Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et François Fillon, en 2015. | JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP

  • Comment le principe d’une primaire à droite finit par s’imposer

En 2011, le succès de la primaire socialiste est un déclic pour le parti de droite, qui s’appelle encore l’UMP. Le processus n’a pourtant rien de naturel pour cette famille politique habituée à adouber son chef de parti comme candidat à l’Elysée. Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé s’opposent au principe d’une primaire ouverte, mais les leçons du passé rattrapent finalement le parti. Craignant de revivre un scénario à la 1995, quand deux candidats issus du parti s’étaient affrontés (Jacques Chirac et Edouard Balladur, dont la rivalité avait d’ailleurs fait avorter un premier projet de primaire), l’UMP se met finalement d’accord pour acter le principe d’une primaire ouverte en vue de l’élection présidentielle de 2017.

Trois anciens premiers ministres, MM. Balladur, Juppé et Fillon, défendent l’idée d’une primaire ouverte à l’ensemble de « la droite républicaine », jusqu’au Mouvement démocrate (MoDem), de François Bayrou. Finalement c’est une primaire ouverte à l’Union des démocrates et des indépendants (UDI) et au parti chrétien démocrate (PCD) qui est actée par la commission des révisions des statuts de l’UMP en avril 2013 et inscrite dans les statuts de l’UMP deux mois plus tard.

Pourtant l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence du parti en novembre 2014 inquiète les artisans de cette nouveauté. Et si l’ancien chef de l’Etat remettait en cause le principe d’une primaire ouverte ? Derrière cette bataille se dessine déjà en creux celle de la participation. Alain Juppé sait qu’il a besoin des électeurs centristes pour remporter le match, contre un Nicolas Sarkozy dans sa zone de confort avec le seul vote des adhérents du parti.

Les futurs adversaires de M. Sarkozy pressent alors leur nouveau chef de s’atteler au plus vite au grand chantier des règles de la primaire. L’organisation du scrutin est finalement validée en avril 2015 par la rédaction et l’adoption d’une charte de la primaire.

Le président du parti UDI, Christophe Lagarde (D) et le maire de Bordeaux, Alain Juppé (G), à Bazas, près de Bordeaux, lors d’une réunion publique, le 5 mars 2015. | JEAN-PIERRE MULLER / AFP

  • La rupture avec les centristes

La primaire annoncée comme celle de la droite et du centre se fera finalement… sans le centre. Les relations entre Les Républicains et l’UDI se dégradent au début de l’année 2016. Le patron du parti centriste, Jean-Christophe Lagarde, avait cherché à ouvrir des négociations avec son homologue des Républicains, Nicolas Sarkozy, de manière à établir un « accord de gouvernance ». Ce dernier devait surtout permettre de trouver un terrain d’entente sur les investitures aux législatives de 2017. En vain. Devant l’absence de réponse de l’ancien chef de l’Etat, M. Lagarde se prononce en mars contre une participation de l’UDI à la primaire. Il est suivi par les adhérents de sa formation, qui valident à 66,56 % ce refus.

Six mois plus tard, en octobre, M. Lagarde et quelque 600 élus UDI (dont 18 députés et 27 sénateurs) annoncent dans Le Monde leur soutien à Alain Juppé pour la primaire. Des personnalités centristes font toutefois des choix différents : Hervé Morin, président du Nouveau centre (parti associé à l’UDI) et le député Yves Jégo se rangent derrière Bruno Le Maire. L’ancien ministre Maurice Leroy, également membre du Nouveau centre, soutient Nicolas Sarkozy.

Alain Juppé (C), maire de Bordeaux et candidat à la présidence du parti LR, assiste à une réunion à Chatou, le 27 août 2016. | LIONEL BONAVENTURE / AFP

  • La popularité durable d’Alain Juppé

Comme elles semblent loin, les années d’impopularité et de disgrâce ! Dès la défaite à la présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012, Alain Juppé est apparu comme un recours sérieux à droite. En 2014, après sa victoire aux municipales à Bordeaux – il est réélu maire dès le 1er tour avec 61 % des voix –, le voilà lancé : il annonce en août sa candidature à la future primaire de la droite. En quelques mois, Alain Juppé devient la personnalité politique la plus populaire du pays.

Le maire de Bordeaux a toutefois un petit coup de mou en juillet 2016, après l’attentat de Nice. M. Juppé adopte un ton offensif et déclare que le « si tous les moyens avaient été pris, le drame n’aurait pas eu lieu », ce qui lui attire des critiques à droite et à gauche. Il se relance fin août lors de sa rentrée politique à Chatou jouant une partition anti-Sarkozy :

« Je refuserai toujours d’instrumentaliser les peurs, de flatter les bas instincts. »

Dans une campagne qui penche à droite, Alain Juppé table sur son image de modéré et séduit au-delà de son camp. Il obtient le soutien de la majorité des centristes – dont celui de François Bayrou – et invite lui-même les électeurs de gauche à participer à la primaire. Au fil des mois, l’ancien premier ministre ne perd pas sa place de leader dans les sondages mais son avance fond dans la dernière ligne droite.

Bruno Le Maire, Alain Juppe, Nathalie Kosciusko-Morizet, Nicolas Sarkozy, Jean-Francois Cope, Jean-Frederic Poisson et Francois Fillon le 13 octobre. | Philippe Wojazer / Reuters

  • Sept qualifiés, Mariton éliminé

Après des mois de chasse aux parrainages, ils sont finalement huit à parvenir à déposer leur candidature auprès de la Haute Autorité de la primaire le 9 septembre 2016. Hervé Mariton et Nathalie Kosciusko-Morizet réussissent, de justesse, à recueillir le nombre de parrainages suffisants pour pouvoir se présenter.

