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François Fillon, dimanche 20 novembre. | JULIEN DANIEL / M.Y.O.P POUR LE MONDE

Selon les résultats non encore définitifs du premier tour de la primaire de la droite, dimanche 20 novembre, communiqués par la haute autorité de la primaire, François Fillon, largement en tête du premier tour avec plus de 44 % des voix, sera opposé à Alain Juppé. Françoise Fressoz, éditorialiste au Monde, a répondu à vos questions en direct.

Kim Jong Fillon : Comment expliquer une telle mobilisation en faveur de François Fillon ?

Françoise Fressoz : Elle s’explique de deux façons : il y a eu une vraie crise de leadership à droite, il n’y avait pas un leader incontesté, les électeurs avaient le choix entre sept candidats, dont trois qui avaient la particularité d’avoir exercé des fonctions régaliennes importantes : Nicolas Sarkozy, un ancien président de la République ; François Fillon, un ancien premier ministre ; Alain Juppé, un autre ancien premier ministre et ancien ministre des affaires étrangères. Mais qui, chacun, incarnait une droite différente pour affronter le FN.

Les électeurs ont eu à trancher entre trois stratégies différentes : celle de Nicolas Sarkozy, qui cherchait à récupérer l’électorat du Front national ; celle d’Alain Juppé, qui a tenté de créer un front progressiste assez large alliant la droite, le centre et des déçus de François Hollande ; et François Fillon, qui a incarné une droite traditionnelle assez libérale, souvent catholique, attachée aux questions identitaires, et c’est cette dernière qui s’est révélée payante.

L’autre raison qui a conduit à une forte mobilisation, c’est la situation très particulière de la gauche, qui peine à représenter une espérance pour l’avenir. Donc un certain nombre d’électeurs de gauche sont allés voter à la primaire de la droite, sans doute pour éliminer le candidat dont ils ne voulaient pas et qui avait pour nom Nicolas Sarkozy. Ils l’ont fait avec d’autant plus de conviction qu’ils avaient déjà vécu le précédent de 2002, c’est-à-dire la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, et que cette fois, ils ne voulaient pas avoir à choisir entre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen.

Alain Juppé, candidat à la primaire à droite et au centre, vote à la mairie de Caudéran à Bordeaux, dimanche 20 novembre. | Jean-Claude Coutausse/french-politics pour Le Monde

Laurence : Est-il encore possible qu’Alain Juppé gagne cette primaire ?

Françoise Fressoz : Ça va être très difficile, car François Fillon est très, très largement en tête et qu’il bénéficie du soutien de Nicolas Sarkozy et de Bruno Le Maire, alors qu’Alain Juppé ne peut compter que sur celui de Nathalie Kosciusko-Morizet.

Alain Juppé ne peut espérer gagner qu’à deux conditions : mobiliser un nombre massif d’électeurs de gauche au second tour, il a d’ailleurs commencé à les amadouer en parlant de réformes équitables par opposition aux réformes de François Fillon qui sont radicales.

Sa deuxième attaque consistera sans doute à essayer de démonter le projet de son adversaire, qu’il trouve trop radical, je pense notamment aux suppressions de postes de fonctionnaires, François Fillon en propose 500 000, ce qui est énorme. Il y a aussi l’attitude de François Fillon vis-à-vis de la Russie, il milite ouvertement pour plus de relations avec Moscou, ce qui aurait pour effet de modifier profondément la politique étrangère de la France.

Le débat de l’entre-deux-tours sera essentiellement concentré sur ce point. François Fillon devra prouver qu’il pourra mettre en œuvre ce qu’il avance. On va assister à une confrontation entre deux personnes qui connaissent très bien les affaires de l’Etat et ce sera sans doute un moment de vérité.

Alix : Le succès de Fillon est-il dû au fait qu’il offrait aux électeurs une synthèse, de par son positionnement sur l’échiquier politique, entre Sarkozy étiqueté droite dure et Juppé plus centriste ? En d’autres termes, n’était-il pas le candidat du rassemblement, de l’apaisement ?

François Fressoz : Plusieurs éléments ont joué en faveur de François Fillon : il a été premier ministre pendant cinq ans, ce qui lui a permis d’avoir une connaissance de tous les dossiers extrêmement fine. Ce qui n’a pas été le cas de tous les candidats, je pense notamment à Bruno Le Maire.

Deuxièmement, François Fillon incarne un courant de droite qui est assez puissant : la droite traditionnelle, qui veut des réformes de droite en rupture avec la politique qu’a mené François Hollande.

