François Fillon et Alain Juppé, le 23 mars 2015. | NICOLAS TUCAT / AFP

Pour rebondir sur les deux tribunes, de François Fillon et d’Alain Juppé, publiées dans Le Monde de ce jour, notre journaliste Marc Semo a répondu à vos questions sur les programmes respectifs des deux candidats à la primaire.

Kikou : Quelles sont les relations de François Fillon avec la Russie de Poutine ?

Marc Semo : Ils sont faits l’un pour l’autre. François Fillon est un croyant, qui ne s’en cache pas et il est un souverainiste, c’est un « Séguiniste ». Et Vladimir Poutine, en tant que président russe est l’incarnation de cette politique-là. La Russie est un Etat qui a une logique de puissance, et Poutine s’affirme comme le défenseur de ces valeurs chrétiennes, face à un monde de désordre et de mœurs dissolues. Et Fillon reprend le narratif de Poutine dans la lutte contre le terrorisme islamiste.

Babou : François Fillon n’est-il pas trop protectionniste ? Prône-t-il en réalité le repli sur soi de notre pays ?

François Fillon avait voté contre Maastricht, et d’ailleurs il ne s’en repend pas. En même temps, il y a la réalité de l’Europe telle quelle est : il s’est rallié au libéralisme et au projet européen, tout en insistant sur le fait que l’Union doit plus être une Europe des Nations mais la réalité du grand marché est là, il ne va pas aller contre au sein de l’Europe. Ensuite il pense – mais Juppé n’est pas très différent sur ce dernier point – que l’Europe doit savoir se protéger d’une mondialisation sauvage.

Old : Quelle est la politique de Juppé sur la Syrie ?

La politique actuelle de la France en Syrie – l’exigence d’un départ de Bachar Al-Assad qui ne peut être en aucun cas l’avenir du pays, le soutien à la rébellion démocratique, ou ce qu’il en reste – est dans la continuité de ce qu’avait été la politique d’Alain Juppé lorsqu’il était ministre des affaires étrangères de Sarkozy. Et c’est d’ailleurs à cette époque que la France, en mars 2012, avait fermé l’ambassade à Damas et reconnu la coalition nationale syrienne (c’est-à-dire l’opposition) comme la seule représentante du peuple syrien. Aujourd’hui, grâce à ses alliés russes et iraniens, le régime a rétabli sa position mais il ne peut pas gagner la guerre, d’où la nécessité d’une solution négociée (qui pour le moment est dans l’impasse) mais comme le répète Juppé : cela ne peut pas se faire au dépend de la justice pour le peuple syrien avec ses 300 000 morts, dans leur écrasante majorité victimes de Assad et ses troupes. Et c’est pour ça qu’Assad doit partir.

Murtaugh : Lequel des deux sera le plus à même d’affirmer une position de l’Europe unie face aux Etats-Unis risquant de se refermer sur une posture isolationniste ?

Juppé, dans toutes ses interventions de politique étrangère, insiste sur l’importance du projet européen et du rôle que doit jouer l’Europe comme pôle de puissance. L’Europe c’est plus de 500 millions d’habitants et avec tous ses Etats elle est aussi forte, voire beaucoup plus forte, que le sont les Etats-Unis, la Russie, la Chine, les trois puissances mondiales. Alain Juppé a d’excellentes relations avec Angela Merkel, les réformes économiques qu’il propose vont dans le sens d’un redressement et d’un rééquilibrage avec l’Allemagne qui rendrait une crédibilité à la France plus forte en Europe, mais à la différence de Fillon, il ne s’agit pas d’une thérapie de choc qui créerait de très fortes tensions internes.

Jonathan : Que pense chacun des candidats du Brexit ? La position souverainiste de Fillon l’amène-t-elle a considère un soft-Frenchxit ?

François Fillon connaît très bien la Grande-Bretagne, sa femme est galloise et son passé souverainiste l’amène à comprendre le choix des Britanniques, mais pas nécessairement à l’approuver. Sa conception est plus celle d’une Europe des Nations, telle que l’a présentée de Gaulle : il est hostile à toute forme de fédération européenne, il veut une Europe plus intergouvernementale mais au-delà de ce qu’il a pu penser il y a 25 ans, chacun des Etats qui compose l’Europe, y compris les plus grands, ne peut plus aujourd’hui compter sur la scène mondiale tout seule.