Mais il faudra attendre le 21 septembre pour connaître les qualifiés, après vérification des parrainages par la Haute Autorité. Ils ne sont alors plus que sept sur la ligne de départ : Jean-François Copé, François Fillon, Alain Juppé, Nathalie Kosciusko-Morizet, Bruno Le Maire, Jean-Frédéric Poisson et Nicolas Sarkozy. M. Poisson, président du Parti chrétien-démocrate, était qualifié d’office en tant que responsable d’un parti associé au processus. Hervé Mariton est, lui, écarté par la Haute Autorité, certains de ses parrainages s’étant révélés invalides. La campagne peut démarrer.

Nicolas Sarkozy (C), entouré de journalistes, alors qu’il quitte la mairie de Calais, le 21 septembre 2016. | PHILIPPE HUGUEN / AFP

  • Frites, gaulois et climat… Sarkozy fait du Trump

Fin d’un vrai-faux suspense, Nicolas Sarkozy annonce sa candidature dans un livre Tout pour la France (Plon, 232 pages, 18 euros) à la fin de l’été et quitte dans le même temps la présidence du parti. Il est remplacé temporairement par Laurent Wauquiez et entame une tournée de dédicaces, jouant de l’image de popularité que celle-ci lui offre.

Pour marquer son terrain à droite, l’ancien chef de l’Etat joue une partition qui a fait le succès de Donald Trump aux Etats-Unis : la surenchère populiste. Acculé par les affaires, alors que son renvoi en correctionnelle dans l’affaire Bygmalion a été requis par le parquet et que Ziad Takieddine affirme lui avoir remis une valise d’argent libyen en 2007, Nicolas Sarkozy contre-attaque. De « nos ancêtres les Gaulois » à la « double ration de frites à la cantine » à la place des repas de substitution, il joue des petites phrases raillant les « bien-pensants » et les « bobos ».

L’ancien chef de l’Etat s’en prend également aux fondements de l’Etat de droit, qualifiant d’« arguties juridiques » les débats sur la modification de la Constitution et défendant l’internement des fichés « S ». Enfin, comme Donald Trump, il se fait climatosceptique en affirmant, courant septembre, que « l’homme n’est pas le seul responsable » du changement climatique espérant que le vent de « l’antisystème » soufflera en sa faveur.

Le président français Nicolas Sarkozy accompagné par le chef du MoDem, Francois Bayrou, et le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi (C), visitent le constructeur de moteurs d’hélicoptères Turbomeca à Bordes, dans le sud-ouest de la France, le 22 juin 2010. | Philippe Wojazer / Reuters

  • La discorde autour de Bayrou

Au cœur du mois d’octobre, Nicolas Sarkozy sort également les couteaux. Sa cible : François Bayrou qui, depuis des mois, affiche son soutien à Alain Juppé et invite les centristes à voter pour le maire de Bordeaux, tout en répétant qu’il ne se déplacera pas lui-même le jour du scrutin.

Les tensions entre les deux hommes sont anciennes. M. Sarkozy n’a jamais pardonné à M. Bayrou de s’être rallié à François Hollande pour le second tour de la présidentielle de 2012. Aussi s’attache-t-il, pendant la campagne de la primaire, à faire du maire de Pau un symbole : celui d’une soi-disant « alternance molle » contre son « alternance forte et franche ». « Il nous a fait entrer dans le socialisme, ce n’est pas lui qui va nous en faire sortir », attaque l’ex-chef de l’Etat lors d’un meeting à Marseille.

Les amabilités se poursuivent et atteignent leur point culminant le 29 octobre, quand M. Bayrou se fend d’une mise au point acide sur Facebook. Il y évoque la campagne de Nicolas Sarkozy pour la primaire, menée, selon lui, par un homme « en perdition dans les sondages », « abusé par sa propre angoisse et sa propre fuite en avant », « lâchant des insultes avec un mépris affiché », « crachant sur ceux qui ne votent pas pour lui ».

Derrière M. Bayrou, c’est Alain Juppé qui est visé. Les sarkozystes agitent un accord secret entre les deux hommes, qui ferait entrer jusqu’à « 150 députés » centristes à l’Assemblée nationale.

Nicolas Sarkozy et Francois Fillo, aident Bruno Le Maire à monter sur la scène à l’issue d’un rassemblement à Paris , le 30 mai 2015. | Philippe Wojazer / Reuters

  • Fillon remonte et Le Maire s’effondre

Tout à coup, sur la dernière ligne droite, il a tiré son épingle du jeu. Jusque-là bon quatrième, François Fillon grignote du terrain sur Bruno Le Maire, dont la cote s’effondre au fil de la campagne. L’ancien premier ministre, qui clame à longueur de meeting que les sondages se trompent, parvient à s’immiscer dans le match Juppé-Sarkozy au point de faire vaciller les états-majors des candidats jusque-là favoris.

A qui profitera sa remontée ? Selon la dernière enquête du Cevipof pour Le Monde, c’est à Alain Juppé qu’il semble prendre du terrain. Mais quels électeurs se déplaceront dimanche pour ce vote inédit ? Seule l’ampleur de la mobilisation fera le vainqueur.