Enfin, François Fillon incarne une certaine façon d’incarner le pouvoir, qui est assez éloignée du côté bling-bling qu’il y a pu avoir avec Nicolas Sarkozy et qui est aussi en rupture avec toutes les affaires qu’on a pu reprocher à l’ancien chef de l’Etat. Il faut se souvenir de l’entrée en campagne de François Fillon lançant « Imagine-t-on De Gaulle mis en examen ? » C’était pour lui une façon très nette de se démarquer de Nicolas Sarkozy.

Nicolaflo : Comment évaluer le poids du vote de gauche ?

Françoise Fressoz : On n’a pas encore de détails assez fins sur le pourcentage d’électeurs de gauche qui sont allés voter à cette primaire. Un sondage Odoxa pour France 2 réalisé ce soir donne cependant des indications sur les motivations du vote : pour 73 %, le vote était un vote d’adhésion ; pour 27 %, un vote de barrage. Il semble qu’il y ait toutefois des différences pour l’électorat d’Alain Juppé : près de la moitié (45 %) est allée voter pour faire barrage et non par adhésion ; c’était sans doute une fragilité du maire de Bordeaux, qui est populaire, mais qui a du mal à transformer sa popularité en adhésion.

Cha19 : Les votes de Fillon sont-ils des votes anti-Sarkozy ?

Françoise Fressoz : Il semblerait que François Fillon ait bénéficié d’abord d’une partie de ceux qui votaient Alain Juppé au tout début de la campagne. Je m’explique : quand Nicolas Sarkozy s’est mis à attaquer Alain Juppé sur le cas Bayrou, il a déporté Alain Juppé sur la gauche, c’est à ce moment-là qu’il a commencé à baisser.

Un certain nombre d’électeurs ont recherché une offre beaucoup plus authentiquement à droite, et c’est François Fillon qui a profité de cette case, car il s’adresse beaucoup plus traditionnellement aux électeurs de droite, conservateurs et catholiques, mais il est différent de Nicolas Sarkozy dans la manière de se comporter.

Nicolas Sarkozy et Carla Bruni quittent le QG de campagne, dans la nuit du 20 au 21 novembre. | Olivier Laban-Mattei / Myop pour

Jo : Sommes-nous définitivement débarrassés de Sarkozy ?

Françoise Fressoz : On ne peut jamais dire « définitivement ». Nicolas Sarkozy ressemble beaucoup à François Hollande de ce point de vue-là : il a baigné toute sa vie dans la politique, il risque d’être malheureux loin de la scène.

Je pense qu’il va guetter toute occasion de revenir, mais il sera plus malin que la dernière fois. Il n’a pas suffisamment décroché, il n’a pas analysé les erreurs de son quinquennat, il a vécu sur le mythe d’une défaite qui n’a jamais eu lieu. Cette fois, il peut parfaitement prendre du recul pendant cinq ans et revenir à un moment, car je pense très franchement que c’est sa passion et qu’il aura du mal à imaginer une autre vie en dehors de la politique. Mais s’il veut revenir, il faudra vraiment qu’il disparaisse pendant cinq ans.

Charles : Le soutien assumé de mouvements comme La Manif pour tous peut-il nuire à Fillon ?

Françoise Fressoz : Je ne le pense pas, au contraire, la dynamique Fillon s’inscrit dans le prolongement de La Manif pour tous. Une partie du peuple de droite a envie de s’exprimer fortement, de prendre sa revanche sur la gauche, d’affirmer ses valeurs face à la gauche. Et de tous les candidats, l’ancien premier ministre a su le mieux capter ce courant.

Truc : Peut-on avoir une estimation grossière du nombre d’électeurs de gauche qui sont allés voter à cette primaire ? Dans quelle mesure ont-ils fait pencher la balance ?

Françoise Fressoz : Selon un sondage Harris interactive pour LCP et Public Sénat, parmi les personnes qui sont allées voter au premier tour : 14 % venaient de la gauche ; une proportion identique d’électeurs UDI-MoDem (14 %), supérieure aux électeurs issus du Front national (9 %).

Lurkeur : Quel avenir pour Copé ?

Françoise Fressoz : Il y a eu ce soir deux très mauvaises nouvelles pour Jean-François Copé. D’abord, il est arrivé tout dernier avec 0,3 % des suffrages, ce qui est une véritable humiliation pour lui qui a été président de l’UMP. La deuxième très mauvaise nouvelle pour lui, c’est que c’est son adversaire qui est en tête et qui a une très grande chance de l’emporter, auquel il était opposé en 2012 pour la présidence de l’UMP dans un climat abominable avec des accusations de tricherie. M. Copé, qui espérait une réhabilitation à travers cette primaire, est voué à un long purgatoire.

