L’enjeu de l’agriculture africaine est crucial. | Ilan Godfrey pour Le Monde

L’agriculture, et celle du continent africain tout particulièrement, aurait dû être au cœur des débats de la conférence sur le climat, la COP22 à Marrakech (Maroc), tant la situation est critique et les enjeux importants. Mais à l’issue des deux semaines de discussions, vendredi 18 novembre, jour de clôture de la conférence, peu de décisions concrètes ont été prises. Et les initiatives mises en avant sont restées encore générales.

L’agriculture africaine est pourtant cruciale. 60 % de la population du continent vit dans les zones rurales et compte essentiellement sur les denrées agricoles comme moyen d’existence, rappelle la Banque africaine de développement dans un rapport publié en août 2016. L’Afrique, qui représentait 17 % de la population mondiale en 2010, en comptera un quart en 2050, et plus d’un tiers à la fin du siècle. Comment nourrir les deux à trois milliards d’habitants que comptera le continent dans trente-cinq ans avec des terres fragilisées ?

Car si les pays africains ne sont responsables que de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ils sont les plus touchés par les conséquences du réchauffement climatique. Leurs sols sont affectés par l’érosion, l’augmentation des températures et la sécheresse, tous les « phénomènes qui perturbent la quantité d’eau disponible pour les cultures, le bétail, les forêts et la pêche », selon les mots de Maria Helena Semedo, directrice générale adjointe de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Or, l’agriculture est à la fois problème et solution face au changement climatique. Alors qu’elle représente un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre, les sols agricoles, comme les océans et les forêts, stockent le carbone, limitant donc le réchauffement.

Discussions renvoyées à 2017

Autant dire que le dossier agricole est sensible et les approches divergentes. D’un côté, les pays africains, et plus généralement ceux du G77 et la Chine, veulent l’aborder sous l’angle de l’adaptation et des moyens financiers à mettre en œuvre pour aider l’agriculture des pays du sud à affronter le changement climatique. De l’autre, les pays développés s’avèrent plus soucieux de parler d’atténuation, c’est-à-dire de diminuer les émissions de gaz à effet de serre liées aux activités agricoles.

Soumises à cette double pression, les discussions officielles au sein de l’organe scientifique et technique de la COP se sont achevées sur un blocage. En cause toujours, l’articulation entre atténuation et adaptation. Les discussions ont été renvoyées en 2017, à Bonn, lors de la prochaine COP. « Ce statut quo des discussions dans lequel s’enfoncent les Etats est d’autant plus inadmissible qu’il y a urgence à agir dans le domaine. Tant que la transition de nos modèles de production et de consommation ne sera pas abordée, la lutte contre les dérèglements climatiques ne sera pas traitée dans sa totalité », estime Anne-Laure Sablé, chargée de plaidoyer souveraineté alimentaire et climat, au CCFD-Terre Solidaire.

Pour autant, l’importante de la question agricole dans la lutte climatique ne se résume pas à cette discussion formelle. « L’urgence des enjeux se traduit avant tout dans l’engagement des Etats à réduire les émissions de gaz à effet de serre au travers de leurs contributions nationales [l’agriculture est présente dans la quasi totalité de ces contributions], et dans la nécessaire modification à long terme des modèles agricoles », explique Sébastien Treyer, de l’Institut du développement durable et des relations internationales.

Des visiteurs du sommet sur le climat assistent à une présentation multimédia sur l'agriculture au stand de l'initiative pour l'Adaptabilité de l'agriculture en Afrique (AAA). | ARTHUR GAUTHIER/HANS LUCAS POUR LE MONDE

« Agriculture intensive qui détruit les terres »

Preuves de l’importance du sujet, de nombreux événements lui étaient consacrés, tout au long de la COP22 : « Initiative AAA » (pour Adaptation de l’agriculture africaine) conduite par le Maroc, initiative « 4 pour 1000 » – qui fait référence au stockage du carbone dans les sols : en augmentant la quantité de 0,4 % la quantité de carbone dans les sols, on stoppe l’augmentation annuelle de CO2 dans l’atmosphère – lancée par la France (à la COP21) et plus de quarante réunions sur ce thème…

