C’est un décret de dissolution sensible qui devait être présenté, en conseil des ministres, ce mercredi 23 novembre : celui de Sanâbil, une association de soutien aux détenus musulmans très active, forte d’une trentaine de bénévoles, et qui revendique l’aide à près de 700 prisonniers à travers 11 pays du monde. Considérée par le ministère de l’intérieur comme un élément-clé de radicalisation en prison, elle est accusée de s’être développée au cœur d’un réseau aidant au recrutement de candidats au djihad, mêlant anciens condamnés pour terrorisme et adeptes d’un islam rigoriste. Ce dont Sanâbil se défend fermement.

Le débat est complexe, car il se situe à la frontière de la liberté d’association, de croyance, et du code de la sécurité intérieure qui permet de dissoudre des « groupes de combat ». De fait, Sanâbil est connue depuis longtemps, dans les milieux pénitentiaires, pour envoyer des cours de religion aux détenus en faisant la demande. Créée en mai 2010, elle récolte des fonds pour aider à « cantiner » ou payer les factures. Organise par ailleurs des pique-niques entre familles de détenus, et dispose d’un appartement pour héberger les épouses de condamnés en difficulté. Toute une activité à vocation « sociale » âprement défendue par ses fondateurs.

Le regard du ministère de l’intérieur, lui, est moins bienveillant. Dans un courrier adressé le 26 octobre à l’association pour motiver sa décision, il explique que ces activités contribuent en réalité, d’après lui, « sous couvert d’un soutien matériel dispensé à des détenus de droit commun ainsi qu’à leur famille (…), à les rallier à la cause djihadiste ». Les pique-niques ne seraient pas non plus des moments simplement conviviaux, mais un moyen de « faciliter des rencontres entre djihadistes radicaux [mis] à l’honneur et des individus moins impliqués, dans le but de les influencer ».

Fichiers vantant le djihad

Les profils des piliers de l’association sont pointés du doigt. Il est notamment reproché au président de Sanâbil, Antho Bolamba-Digbo, 38 ans, d’avoir appelé, par le passé, au soutien de prisonniers islamistes, sur Ansar Al-Haqq. Un forum fermé aujourd’hui, animé par des pro-djihad francophones. Dont Adrien Guihal, parti en Syrie en février 2015, qui a prêté sa voix à l’organisation Etat islamique (EI) lors de la revendication des attentats de Magnanville et de Saint-Etienne-du-Rouvray. Ce qui vaut en partie à M. Bolamba-Digbo d’être assigné à résidence depuis le 23 novembre 2015.

Un sort que connaît aussi le trésorier de l’association, Xavier D., depuis le 27 septembre. Les services de renseignement se sont inquiétés, récemment, de son projet de séjour en Algérie alors qu’il a été entendu, fin mars, dans le cadre de l’enquête sur les attentats du 13-Novembre. C’est seulement par ricochet qu’il s’est retrouvé en garde à vue. Les investigations concernaient initialement son frère jumeau. Il a d’ailleurs été laissé libre, sans poursuites. Mais sa téléphonie a été examinée, et elle a notamment mis en évidence des contacts avec plusieurs individus partis en zone irako-syrienne. Lors de la perquisition de son domicile, un testament et divers fichiers vantant le djihad ont en outre été découverts. Jusqu’en avril 2015, Xavier D. occupait néanmoins un poste de « chargé de marketing » au sein de Sanâbil, financé par la région Ile-de-France comme emploi d’avenir.

Plusieurs anciens piliers de Sanâbil sont par ailleurs suspectés d’avoir rejoint la zone irako-syrienne. Xavier D. a ainsi pris la suite de Léonard L., un jeune homme âgé de 30 ans aujourd’hui sous le coup d’un mandat d’arrêt, car soupçonné de se trouver sur place avec femme et enfants. Yasmine H., 28 ans, l’ex-responsable du pôle communication de l’association chargée des femmes, fait également l’objet d’une fiche de recherche, car possiblement sur zone. Selon les services de renseignement, les frères Clain, Fabien et Jean-Michel, voix de l’EI pour les attentats du 13-Novembre, ont par ailleurs été membres de l’équipe de gestion du site Internet, au lancement de l’association.

Sympathie avec l’idéologie salafiste

En réalité, Sanâbil a toujours été dans le collimateur de la place Beauvau. Ses sympathies avec la mouvance et l’idéologie salafistes, notamment, gênent. Récemment, le contenu de ses cours de religion adressés aux détenus a ainsi été pointé du doigt au détour des investigations menées sur l’attaque de Magnanville (Yvelines), le 13 juin. A la suite de cet attentat où un policier et sa compagne ont été tués, les enquêteurs ont découvert, lors d’une perquisition, certains de ces cours ramenés au domicile d’un des prévenus, Saad R., 27 ans, aujourd’hui en détention provisoire, car soupçonné d’avoir aidé le tueur Larossi Abballa.

Or dans ces cours reçus alors que Saad R. purgeait une peine à Fleury-Mérogis entre 2011 et 2014, les enquêteurs ont été surpris de découvrir une apologie dérangeante, à leurs yeux, de Malcom X, ce leader noir américain. Ce partisan de la violence pour renverser la ségrégation blanche, fondateur du groupe paramilitaire « Fruit of Islam » en 1957, y apparaît purgé de ses faces sombres, sauvé par sa rencontre avec l’islam. Une personnalité qui fait écho au pseudonyme utilisé par Larossi Abballa pour diffuser sa revendication terroriste : le boxeur Mohamed Ali, autre figure du mouvement noir américain, converti à l’islam.

Mais ce type de constatations demeure d’interprétation délicate. Pour parvenir à une éventuelle dissolution de Sanâbil, l’Etat va devoir apporter des éléments détaillés sur chacun des membres du bureau. L’article du code de la sécurité intérieur sur lequel il s’appuie (L212-1) nécessite en effet d’étayer solidement la « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe à raison de leur origine ».

D’autres structures dissoutes

Un combat juridique qui devrait avoir lieu devant le Conseil d’Etat. Sanâbil s’est adjoint les conseils d’un avocat, MBruno Vinay, spécialisé dans la défense des mesures prises dans le cadre de l’Etat d’urgence contre les musulmans accusés d’être connectés à la mouvance djihadiste. « On confond le droit et la morale », plaide-t-il, réfutant l’accusation du ministère de l’intérieur selon laquelle l’association est « principalement » tournée vers les détenus « pratiquant un islam radical ou écroués pour des faits de terrorisme ». Il s’agit pour les « deux tiers » de détenus de droit commun, assure MVinay.

Une ligne de défense qui s’inscrit dans un contexte délicat. Depuis l’instauration de l’état d’urgence, en novembre 2015, une seule dissolution d’association accusée d’être en lien avec la mouvance djihadiste a abouti. Après plusieurs mois de bataille juridique commencée en janvier, trois structures exerçant dans la même mosquée de Lagny-sur-Marne (Seine-et-Marne) ont finalement été dissoutes, au mois de juillet. Un cas rare, mais qui fait office de précédent.

Malgré « l’opprobre » que peut susciter le profil des bénéficiaires de Sanâbil ou les affinités de ses fondateurs, cela ne peut suffire à caractériser « des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme », maintient MVinay.