C’est un jour « buvard » comme on en connaît souvent ici à l’hivernage. Des nuages bleus, gorgés, finissent par éclater en une pluie si généreuse que la lumière ne semble plus passer entre les gouttes. C’est la nuit en plein après-midi. Dans le hameau de Koroukro, en Côte d’Ivoire, toute activité doit être abandonnée par manque de visibilité. Dans l’école, les élèves ne voient plus rien au tableau noir. « Nous n’avons pas d’électricité alors nous devons interrompre les cours même si nous sommes au milieu de la journée, explique M. Nguettia, le directeur. Cela pénalise les élèves qui au final n’auront pas autant d’heures d’apprentissage que leurs camarades des villages voisins. »

Présentation de notre série : Traversée d’une Afrique bientôt électrique

De toute la circonscription de Songon, Koroukro, 800 habitants, est le seul village qui n’est pas encore électrifié. Pourtant, de beaux poteaux de béton portant des lignes basse tension défilent le long de la route qui borde le village. Ils ont été installés il y a deux ans pour alimenter le forage d’une nappe phréatique qui sert en eau potable la ville de Songon à 10 km d’une piste boueuse, presque impraticable en cette période. « On nous a dit que nous allions bientôt être raccordés au réseau, mais le village ne semble pas prioritaire, ajoute-t-il. Cela fait des années qu’on attend d’avoir l’électricité. »

« Le travail est toujours récompensé »

Peut être était-ce pour récompenser leur patience que la société Solar Pack et l’inspecteur de l’enseignement de la circonscription, Kouakou Kouamé, ont choisi ce village pour distribuer les prototypes d’un projet illuminé : le cartable solaire. Un sac à dos équipé d’un petit panneau photovoltaïque. A l’intérieur, une prise USB sur laquelle on branche une lampe LED pour éclairer pendant quatre heures les livres et les devoirs des élèves une fois la nuit tombée. Solar Pack est un produit conçu il y a deux ans par Evariste Akoumian, un entrepreneur ivoirien distribué par la société Bravo Communication que dirige Armel Koffi.

« En Côte d’Ivoire, 70 % des villages n’ont pas l’électricité, avance ce dernier. Les enfants révisent avec des lampes à pétrole, ce qui a des répercussions sur leur santé. L’objectif de ce cartable est de permettre à tout élève qui vit dans une zone non électrifiée de pouvoir étudier convenablement et ainsi réduire les inégalités scolaires entre ceux qui ont de l’électricité et ceux qui n’en ont pas. »

M. Nguettia, le directeur de l’école de Koroukro, vérifie les manuels présents dans le cartable solaire d’un élève. | Matteo Maillard

Afin de tester le produit, la société a décidé il y a sept mois d’en distribuer gratuitement 300 exemplaires dans des villages non électrifiés. Ainsi, sur les 137 élèves de Koroukro, 50 en ont reçu à la rentrée 2016. « Nous avons décidé de les remettre aux dix meilleurs élèves de chaque niveau, du CP1 au CM1, soutient le directeur M. Nguettia. C’est une source de motivation pour tout le monde, afin de montrer que le travail est toujours récompensé. » Bien qu’il reconnaisse que ce choix a pu causer quelques jalousies et privilégier des élèves déjà en bonne place, le directeur assure que les enfants en profitent pour travailler en commun. « Nous demandons aux meilleurs d’aider les moins bons dans leurs devoirs afin de tirer toute la classe vers le haut. »

En se baladant le soir à Koroukro, il n’est pas rare de voir, attablés sous des porches ou des appentis, des grappes d’enfants qui font leurs devoirs ensemble éclairés par la lampe de leur cartable. Kouassi, 8 ans, en CE2, a déjà son petit rituel. A 19 heures, après le dîner, elle se glisse sous l’appentis devant la maison et extrait un à un les manuels de son cartable. Science et technologie, histoire et géographie, éducation civique et morale, mathématiques, et français. « C’est la matière que je préfère, confie-t-elle d’une petite voix enrouée. J’aime apprendre à écrire et dessiner. » Elle agite le cartable pour en faire tomber les crayons restés au fond, puis connecte la lampe USB. Grâce à son bon résultat au test de fin d’année scolaire, elle a eu droit à son cartable solaire.

