Le compositeur Jean-Claude Risset, pionnier de la musique électronique. | DR

Le compositeur Jean-Claude Risset est mort le 21 novembre à Marseille à l’âge de 78 ans. Moins connue que son nom, synonyme de pionnier dans le domaine de la création sur ordinateur, sa musique témoigne d’une authentique sensibilité, d’origine tantôt abstraite, tantôt naturaliste. Réalisées dans les studios de recherche les plus prestigieux des deux côtés de l’Atlantique, la plupart des œuvres de cette figure historique de la recherche prouvent qu’il ne se contentait pas de « composer le son », selon une devise souvent proclamée, mais qu’il s’attachait aussi à composer une forme, une dynamique, une expression.

Si sa production, riche d’environ soixante-dix pièces, reste à découvrir en dehors de quelques titres phares, sa personnalité s’est très tôt imposée aux côtés de références de la synthèse sonore telles que Max Matthews (1926-2011) et John Chowning (né en1934). Lors des premiers développements de l’informatique musicale, spécialité américaine, Jean-Claude Risset a longtemps incarné l’exception culturelle française.

Musique et sciences

Né le 13 mars 1938 au Puy, Jean-Claude Risset étudie le piano avec un ancien élève d’Alfred Cortot tout en poursuivant de solides études générales. Admis à l’Ecole Normale Supérieure en 1957, il y prépare l’Agrégation de Sciences Physiques qu’il obtient en 1961. Il entre alors au CNRS en qualité d’attaché de recherche au Laboratoire d’électronique et de radioélectricité (le futur Institut d’électronique fondamentale d’Orsay). La musique n’est, toutefois, pas rejetée au second plan de ses activités. Des cours de composition (avec André Jolivet) et d’écriture (avec Suzanne Demarquez) le conduisent à ses premières œuvres : une Fantaisie pour orchestre (1963) et trois Instantanés pour piano (1965).

En1975, il participe à la fondation de l’Ircam de Pierre Boulez

La musique et les sciences se rejoignent lors d’un premier séjour aux Etats-Unis. Chercheur et compositeur en poste (1964-69) aux Bell Telephone Laboratories, les fameux « Bell Labs » où est née la musique sur ordinateur, Jean-Claude Risset travaille avec Max Matthews (le concepteur, en 1957, du premier programme à vocation musicale) et rencontre à plusieurs reprises Edgar Varèse (1883-1965), comme lui, fasciné par le pouvoir des sons électroniques.

Risset s’illustre toujours sur deux fronts : docteur d’Etat en sciences physiques (1967), il participe comme pianiste et compositeur à des concerts d’avant-garde à New York (1968-69). De cette époque date sa musique pour la pièce Little Boy, de Pierre Halet, pour voix, instruments et bande. De retour en France, il dirige la mise en œuvre d’un système de synthèse des sons par ordinateur à Orsay (1970-71) puis à Marseille (comme en enseignant à l’Université de Luminy, à partir de 1972).

« Moduler, réverbérer, hybrider »

Référence incontestable de l’informatique musicale, il est logiquement convié, en 1975, par Pierre Boulez, à diriger un département consacré à cette orientation au sein de l’Institut de Recherche et de Coordination Acoustique Musique (Ircam) nouvellement fondé. Inharmonique, œuvre pour voix (Irène Jarsky) et bande synthétisée par ordinateur, sort des studios de l’Ircam en 1977 pour connaître une création lors de la série de concerts « Passages du XXème siècle » imaginée par Boulez pour l’inauguration du Centre Georges Pompidou à Paris.

Figure de proue de l’institution boulézienne, Jean-Claude Risset ne répugne pas, à la différence de maints compositeurs « ircamiens », à travailler dans les studios (et avec les outils) du grand rival – pour ne pas dire ennemi – de l’époque : le Groupe de Recherche Musicale (GRM) fondé par Pierre Schaeffer et animé par les tenants de la musique concrète. Réalisée au GRM en 1985, Sud aspire à « moduler, filtrer, colorer, réverbérer, spatialiser, mixer, hybrider » une matière première enregistrée dans le massif des Calanques de Marseille (mer, insectes, oiseaux).

Une vie intérieure

Empruntant à François Bayle (compositeur majeur du GRM) une jolie métaphore, Jean-Claude Risset déclare ne pas utiliser l’ordinateur comme un outil mais comme un « atelier ». Il en résultera d’autres œuvres, commandées par le GRM, en particulier Elementa (1998) pour le 50ème anniversaire de la musique concrète. Peu étoffé, en raison sans doute du temps dévoré par la recherche, l’enseignement et la publication d’articles ou d’ouvrages théoriques, le catalogue de Jean-Luc Risset présente, bien évidemment, la musique sur support (bande réalisée sur ordinateur) comme épine dorsale mais il compte également des contributions d’importance à la musique de chambre (tels que les Dialogues de 1975 ou les Moments newtoniens de 1977), à la musique symphonique (Escalas, pour grand orchestre, en 2001) et à la musique vocale (Oscura, sa dernière œuvre, créée en 2005).

Avec son visage d’enfant éclairé par deux yeux écarquillés, comme émerveillés par le spectacle d’une vie intérieure, Jean-Claude Risset avait tout du visionnaire. Porte-drapeau de l’art science, il ne manquait pas de rappeler qu’il était avant tout un musicien et que « les œuvres ayant recours à l’ordinateur devaient être appréciées en tant qu’œuvres et non comme des expériences ».

Jean-Claude Risset en quelques dates

1938 : naît, le 13 mars, au Puy

1968 : Little boy, suite pour ordinateur

1975 : participe à la fondation de l’Ircam de Pierre Boulez

1977 : Inharmonique, pour voix et bande, réalisée à l’Ircam

1985 : Sud, pour bande réalisée au GRM

2016 : meurt, le 21 novembre, à Marseille