Une manifestation à Valence, le 19 novembre, contre les coupures d’électricité qui ont coûté la vie à la dame de 81 ans. | Juan Carlos Cardena/EPA/MaxPPP

L’information aurait pu passer inaperçue. Un mort dans un incendie. Un accident, tragique, comme il en arrive des dizaines tous les ans… Mais celui-là a soulevé un vent de révolte en Espagne, dès que les détails de la tragédie ont été connus. La victime est Rosa, une vieille dame de 81 ans qui vivait seule dans son appartement de Reus, dans la province de Tarragone, en Catalogne. Depuis deux mois, l’électricité lui avait été coupée car elle ne payait plus ses factures. Pour s’éclairer, le soir venu, elle utilisait donc une bougie, qui, en tombant, dans la nuit du 14 novembre, a mis le feu au matelas sur lequel elle dormait…

La mort de « la vieille dame de Reus qui s’éclairait à la bougie » a remué les consciences, secoué les politiques, bouleversé les citoyens. À l’entrée de l’hiver, Rosa est devenue le symbole de la « pauvreté énergétique » qui frappe de plus en plus d’Espagnols. Selon l’Institut national de statistiques, 11 % des foyers ne peuvent pas se chauffer correctement en hiver. Ils n’étaient que 6 % en 2008, quand a éclaté la crise.

Entre-temps, le chômage a explosé (18,9 % des actifs), le pouvoir d’achat s’est effondré et les salaires ont chuté de près de 10 %. Les prix de l’énergie, eux, ont flambé. Selon les données d’Eurostat, les tarifs de l’électricité ont augmenté de 73,5 % entre 2008 et 2015 et ceux du gaz de 64,5 %… L’Espagne est devenu le cinquième pays européen ayant l’électricité la plus chère, derrière le Danemark, l’Allemagne, l’Italie et l’Irlande. Selon l’Association de sciences environnementales, auteure d’un rapport complet sur la question, 17 % des foyers espagnols allouaient en 2012 plus de 10 % de leurs ressources au paiement de l’énergie, et 3 % plus de 40 % de leurs revenus.

Des initiatives locales pour payer les factures

La principale association de consommateurs, Facua, a dénoncé « l’immoralité » des grandes compagnies d’électricité qui « continuent à couper la lumière pour impayés à des familles sans ressources alors qu’elles recommencent à augmenter leurs bénéfices [4,2 milliards d’euros durant les neuf premiers mois de l’année]. »

Localement, des mesures ont parfois été prises pour aider les familles en difficulté. En Catalogne, une initiative législative populaire, portée par l’Association des victimes des crédits immobiliers et l’Alliance contre la pauvreté énergétique, a abouti à l’adoption à l’unanimité d’une loi protectrice. Ainsi, la Ville de Reus paie-t-elle les factures des personnes en situation de « vulnérabilité », comme c’était le cas de cette vieille dame, dont elle payait d’ailleurs l’eau. Mais la victime n’avait pas été prévenue par Gas natural de la coupure d’électricité, comme l’exige pourtant la loi. La compagnie d’énergie estime pour sa part que c’est l’administration qui aurait dû se mettre en contact avec elle…

La mort de Rosa pourrait-elle servir de détonateur, comme ce fut le cas en France, en 1954, après le célèbre discours de l’abbé Pierre qui aboutit à la trêve hivernale des expulsions locatives, élargie par la suite aux coupures d’eau et d’électricité ? C’est ce qu’espère dans un éditorial Ignacio Escolar, le directeur du site d’information Eldiario.es.

Des responsabilités politiques

En Espagne, l’opposition semble disposée à faire cause commune sur la question. « Cela n’est pas un accident. Derrière cette mort, il existe des responsabilités politiques », a dénoncé Iñigo Errejón, le numéro deux de Podemos, qui a organisé le 19 novembre des manifestations simultanées dans les principales villes du pays devant les sièges de Gas natural. Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a critiqué « l’inaction » du gouvernement du Parti populaire (PP, droite), et le parti centriste Ciudadanos défend la création d’un « fonds de protection », qui serait nourri par les contributions des régions, des mairies et des compagnies du secteur.

Depuis qu’il est au pouvoir, fin 2011, le PP a cherché à freiner les initiatives visant à lutter contre la pauvreté énergétique, niant le drame. En 2013, plusieurs partis de la gauche alternative, soutenus par l’ensemble de l’opposition, avaient soumis au Congrès des députés une proposition de loi visant à interdire les coupures d’électricité l’hiver. Mais le gouvernement de Mariano Rajoy l’avait écartée, la qualifiant de « démagogique ».

À défaut de statistiques officielles sur les victimes, des pompiers catalans ont fait une estimation à partir de leurs interventions. Journaux et bouts de bois brûlés au milieu du salon, cuisinières improvisées et autres systèmes D… Selon eux, six incendies domestiques sur dix en Catalogne seraient liés à la pauvreté énergétique.