Devant la centrale à gaz Ciprel, à Abidjan en Côte d’Ivoire. | Matteo Maillard

Afin de réaliser son objectif d’émergence, la Côte d’Ivoire a prévu de doubler son potentiel électrique d’ici à 2020 en passant des 2 000 MW produits aujourd’hui à 4 000 MW. Pour y parvenir, le gouvernement a développé un plan de production destiné à privilégier bientôt l’hydroélectricité et les énergies renouvelables sur le gaz. Pour l’instant, les énergies renouvelables sont peu utilisées malgré un potentiel important en biomasse qu’apporterait la valorisation des déchets dans les cultures de cacao et de coton.

Présentation de notre série : Traversée d’une Afrique bientôt électrique

Si des barrages sont prévus dans le plan directeur, notamment celui de Soubré qui produira l’année prochaine 275 MW, la stratégie de la Côte d’Ivoire reposera encore ces prochaines années en grande partie sur le gaz. L’Etat ivoirien a demandé aux centrales à gaz du pays d’augmenter leurs capacités de production, même si les gisements gaziers du pays seront à sec d’ici 2025. La Compagnie ivoirienne de production d’électricité (Ciprel), premier producteur d’électricité de Côte d’Ivoire et société appartenant au groupe français Eranove, devrait bientôt signer l’ouverture d’une cinquième centrale à Abidjan. Entretien avec Bernard Kouassi N’Guessan, directeur général de la société.

Dans les années 1980 le mix énergétique était dominé par l’hydroélectrique. Depuis la privatisation du secteur de l’électricité en Côte d’Ivoire, c’est le gaz qui est privilégié, pourquoi ?

A la fin des années 1970, la Côte d’Ivoire explorait ses côtes à la recherche de pétrole et de gaz naturel. Ils ont trouvé au large de Jacqueville un champ de gaz sec, sans pétrole, le champ Foxtrot. Mais à l’époque, le gaz n’avait pas autant de valeur que le pétrole. Le puits a donc été rebouché pour ne pas le laisser fuir.

Mais une vingtaine d’années plus tard, la Compagnie des énergies nouvelles de Côte d’Ivoire (CENCI) (appartenant au groupement SAUR/Bouygues/EDF) a décidé de l’exploiter pour produire de l’électricité. En 1992, ils ont signé le contrat d’exploitation. Une plateforme a été construite en mer pour acheminer le gaz et commencer à produire de l’électricité. En 1994, ils créent la Compagnie ivoirienne de production d’électricité (Ciprel) afin d’exploiter ce champ de gaz qui encore aujourd’hui alimente nos centrales et délivre plus de 70 % du gaz utilisé dans les centrales du pays.

Dans la salle de contrôle de la centrale à gaz de Ciprel, à Abidjan, en Côte d’Ivoire. | Matteo Maillard

Comment Ciprel s’est développée et combien d’énergie produisez-vous ?

Nous avons démarré en 1994 avec une centrale de 99 MW composée de trois turbines à gaz. En 1997, nous nous sommes agrandis avec une deuxième centrale d’une turbine à gaz de 111 MW. La crise de 1999 a ralenti les investissements. La troisième turbine à gaz de 111 MW a été mise en service en 2009. Puis nous sommes passés au cycle combiné : nous avons construit une nouvelle turbine de 111 MW et l’avons reliée à deux chaudières de récupération des gaz d’échappement. La vapeur produite par les chaudières est récupérée dans une turbine à vapeur, produisant ainsi de l’électricité tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Nous produisons au total 556 MW sur le site de Ciprel à Abidjan, où sont regroupées toutes nos centrales.

Aujourd’hui vous prévoyez une cinquième centrale ?

Oui, nous avons signé il y a un mois. ll s’agira de construire deux turbines à gaz et une turbine à vapeur avec chaudières de récupération. Les travaux commenceront dès que nous aurons les financements. Nous sommes en train de négocier avec les banques. On espère donner le premier coup de pioche au mois de juillet 2017 et à partir de là, nous pourrons commencer à distribuer le gaz un an et demi plus tard sur le réseau.

Les ressources en gaz de la Côte d’Ivoire diminuent et on estime qu’elles auront disparu d’ici à 2025. N’est ce pas un risque de poursuivre dans le gaz ?

Non, car nous pourrons toujours importer du gaz naturel liquéfié (GNL) pour alimenter nos centrales. Total a d’ailleurs signé un contrat avec l’Etat début octobre qui lui donnera la primauté des importations de gaz en Côte d’Ivoire.

