Editorial du « Monde ». Tout y a contribué : des candidats chevronnés, des projets nettement dessinés, enfin la conviction des votants, compte tenu de la faiblesse actuelle de la gauche, qu’ils étaient appelés à choisir le possible vainqueur de la présidentielle de 2017. Autant que la forte participation, c’est le résultat de cette primaire qui est spectaculaire. Au vu des mouvements des derniers jours, on pouvait craindre une compétition très serrée, voire confuse ou controversée, entre les trois principaux candidats qui ont émergé de la campagne. Il n’en est rien. Les électeurs ont tranché de façon nette et sans bavure.

Ils ont impitoyablement écarté Nicolas Sarkozy. L’ancien président de la République voulait croire possible un come-back inédit après son échec de 2012. Il s’en était donné les moyens, avait reconquis la présidence de l’UMP en 2014, rebaptisé son parti « Les Républicains » en 2015 et accepté, bon gré mal gré, de se plier à la procédure de la primaire. Près de 80 % des électeurs de son camp viennent de lui signifier sèchement qu’il s’était lancé dans le combat de trop.

Traditionnelle, provinciale et catholique

Après plus de trois décennies aux avant-postes de la droite, puis au premier plan de la vie politique française, c’est indéniablement une page qui se tourne. Nicolas Sarkozy incarnait une droite bonapartiste, populaire et volontiers populiste qui ambitionnait de faire barrage au Front national en lui empruntant ses thématiques et sa rhétorique. Cette option, à l’évidence, n’a pas convaincu.

Restent, face à face, deux autres sensibilités que les électeurs sont appelés à départager lors du second tour, dimanche 27 novembre. D’un côté l’inattendu vainqueur du jour, porté par une dynamique aussi tardive que foudroyante, François Fillon. Pour l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy, alors cruellement qualifié par ce dernier de simple « collaborateur » et par d’autres de « Mister Nobody », son score de 44 % ne peut avoir qu’un savoureux goût de revanche.

Cela fait longtemps que le député de Paris, après avoir été pendant trente ans celui de la Sarthe, cochait toutes les cases d’une droite traditionnelle, solide et sérieuse, provinciale et catholique, notable et bien élevée. Le voilà reconnu. Mieux, il l’est en ayant fermement défendu ses convictions. Conservateur sur le plan culturel, François Fillon s’est converti, à l’exercice du pouvoir, à un libéralisme économique et social pur et dur, seul remède, à ses yeux, à l’atonie du pays. A l’instar de Margaret Thatcher au Royaume-Uni autrefois, il propose une purge qu’il estime salutaire.

Modérée, prudente, réaliste

De l’autre côté, celui qui a fait figure de favori de cette compétition depuis qu’il s’y est lancé, l’ancien premier ministre et actuel maire de Bordeaux, Alain Juppé. Héritier de Jacques Chirac et vacciné par le puissant mouvement social qu’il avait déclenché en 1995 en voulant réformer la Sécurité sociale et les régimes spéciaux de retraite, il a retenu du chiraquisme la méfiance à l’égard des postures susceptibles de braquer un pays inquiet. Il est donc le tenant d’une droite plus modérée, plus prudente et qui se veut plus réaliste.

C’est tout le mérite de cette primaire de permettre désormais un choix réfléchi entre deux philosophies : droite thatchérienne contre droite chiraquienne. Le second tour se jouera projet contre projet, débarrassé des emballements dont Nicolas Sarkozy avait fait son arme favorite. A cet égard, c’est une bonne nouvelle pour le débat démocratique.