Giedrus : François Fillon est il prêt à laisser les avions Français présents en Lituanie pour protéger les pays baltes d’une éventuelle invasion Russe ? Est-il prêt à davantage de solidarité

C’est une excellente question et François Fillon n’a, à ma connaissance, pas pris position là-dessus. C’est un gaulliste de tradition mais il ne va pas remettre en cause l’adhésion de la France à l’OTAN. Simplement il insiste, dans ses interventions, sur la nécessité de sortir d’une logique de guerre froide, ce qui peut l’amener à baisser la garde vis-à-vis de la Russie, alors même que la Russie aujourd’hui, dans son étranger proche – c’est-à-dire l’Ukraine, mais même potentiellement les Pays baltes – redevient menaçante.

Attention-question : Quelles sont les positions de l’un et l’autre sur Israël et la Palestine ?
Jean-Yves : Et sur la présence de la France au Mali/Sahel ?

Sur Israël/Palestine : L’un comme l’autre s’inscrivent sur ce point dans la continuité de la diplomatie française, depuis vingt ans, sur ce que l’on appelle la solution à deux Etats, c’est-à-dire l’importance d’un Etat palestinien pleinement reconnu, dans des frontières viables, aux côtés d’un Etat israélien bénéficiant d’une totale sécurité. C’était aussi la position du président Hollande, comme avant celle de Sarkozy, c’est une constante de la position française qui rappelle qu’il ne pourrait y avoir de stabilité au Proche-Orient, déjà en plein chaos, sans une solution du conflit israélo-palestinien.

Sur la France au Mali/Sahel : Tous deux sont pleinement conscients des enjeux de sécurité en Afrique et du rôle que doit y jouer la France. La politique étrangère est traditionnellement relativement consensuelle dans le débat politique français, les seules vraies oppositions entre les deux candidats sont sur la Syrie, le Moyen-Orient plus généralement, et la Russie.

Ren78 : Comment Juppé et Fillon envisagent-ils chacun leur future relation avec Donald Trump ?

Parmi les candidats à la primaire de la droite, Juppé avait été le plus froid face à la victoire de Donald Trump. Dans un communiqué il dit « prendre acte de cette victoire », ce qui en terme diplomatique est vraiment le service minimum. François Fillon a été plus chaleureux à la fois parce qu’il y voyait le signe que quelqu’un donné perdant dans les sondages pouvait gagner– ce qui s’est d’ailleurs passé pour lui –, et parce qu’un certain nombre des conceptions de Trump, notamment son désir de rétablir de meilleures relations avec la Russie, correspondent parfaitement à ses conceptions politiques. Et aujourd’hui, il insiste notamment sur le risque d’un binôme russo-américain par-dessus la tête de la France pour dire « il faut impérativement recréer de bonnes relations avec Poutine ».

Ir : La position de Fillon sur Assad pourrait-elle impacter la stratégie de la coalition en Syrie et la pousser a s’allier a Assad ?

Si Fillon devient président, il pourrait effectivement y avoir des conséquences : certes il ne faut pas exagérer le rôle de la France, alors que 90 % des frappes aériennes sont faites par les seuls Etats-Unis, mais elle a un rôle symbolique important. Ensuite, si la France, comme les Etats-Unis de Trump, pense que Assad peut être un partenaire dans la lutte contre l’Etat islamique, cela pourrait effectivement basculer. Mais en tout cas, la révolution syrienne perdrait, avec l’installation de Fillon à l’Elysée, son principal soutien dans une capitale occidentale.

Patoche : A propos des relations franco-russes, comment Fillon peut-il justifier une orientation diplomatique qui va à l’encontre de celle adoptée par l’UE notamment en ce qui concerne l’Ukraine et la Syrie ? La France peut-elle reconnaître l’annexion de la Crimée par la Russie ?

la conquête de la Crimée par Moscou est un fait extrêmement grave, parce qu’il s’agit de la première annexion par la force d’un territoire en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et c’est un déni des règles internationales et même d’un traité signé aussi par la Russie, reconnaissant l’intégrité des frontières de l’Ukraine. D’où l’imposition des sanctions par les Américains et l’Union européenne. François Fillon n’est pas tout seul en Europe, pourtant, à évoquer une levée des sanctions (d’autres capitales comme Rome se lamentent des conséquences économiques qu’elles subissent) mais une telle décision entérinant le fait accompli russe serait extrêmement grave car elle pourrait inciter Moscou ou d’autres pays à d’autres actes similaires.