Il n’a pas fallu attendre vingt-quatre heures pour que les attaques commencent. Dès lundi 21 novembre au soir, au lendemain du premier tour de la primaire de la droite, Alain Juppé, l’un des deux finalistes, a critiqué la vision « extrêmement traditionaliste, pour ne pas dire un petit peu rétrograde » de son rival, François Fillon, sur les questions de société. « Caricature », a répondu le député de Paris, sorti largement en tête du premier tour.

Après examen de leur programme respectif, Le Monde fait le point sur ce qui oppose ou réunit les deux élus sur les sujets sociétaux.

  • Droit à l’avortement : « fondamental » ou non ?

Une phrase de François Fillon sur l’interruption volontaire de grossesse, prononcée le 22 juin, est ressortie ces derniers jours. Le candidat expliquait ce jour-là, lors d’un meeting à Aubergenville (Yvelines) qu’il ne pouvait considérer l’avortement comme un « droit fondamental » : « Je ne peux l’approuver à titre personnel de par ma foi », soulignait-il. Le député de Paris est revenu sur le sujet en octobre, lors de l’« Emission politique » de France 2, affirmant que « jamais personne et surtout pas moi ne reviendra sur l’avortement » : « Je suis capable de faire la différence entre convictions personnelles et bien public, l’intérêt général. Je considère que l’intérêt général n’est pas de rouvrir ce débat. » Alain Juppé a toutefois demandé mardi à son concurrent de « clarifier sa position » tout en rappelant que, lui, considérait « que l’IVG est un droit fondamental ».

  • Droit des femmes : aider les mères isolées et les femmes battues

François Fillon propose un renforcement des aides pour les mères isolées, comme un accès prioritaire aux logements sociaux et aux crèches. Il veut aussi lutter contre les violences faites aux femmes en développant l’hébergement d’urgence, renforçant les dispositifs de signalement de harcèlement sexuel dans les entreprises ou encore sensibilisant les enfants au respect des femmes dès l’école primaire.

Il propose aussi d’augmenter les délais de prescription de plainte pour les femmes victimes d’agression sexuelle et d’infliger une amende aggravée aux auteurs d’incivilités commises à l’égard des femmes dans l’espace public et dans les transports en commun.

Alain Juppé propose aussi un renforcement de la prévention contre les violences faites aux femmes « dès le plus jeune âge », passant par une campagne nationale, et plaide pour un meilleur repérage des victimes. Le maire de Bordeaux souhaite aussi la création de centres d’accueil pour les femmes au sein des centres communaux d’action sociale et d’unités mobiles qui iraient à la rencontre des femmes isolées.

Comme son concurrent, il propose de lutter contre les inégalités entre femmes et hommes dès l’école, notamment par un « rééquilibre » des manuels scolaires, pour mettre en valeur « l’apport des femmes » ou la lutte contre le cybersexisme.

  • Loi Taubira sur le mariage pour tous : l’adoption en débat

François Fillon veut revenir sur le volet « adoption » de la loi sur le mariage pour tous, votée en 2013. Les couples de même sexe n’auraient ainsi plus le droit d’adopter des enfants placés à l’Aide sociale à l’enfance, mais ces cas sont marginaux. C’est donc surtout la possibilité d’adopter plénièrement l’enfant de son conjoint qui est visée. L’adoption simple (qui n’efface pas la filiation d’origine, contrairement à l’adoption plénière) resterait possible.

Alain Juppé ne prévoit pas du tout de toucher à cette loi. Parmi ses soutiens les plus loyal à l’Assemblée nationale, l’un d’eux avait même voté pour le texte (Benoist Apparu) et un autre s’était abstenu (Edouard Philippe).

  • PMA et GPA : consensus dans l’opposition

Les deux candidats sont hostiles à l’élargissement de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et à la gestation pour autrui (GPA) pour tout le monde.