Cela signifie que la Côte d’Ivoire dépendra à terme de ressources énergétiques étrangères. Cela pourrait augmenter le coût du kilowattheure (kWh) pour les consommateurs ?

De quoi parle-t-on quand on parle du coût de l’électricité ? Est-ce que c’est ce que les gens paient réellement ou est-ce leur perception de ce qu’ils devraient payer ? Le prix de l’électricité n’a pas bougé depuis des années et qu’est-ce qui n’a pas augmenté autour de nous ? Les gens qui me demandent si l’on ne peut pas baisser le coût de l’électricité, je leur réponds : êtes-vous d’accord de baisser votre salaire ?

Lorsque nous avons construit Ciprel 3 en 2009, le prix de la turbine est passé de 16 milliards à 32 milliards. Les constructeurs nous ont expliqué qu’à cause de l’inflation en Europe, le prix de l’acier et du cuivre qui composent les turbines, avait quintuplé. Il faut bien qu’à un moment ces coûts se répercutent sur le prix de vente de l’électricité.

Je posais la question en regard des violentes manifestations de juillet contre l’augmentation des prix de l’électricité. Il y a eu un mort, plusieurs blessés et les locaux de la CIE ont été incendiés. Est-ce que l’augmentation du coût pour le consommateur ne représente pas un risque pour vous ?

Je pense qu’il est important de se concerter avec les consommateurs pour faire bouger les perceptions des uns et des autres. Les consommateurs ne reçoivent que la facture mais ne se rendent pas compte de l’écosystème qu’il y a derrière. Il y a de grandes infrastructures qui coûtent chères et des Ivoiriens qui y travaillent et à qui nous devons payer des salaires décents. Pendant plus de dix ans, l’Etat et les producteurs privés n’ont pas ménagé leurs efforts pour pouvoir compenser ces inflations. Le prix de l’électricité a augmenté de moins de 1 % par an.

La vapeur à haute et basse pression pour alimenter les turbines de la centrale Ciprel à Abidjan. | Matteo Maillard

Y a-t-il une volonté de l’Etat de réorienter le mix énergétique pour ne pas dépendre en grande partie du gaz naturel, qui plus est, sera importé ?

Oui, l’Etat a décidé de changer le mix énergétique. Il souhaite mettre accent sur les barrages et l’hydroélectricité afin d’avoir d’autres sources de production que le gaz dont le prix est fluctuant. Il est prévu que le mix énergétique soit composé de plus de 11 % d’énergies renouvelables d’ici à 2030.

Le potentiel énergétique en biomasse est très important en Côte d’Ivoire, avec la valorisation des déchets de cacao, de coton, de palmier à huile… Pourquoi n’est-il pas exploité aujourd’hui ?

Pour l’instant le coût de revient de la biomasse est supérieur à celui des autres énergies. L’Etat a lancé récemment un appel à manifestation d’intérêt pour produire de la biomasse auquel nous avons postulé. Si Ciprel est choisi, nous nous lancerons dans ces énergies renouvelables.

Quel point positif voyez-vous à la production de biomasse ?

Lorsque vous faites de la biomasse, vous redistribuez l’argent à des petits acteurs, ceux qui vous vendent les déchets de cacao ou de coton. Au lieu de brûler ou jeter ces déchets, ils en tirent de nouvelles ressources qu’ils peuvent réinvestir dans leurs cultures. A terme, ils auront un meilleur niveau de vie et seront aussi capables de nous payer un peu plus cher l’électricité

La biomasse ne serait-elle pas pour vous une solution moins coûteuse que des importations de GNL ?

Pas nécessairement, même si je milite pour la biomasse… Mais vous savez, le secteur de l’énergie monte au pas de charge. En Côte d’Ivoire, nous sommes passés d’une production de 1 200 MW à 2 000 MW en cinq ans. Et nous avons l’intention de produire 2 000 MW supplémentaires ces quatre prochaines années. C’est-à-dire l’équivalent de ce que nous avons réalisé depuis l’indépendance en 1960, en une cinquantaine d’années.

L’unique manguier préservé de tout le site Ciprel d’Abidjan. | Matteo Maillard

A l’occasion de la COP22 qui se déroule à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé la série Traversée d’une Afrique bientôt électrique en allant voir, du Kenya au Maroc, en passant par le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou le Sénégal, l’effort d’électrification du continent.

Le sommaire de notre série Traversée d’une Afrique bientôt électrique

A l’occasion de la COP22 qui se déroule à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé une série d’une vingtaine de reportages qui vous emmèneront au Kenya, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sénégal et au Maroc pour découvrir l’impact d’un effort d’électrification du continent sans précédent.