Stephen Bannon a empoisonné la campagne d’Hillary Clinton par le bais de son ONG Government Accountability Institute. | Ben Jackson/Getty Images/AFP

Le plus dangereux conseiller politique américain a le teint de celui qui ne voit jamais le soleil. Ventru, pas rasé, souvent en tongs et bermuda : Stephen Bannon, pierre d’angle de « la vaste conspiration d’extrême droite », définie par Clinton, ne soigne pas son apparence. Il laisse à d’autres la lumière des plateaux de télévision. Nul ne sait si Trump serait devenu président sans lui. Bannon n’a été appelé pour diriger sa campagne que les cent derniers jours. Mais, depuis 2008, il aura magistralement labouré le terrain de l’opinion.

Maintenant que Trump a triomphé contre tous les augures, Bannon, sa mission finie, reviendra à ce qu’il fait de mieux : tordre l’opinion américaine vers le nationalisme. Alors qu’il fut un temps donné favori pour le poste de secrétaire général de la Maison Blanche, Donald Trump lui a finalement préféré un cacique : Reince Priebus, jusqu’alors président du Parti républicain. Bannon ne perd pas au change. Bombardé conseiller en chef du président et chef stratégique de la West Wing, il obtient un accès direct, continu et privilégié à l’oreille du président. L’extrême droite a atteint le cœur du pouvoir exécutif.

Bannon vit à Washington, dans une maison que tout le monde ici appelle la Breitbart Embassy. À un jet de pierres du Capitole, face à la Cour suprême, Bannon évolue physiquement au cœur du système qu’il veut brûler. Depuis sa cave, avec son commando de journalistes, il coordonne des attaques médiatiques ciblées. Sa plate-forme nationaliste et populiste, Breitbart News, attire les millions d’Américains qui détestent les médias, accusés de collusion avec les puissances d’argent en général et l’équipe Clinton en particulier. Financièrement soutenu par de mystérieux donateurs, Bannon est d’abord rentier. L’origine de sa richesse : des parts dans la série Seinfeld. Ce monument d’humour juif, symbole du New York libéral, est sa poule aux œufs d’or : chaque rediffusion dans le monde entretient sa fortune.

À la fois Gatsby et Raspoutine

Stephen Bannon est chef d’orchestre plus que beau parleur. Durant sa pige pour Trump, il n’a accordé que deux interviews, dont une à Breitbart News six jours avant l’élection présidentielle. À son intervieweur complaisant (son employé), il dénonce « l’arrogance des élites, le fossé entre elles et le pays », annonce un séisme politique auquel personne ne croit.

Sa vie est étonnante, opportuniste : il se comporte comme une sorte de Gatsby nationaliste qui se réinvente tous les sept ans. Famille col bleu, catholique irlandaise. On votait Kennedy à la maison. Officier dans l’US Navy à l’époque de Jimmy Carter, il vit l’humiliation de la prise d’otages iranienne de 1979 les poings serrés sur le pont d’un croiseur ancré dans le golfe Persique.

Reçu à Harvard, il en sort en 1983 pour devenir banquier d’investissement chez Goldman Sachs. En 1990, il crée un fonds d’investissement, Bannon & Co. S’enrichit sur les déboires du Crédit lyonnais. Revend tout à la Société générale en 1998. Désormais riche, oisif, Bannon est un temps producteur à Hollywood (Titus, avec Anthony Hopkins, en 1999) avant de réaliser lui-même ses documentaires politiques. Devenu hostile à Wall Street, dégoûté par la dérégulation des marchés, choqué par le 11-Septembre, il intègre Breitbart et se reconvertit en Raspoutine du Tea Party. Susurre à l’oreille de Sarah Palin à laquelle il consacre un documentaire, The Undefeated (« L’Invaincue »).

Poison létal pour Clinton

Le travail de Bannon possède deux facettes. Côté pile, Breitbart, qui se concentre sur l’immigration, les clashs ethniques, l’État islamique, Clinton, et, comme il dit, la « déliquescence des valeurs traditionnelles ». Il faut beaucoup trier, on y trouve quelques scoops mais surtout une mauvaise foi crasse. Côté face, une ONG, Government Accountability Institute (GAI), qui, selon Bloomberg, « construit des dossiers factuels et circonstanciés contre des cibles politiques majeures », distribués ensuite aux médias mainstream pour atteindre un large public. Le parfait cheval de Troie pour pénétrer les citadelles autrefois imprenables, comme le New York Times, qui reprennent ses travaux. GAI a déjà travaillé avec Newsweek, ABC News, CBS. Il a joué un grand rôle pour révéler les largesses dont ont bénéficié les Clinton par le biais de leur fondation.

Bannon a été un poison létal pour Clinton. Mais il hait tout autant les républicains du sérail, comme les Bush. Sa haine est motivée par le dégoût populaire contre Washington, le Congrès, les lobbies, l’establishment. Ce dégoût qui a tant profité à Trump et à Sanders. Stephen Bannon a simplement l’intention de détruire la politique américaine telle qu’elle existe, et le peuple américain lui a accordé son blanc-seing.