François Fillon va plus loin, en proposant un durcissement des sanctions pénales contre « le recours et la promotion » de la GPA.

Alain Juppé, se déclare simplement hostile à la reconnaissance par l’état civil des enfants nés par GPA à l’étranger.

  • Education : priorité au « récit national » ou à la lutte contre le décrochage ?

Les candidats font tous deux de l’éducation – au moins dans les discours – une priorité, mais des différences de fond existent entre eux.

François Fillon s’engage à abroger quasiment toutes les réformes entreprises ces cinq dernières années par la gauche au titre de la « refondation » de l’école. L’ex-premier ministre ne jure que par le « récit national », un enseignement centré sur la France – sa langue, ses grands hommes et ses grandes dates. Il propose aussi de commencer la scolarité obligatoire à partir de 5 ans (au lieu de 6 ans actuellement) et de concentrer les trois quarts du temps d’enseignement au socle de connaissance (lecture, calcul, écriture, dates et grands personnages de l’histoire de France, géographie de la France et des régions).

Pour Alain Juppé les difficultés du système scolaire sont d’abord dans son fonctionnement inégalitaire, les injustices sociales qu’il exacerbe – un constat qui transcende les clivages politiques. Le candidat veut lutter contre le décrochage scolaire, notamment par le biais d’évaluations régulières dès la maternelle et d’une réduction du nombre d’élèves par classe en maternelle et au cours préparatoire (CP). Il veut aussi mieux rémunérer les enseignants et améliorer leur formation initiale.

  • Religion et laïcité : l’un cible l’Islam, l’autre non

François Fillon n’aborde pas directement la question spécifique de l’islam dans son programme. C’est sous le thème « Femmes », dans un chapitre concernant les violences qui leur sont faites, qu’un paragraphe traitant de l’« islam radical : une menace qui cible les femmes » évoque le sujet. Il propose notamment la suppression des aides à toutes les associations qui ne respectent pas l’égalité hommes/femmes et l’interdiction des prêches qui portent une atteinte à ce principe.

Dans une interview au JDD, en septembre, le candidat donnait cette définition de la laïcité : « Interdire toute forme de prosélytisme à l’intérieur de l’espace public. » C’est sur ce point que les deux candidats se distinguent le plus. Au même titre que François Fillon avait soutenu la loi interdisant le port du voile intégral en 2010, il réclame aujourd’hui une législation sur l’indiction du « burkini ».

Ce à quoi est fermement opposé Alain Juppé, estimant qu’il est impératif de résister « à la tentation d’exiger des lois de circonstance au fil des polémiques médiatiques ».

Dans son projet, où il a choisi de consacrer un thème à la laïcité, il prend soin de cibler le moins possible une religion parmi d’autres. Il préconise la création d’un « conseil national des cultes » et d’un « code de la laïcité ». Il envisage également l’instauration d’un « délit d’entrave à la laïcité dans les services publics ». Il faut attendre le troisième point du chapitre consacré à la laïcité pour qu’il nomme précisément l’islam de France, à qui il propose de conclure un accord avec la République, sous la forme d’une charte : prêches en français, formation des imams, fermeture des mosquées radicales, contrôle du financement des lieux de culte…

A noter que les deux hommes sont pour les repas de substitution dans les cantines et le droit au port du voile dans les universités.

  • Santé et hôpitaux : des réformes plus ou moins importantes

Abrogation du tiers payant généralisé, valorisation de la médecine libérale de proximité, économies à l’hôpital public… Les deux finalistes de la primaire de la droite partagent quelques convictions en matière de santé. Ils varient en revanche sur l’ampleur des réformes qu’ils entendent mener dans ce secteur.

Alain Juppé propose simplement de « sortir du dogme des trente-cinq heures » à l’hôpital et ouvre la porte à des renégociations ciblées du temps de travail. Sur la prise en charge des dépenses de santé par l’Assurance-maladie, le candidat s’engage sur un maintien du taux de couverture actuel.