Dans les salons du luxueux hôtel Es Saadi, à quelques kilomètres du site de la COP, jeudi 17 novembre en fin de journée, Djigo Bagna, agriculteur à Namari, au Niger, a adressé un message aux nombreux ministres présents et, en particulier, au ministre de l’agriculture français, Stéphane Le Foll, qui présidait au lancement opérationnel de l’initiative « 4 pour 1000 ». « Cette idée est pertinente car elle pousse à repenser les modèles agricoles, mais il faut éviter que cela reste au niveau des discussions ou des recherches scientifiques, il faut des actes politiques », insiste Djigo Bagna. Venu porter la parole de l’agroécologie, de l’agriculture familiale, à Marrakech, il attend des responsables politiques qu’ils soutiennent ce modèle. « Les Etats africains veulent une agriculture intensive qui détruit les terres. On en connaît les dégâts, alors que nos pratiques démontrent qu’on peut produire en qualité, en quantité et durablement », explique le paysan nigérien.

Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement français et ministre de l'agriculture, s'exprime lors de la conférence de presse de l'intiative pour l'Adaptabilité de l'agriculture africaine lors du sommet pour le climat. | Arthur Gauthier I hanslucas.com / Arthur Gauthier I hanslucas.com

A la tribune, Stéphane Le Foll évoque, lui, le passage de la « révolution verte à la révolution doublement verte, écologique », vantant un modèle qui « soit, demain, moins intensif en machine, et beaucoup moins intensif en chimie ». Le ministre français défend le « 4 pour 1000 » qui permet de fertiliser les sols, de lutter contre la désertification, et promeut les modèles de l’agroforesterie, de l’agroécologie, « l’agriculture de conservation » aussi.

Agroécologie contre agriculture de conservation

Certaines des ONG présentes pointent, elles, l’absence de critères sociaux et environnementaux et le manque de cadre qui permet de mettre sur le même plan agroécologie et agriculture de conservation. Or, cette dernière qui consiste à ne pas labourer, à maintenir une couverture végétale des sols, à organiser la rotation des cultures, nécessite le recours aux herbicides. « Je ne vois pas de problème à utiliser du glyphosate, à traiter avant de semer, cela me permet de limiter les herbicides après et de garder une couverture végétale », se défend Miguel Barnuevo, agriculteur espagnol, qui possède 120 ha de céréales dans la région d’Albacete, adepte de l’agriculture de conservation. « Pour que l’agriculture soit durable, qu’elle produise des denrées en quantité suffisante, il faut se servir de tous les outils dont nous disposons, matériels, fertilisants, les produits phytosanitaires aussi, en essayant d’en utiliser le moins possible », résume, en défense de l’agriculture de conservation, Benoît Lavier, président de l’Association pour la promotion d’une agriculture durable.

Autre sujet de discussion et de doute pour les ONG : l’initiative Triple A du Maroc. Lancée en mai 2016, cette « initiative AAA vise à renforcer la résilience des agriculteurs africains en promouvant une gestion durable des sols, une meilleure gestion de l’eau et une gestion des risques », a expliqué, mercredi, Mohamed Badraoui, président du comité scientifique de l’initiative, qui bénéficie du soutien de la FAO et de vingt-huit pays africains. Il s’agit aussi de faire en sorte que les milliards promis par les pays du Nord aux pays du Sud, pour l’adaptation au changement climatique, puissent profiter à l’agriculture africaine.

Et aux phosphates marocains, ajoutent malicieusement certaines ONG. L’Office chérifien des phosphates, très présent lors de cette présentation, défend l’emploi d’engrais phosphatés pour assurer une plus grande fertilité des sols. « Au sein de l’initiative AAA, on retrouve inlassablement les mêmes acteurs du secteur privé de l’industrie agro-alimentaire, largement responsables des émissions de gaz à effet de serre liées au système alimentaire », dénonce Anne-Laure Sablé (CCFD).

Au final, tous insistent sur l’importance du rôle de l’agriculture dans la lutte contre le réchauffement climatique. Mais il n’est pas sûr que la conscience de l’urgence ait atteint l’ensemble des acteurs d’une négociation restée en friche.