL), association de défense des intérêts des enseignants à laquelle la moitié d’entre eux adhère, organisait jeudi 17 novembre à Paris, dans le cadre du salon Educatec Educatice, pour appeler au « bon usage » des nouveaux outils.

Sur les quelque 5 000 dossiers de « protection professionnelle juridique » que les ASL ont ouverts durant l’année scolaire 2015-2016, 200 à 300, soit environ 5 %, relèvent de « préjudices informatiques ». Quantitativement, cela pèse à peine ; d’une année sur l’autre, la proportion est stable. Mais sur le fond, les évolutions qui se dessinent inquiètent.

« D’un usage débridé des nouveaux outils numériques, nous avons vu naître des attitudes plus violentes, explique Vincent Bouba, du bureau national des ASL. Aux échanges de mails désobligeants entre élèves sur un professeur, à la mise en ligne, sous couvert d’anonymat, de sites Internet aux contenus critiques, s’ajoutent aujourd’hui la prise de photographies en classe, la mise en ligne de vidéos, voire le déchaînement d’insultes sur Facebook. »

Snapchat, Periscope et consorts sont passés par là. Le développement d’applications pour smartphone dont la cible marketing est la jeunesse, et qui transforment les collégiens en apprentis photographes ou prétendus vidéastes, joue sans doute un rôle, à l’heure où 32 millions de Français fréquentent les réseaux sociaux. Si la plupart de ces « nouveaux jouets » ne sont pas conseillés avant 13 ans, il suffit de passer devant un collège à l’heure de la sortie des cours, voire devant une école primaire, pour mesurer le degré d’équipement et de connexion de beaucoup d’enfants ou d’adolescents.

« Vaste défouloir »

Les réseaux sociaux rendent aujourd’hui possible des relations « hors les murs de la classe », soulignent les Autonomes de solidarité laïque. Parfois pour le meilleur – meilleure communication entre les acteurs de l’école, meilleure liaison pédagogique... Parfois aussi pour le pire, surtout quand la Toile se mue en « vaste défouloir » et se fait l’écho d’injures mises en ligne avec un sentiment de relative impunité.

Les jeunes en font eux-mêmes les frais : en 2013, 4 élèves sur 10 ont déclaré avoir été victimes au moins une fois de moqueries voire d’agressions en ligne, selon des estimations reprises par le ministère de l’éducation. Les personnels ne sont donc pas épargnés : « Les propos diffamatoires, les insultes ont toujours existé… Mais avec Internet, et des élèves qui ne mesurent pas les conséquences de leurs actes, c’est leur portée qui est inédite », reprend M. Bouba, plaidant pour la prévention des risques via la formation aux règles de bon usage mais aussi le rappel des droits et obligations des fonctionnaires.

Si une prise de conscience s’impose, il ne s’agit pas de tomber dans l’alarmisme : les ASL – dans la même ligne que les associations de parents d’élèves ou les syndicats d’enseignants – plaident avant tout pour une éducation responsable aux nouveaux outils numériques dont elles reconnaissent la valeur. Leur « baromètre » de l’année scolaire 2015-2015, rendu public le 17 novembre, dessine d’ailleurs une tendance plutôt optimisme : il fait état d’une diminution de 15 % des dossiers ouverts au titre de la « protection professionnelle juridique ». N’en déplaise aux candidats à la primaire de la droite, qui, lors de leur troisième débat télévisé de jeudi, ont dépeint une école mise en danger, attaquée, dépourvue d’autorité.

Les chiffres

Le baromètre rendu public par les Autonomes de solidarité laïque (ASL) est une forme d’indicateur du climat scolaire, dans la mesure où 51 % des personnels de l’éducation nationale ont adhéré à cette fédération.

  • 4 747 dossiers ont été ouverts en 2015-2016 au titre de la « protection juridique professionnelle » que délivrent les ASL, contre 5 601 en 2014-2015, soit une baisse de 15 %. Deux tiers relèvent d’agressions verbales ou de diffamation.
     
  • 67,18 % de ceux qui déclarent des sinistres sont des enseignants suivis par les chefs d’établissement (24,96 %), même si l’exposition aux risques de litiges des personnels de direction est cinq fois supérieure à celle des enseignants, au prorata des adhérents.
     
  • 14,6 % des conflits sont internes à l’établissement (litiges avec la hiérarchie, un collègue ou employé d’établissement).