Paul : Fillon représente-t-il la réponse française à Trump ? A la place du populisme de bas niveau, on choisit l’option de la droite la plus traditionnelle et liée aux valeurs typiques de la famille catholique et de l’économie libérale ?

Françoise Fressoz : Ce qui est paradoxal chez François Fillon, c’est qu’il est l’un des disciples de Philippe Séguin qui avait fait campagne contre le traité de Maastricht, en opposant le peuple et les élites et qui avait une fibre sociale assez caractérisée. C’est au cours de son passage à Matignon que François Fillon a fait sa mue libérale et maintenant presque à rebours de ce que propose Trump, il préconise une rupture libérale plus proche de celle que portait Margaret Thatcher.

En ce sens, on peut dire que l’effet Trump a peu joué en France, surtout si on se souvient que de tous les candidats c’est Nicolas Sarkozy qui avait essayé de récupérer l’élection du président américain en se ventant d’être le candidat du peuple contre l’élite.

AJM : Le résultat de cette élection est particulièrement clivé entre les trois candidats arrivés en tête et les autres candidats. Comment l’expliquez-vous ?

Françoise Fressoz : Je pense que le climat international et les difficultés internes expliquent cet état de fait : l’Europe est en crise, l’élection américaine ouvre une période d’incertitude forte, la France doit se battre contre le terrorisme mais aussi contre des difficultés économiques et sociales. La prime va donc à des candidats qui ont une expérience régalienne suffisante pour rassurer les électeurs. C’est pour cela qu’un trio s’est tout de suite détaché : Sarkozy, Juppé, Fillon.

François Fillon : « Une dynamique puissante est enclenchée »
Durée : 02:22

Nina : La possible victoire de Fillon peut-elle permettre à la gauche de se recomposer en vue de 2017 où est ce déjà perdu d’avance ?

Françoise Fressoz : Plusieurs problèmes s’imposent à la gauche. D’abord, la forte participation à la primaire de la droite lui impose de réussir sa primaire à elle. Or, il n’est pas du tout certain que l’électorat de gauche se mobilise de façon aussi forte. En outre, il paraît incongru qu’un président en exercice affronte des adversaires tels que Jean-Luc Bennahmias, Marie-Noëlle Lienemann ou Benoît Hamon. Il se pose à la gauche un problème de crédibilité en matière de primaire.

D’un autre côté, le fait que la droite mette en premier un homme aux convictions de droite très affirmées, qui affirme vouloir pratiquer la rupture libérale, peut contribuer à ressouder la gauche et donner un espoir à François Hollande d’incarner la sauvegarde du modèle français. La voie est cependant étroite car le discrédit dont souffre le président de la République porte sur sa capacité à incarner la fonction. Il lui reste très peu de temps pour convaincre les Français qu’il est la bonne personne pour poursuivre la mission.

Marie : Bonjour, quelles sont les différences entre le programme de Fillon et de Le Pen ? Est-il si différent ?

Françoise Fressoz : François Fillon a démarré sa campagne sur son projet économique. Il n’y a là strictement rien à voir avec Marine Le Pen. Lui est dans la rupture libérale, elle est dans un projet très étatiste, donc il n’y a aucun point commun.

Au fur et à mesure de sa campagne, François Fillon a musclé son discours régalien et a notamment sorti un livre pour combattre l’islamisme radical. Il est sur les questions de l’identité, de l’immigration, sur une position très ferme. Il se distinguait de Nicolas Sarkozy essentiellement sur la forme.

Là où Nicolas Sarkozy préconisait des référendums, pour par exemple enfermer les fichés S ou limiter le regroupement familial, François Fillon rétorquait qu’il suffisait d’appliquer les lois actuelles avec fermeté. Il était très soucieux de se montrer ferme sur tous les sujets sur lesquels Marine Le Pen avait lancé l’offensive : la lutte contre l’immigration et l’islam radical.

Jérémy : Pour Hollande, au cas où il se présenterait à la présidentielle, Fillon est-il un candidat plus « facile » que Juppé ?

Françoise Fressoz : Oui, certainement. Au fond si François Hollande n’avait pas tous ces problèmes de présidentialité à régler, François Fillon serait l’adversaire idéal. Le président pourrait rejouer ce qu’avait réussi François Mitterrand en 1986, lorsque Jacques Chirac était devenu premier ministre pour conduire la rupture libérale : se positionner en père de la nation, protecteur du modèle social français.

De fait, deux ans après avoir été nommé premier ministre, Jacques Chirac battait des records d’impopularité et François Mitterrand parvenait à se faire réélire président de la République en endossant l’habit du protecteur. Le problème pour François Hollande, c’est qu’il n’a pas le temps de se refaire.

Alain Juppé : « Je continue le combat »
Durée : 01:51