François Fillon promet un retour généralisé de la fonction publique hospitalière aux trente-neuf heures et souhaite une « rationalisation » de la carte hospitalière, c’est-à-dire de nouvelles fermetures d’établissements de santé. Le député souhaite « focaliser l’assurance publique universelle sur des affections graves ou de longue durée, et l’assurance privée sur le reste ». En clair, le traitement de petites maladies, comme une angine ou une appendicite, ne serait plus pris en charge par la « Sécu » mais par les mutuelles ou les complémentaires santé. Une couverture « accrue » serait toutefois mise en place pour ceux qui ne pourraient pas accéder à l’assurance privée.

François Fillon souhaite aussi instaurer une « franchise médicale universelle », pour remplacer le ticket modérateur et la franchise d’un euro sur les consultations.

  • Limiter l’accès à l’aide médicale pour les sans-papiers

François Fillon et Alain Juppé proposent de limiter aux « situations d’urgence » et aux « maladies infectieuses » l’aide médicale d’Etat, qui a permis en 2014 à 294 000 étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins – tout en limitant le risque épidémique pour l’ensemble de la population.

  • Des prestations sociales conditionnées ou limitées

François Fillon propose une réforme majeure : la fusion de toutes les aides – hors allocation handicapé, minimum vieillesse et allocations familiales – en une seule, versée aux actuels 1,8 million de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), aux 6,5 millions de titulaires d’une allocation logement et aux près de 5 millions de bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU). Les départements seraient chargés de la distribution de cette aide, personnalisée selon la situation familiale, mais qui ne dépasseraient jamais le montant du smic, afin d’inciter les bénéficiaires au travail.

Alain Juppé souhaite lui aussi plafonner le cumul des aides sociales à 75 % du smic. S’il n’exige pas de travail, bénévole ou non, en échange d’un RSA, il propose de suspendre le RSA après deux refus d’offres d’emploi.

  • Politique familiale

François Fillon propose le relèvement du plafond du quotient familial – qui permet d’adapter le montant de l’imposition d’un ménage en fonction des charges familiales – à 3 000 euros par demi-part supplémentaire. Fixé à 2 336 euros avant 2015, ce dernier est désormais à 1 500 euros. Le nouveau dispositif doit, selon le candidat, mettre fin à la « surimposition dont ont été victimes depuis quatre ans les classes moyennes et tout particulièrement les familles nombreuses ». La mesure vise les ménages qui contribuent le plus à l’impôt sur le revenu et devrait coûter 3 milliards d’euros par an. M. Fillon est par ailleurs en faveur du rétablissement de l’universalité des allocations familiales, qui sont modulées en fonction des revenus depuis 2015.

Alain Juppé promet également un relèvement du plafond du quotient familial, mais à 2 500 euros. Il veut par ailleurs favoriser le recours à la garde d’enfant à domicile en baissant les charges sur les salaires et rétablir le versement de la prime de naissance au septième mois de grossesse.

  • Fin de vie : statu quo

François Fillon et Alain Juppé plaident pour le statu quo. Même si elle est contestée par des organisations pro-vie, qui y voient des risques de dérive euthanasique, aucun des deux candidats ne souhaite revenir sur la nouvelle loi Claeys-Leonetti adoptée en janvier. Ce texte instaure notamment un droit à bénéficier d’une « sédation profonde et continue » pour les malades en phase terminale.

  • Pas de dépénalisation pour le cannabis

Alors que les exemples d’Etats autorisant l’usage du cannabis se multiplient et que le débat est régulièrement relancé en France, François Fillon comme Alain Juppé sont fermement opposés à toute légalisation ou dépénalisation. Par pragmatisme, Alain Juppé s’est dit prêt à mettre en place une contravention d’une centaine d’euros pour simple usage de cannabis, avec information de la famille pour les mineurs.