Sur les 137 élèves de l’école, seuls les 50 meilleurs ont reçu un cartable solaire. | Matteo Maillard

« Les jours où il pleut, je laisse le cartable accroché à l’extérieur de la maison pour qu’il prenne plus de soleil et je vais à l’école avec mon autre sac », explique-t-elle. Ainsi le soir, son Solar Pack a-t-il emmagasiné suffisamment d’énergie pour éclairer les exercices « à trous » qui lui prennent une heure. Souvent elle aide sa petite nièce de 5 ans à faire les siens. Plus tard, Kouassi aimerait être docteur, ce qui fait étinceler les yeux de son père. Etant l’une des plus douée de sa classe, elle ira peut-être poursuivre ses études de médecine à Abidjan, la capitale.

Premier facteur de développement

« Nous voyons déjà que ces sacs solaires ont eu un impact sur la qualité de l’apprentissage, confie le directeur de l’école. Nous sentons que les élèves travaillent mieux en classe, ils suivent plus facilement car les devoirs sont faits correctement à la maison. » Mais selon Kouakou Kouamé, l’impact des cartables solaires ne pourra véritablement être perçu qu’à la fin de l’année scolaire, « quand nous pourrons comparer les résultats des élèves avec ceux de l’année précédente », avance-t-il.

Kouassi et sa petite nièce de cinq ans avec qui elle fait les devoirs. | Matteo Maillard

D’ici là, peut-être que Koroukro aura enfin été raccordé au réseau. « Le projet d’électrification de ce hameau a été retardé il y a deux ans à cause de problèmes de financement, affirme l’inspecteur. Mais l’école construite en 2014 attire de plus en plus de familles isolées qui viennent s’y installer pour que leurs enfants bénéficient d’une éducation sans avoir à marcher des kilomètres. Le hameau grandit et atteindra bientôt une taille critique pour être électrifié. Vous savez, dans tous les hameaux, le premier facteur de développement, celui qui entraîne tous les autres, c’est l’école. » Et dans celle de Koroukro, des câbles et des prises électriques ont déjà été installées lors de la construction en prévision d’une électrification future.

En attendant le courant, parents et enseignants espèrent que des Solar Packs supplémentaires leurs seront livrés afin d’aider tous les élèves à y voir clair. Mais Armel Koffi ne peut pas en offrir d’autres pour l’instant. « Pas tant que nous n’aurons pas un appui du ministère de l’éducation ou d’ONG », ce qui semble plutôt bien parti. Dans la voiture, au retour vers la capitale, Armel a reçu un courriel de l’Unesco. Il leur avait demandé de venir appuyer le lancement du projet qui aura lieu fin novembre. Ce à quoi le directeur du bureau ivoirien « a répondu qu’il sera là pour assurer un financement, s’enthousiasme-t-il. Il dit même qu’il fera venir des représentants de l’Unicef et de la Banque mondiale ! »

Un élève rentre chez lui avec son Solar pack après les cours du matin. | Matteo Maillard

A l’occasion de la COP22 qui se déroule à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé la série Traversée d’une Afrique bientôt électrique en allant voir, du Kenya au Maroc, en passant par le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou le Sénégal, l’effort d’électrification du continent.

Le sommaire de notre série Traversée d’une Afrique bientôt électrique

A l’occasion de la COP22 qui se déroule à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé une série d’une vingtaine de reportages qui vous emmèneront au Kenya, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sénégal et au Maroc pour découvrir l’impact d’un effort d’électrification du continent sans précédent.