Jusqu’au 30 novembre, les virages du Parc des Princes vont se retourner sur leur passé honteux. Celui qui a conduit à la mort d’un supporteur, devant le virage Auteuil, le 28 février 2010.

Ce soir-là, avant le coup d’envoi d’un PSG-OM sans supporteurs marseillais, une confrontation oppose des abonnés de la tribune Boulogne à ceux du virage Auteuil, en conflit depuis des années. Yann Lorence, 37 ans et ancien de Boulogne, tombe dans le coma dans cette bagarre générale, et succombera à ses blessures deux semaines plus tard.

Trois semaines après la mort de Yann Lorence, la tribune Boulogne déploie une banderole et une voile en hommage à son ancien sympathisant. | JACQUES DEMARTHON / AFP

Six ans et demi après les faits, la cour d’assises de Paris tente, du 24 au 30 novembre, de reconstituer l’affrontement et de juger la responsabilité de deux accusés, alors habitués de la tribune Auteuil.

A l’époque, l’énorme retentissement médiatique de la mort de Yann Lorence conduit les pouvoirs publics et la direction du Paris-Saint-Germain à prendre rapidement deux décisions radicales : les premiers prononcent la dissolution de cinq associations de supporteurs des deux tribunes, la seconde impose la fin des abonnements en virages et un placement aléatoire des supporteurs dans le stade.

Le plan n’est censé durer qu’un an, afin de laisser retomber les tensions entre Auteuil et Boulogne. Mais il ne bougera plus, sous la pression de la préfecture de police de Paris, et parce que le fonds souverain qatari qui rachète le club un an plus tard ne souhaite pas perturber l’équilibre ainsi trouvé. Six ans plus tard, des ultras viennent de faire leur retour au Parc des Princes sous la houlette du Collectif Ultras Paris (CUP).

Christophe Uldry, 40 ans, était jusqu’en 2008 le président des Supras Auteuil, l’association la plus influente du virage, et fut porte-parole du groupe après le drame de février 2010. Depuis, il continue de suivre de près l’actualité des tribunes parisiennes. Le Monde l’a rencontré à la veille de l’ouverture du procès, auquel il n’assistera pas pour ne pas recroiser d’anciens de la tribune Boulogne. Il donne une vision éclairante, quoique partiale, des circonstances entourant la mort de Yann Lorence et du travail mené depuis par les « ultras » parisiens pour retrouver le Parc des Princes.

« Les policiers n’ont pas bougé »

Qu’attendez-vous de ce procès ?

J’aurais aimé assister au récit des événements par la police. Car la grande affaire de cette histoire, que tout le monde a mis sous le tapis depuis, c’est la bêtise de la police ce soir-là. Ils sont 2 250 policiers autour du stade, alors qu’il n’y a pas de supporteurs marseillais. Parce que tout le monde sait qu’il va y avoir de la tension.

Un groupe de 300 mecs de Boulogne squatte toute l’après-midi dans un bar de la porte Molitor [à proximité du Parc des Princes]. Ils se la collent. Les flics le savent, les voient. Le groupe part sur le boulevard Murat et trouve comme par hasard la seule rue où les policiers ont oublié de placer un barrage. Ce qui leur permet de charger devant le virage. Et les policiers ne bougent pas.

Vous sous-entendez qu’ils pouvaient avoir des complicités au sein de la police ?

Je dis juste qu’ils avaient l’information, ils sont allés directement dans cette rue. Ils ne se sont pas trompés. D’ordinaire, le périmètre de sécurité est étanche tout autour du stade. Pas cette fois. Etant donné la tension qui règne à cette période, le virage explose, d’autres tribunes s’en mêlent, et les ultras ressortent du stade pour défendre leurs copains…

J’aimerais que le procès permette d’établir l’absence de responsabilité des associations. On a joué notre rôle en demandant à nos membres de rentrer dans le stade le plus tôt possible, raison pour laquelle il y a très peu de gens devant les guichets lorsque ce groupe de Boulogne charge. Pourtant, nous en avons payé le prix fort.

Comment la tension entre Boulogne et Auteuil avait-elle pu atteindre un tel niveau ?

Il y a la bêtise de certains en tribunes et le laxisme des forces de police. Les deux virages jouaient le jeu. Tous les lundis, nous avions une réunion à la préfecture avec les responsables de Boulogne, et Christian Lambert, le directeur de cabinet du préfet de de police de Paris [ancien patron du RAID, Christian Lambert est ensuite devenu préfet de Seine-Saint-Denis et est aujourd’hui directeur de la sûreté à la SNCF].

J’ai vu certains responsables de Boulogne supplier le préfet de taper plus fort, lui dire : « Si vous ne faites rien, la tribune n’écoutera plus ce qu’on dit. Les mecs voient qu’ils peuvent faire n’importe quoi et qu’il ne se passe rien. » Chaque week-end, c’était le même bordel, en déplacement surtout.

Nous avons aussi commis des erreurs, car la politique se mêlait à tout ça et on n’a pas géré cette grosse difficulté. Des gens présents dans des manifestations d’extrême gauche se mettaient sur la gueule avec des gens d’extrême droite, et ces gens-là se retrouvaient dans le même stade, voire dans la même tribune en déplacement. On aurait pu les exclure des groupes et les laisser se débrouiller.

L’autre erreur que l’on a commise, c’est que j’ai passé la présidence en 2008 à un mec qui n’avait pas les épaules, qui souffrait d’un manque d’aura auprès de la tribune. Et certains, dans la tribune, en avaient marre de prendre des gifles de la part des mecs de Boulogne. Ils ont fini par les rendre. Quand tu grandis, tu n’as plus envie de prendre des gifles sous les regards de policiers qui ne font rien ou, pire, font la bise aux mecs qui te frappent.

« Les mêmes acteurs continuent à graviter autour du club »

Le club a-t-il aussi une forme de responsabilité dans ce qui est arrivé ?

A partir du moment où les indépendants de Boulogne, connus pour leur goût de la bagarre, avaient leurs entrées au club, y compris dans des réunions avec les présidents de l’époque, on peut dire que oui.

Sans être présent, les mecs de Boulogne étaient toujours au courant du contenu des réunions que j’avais avec le responsable de la sécurité, qui est toujours en fonction [Jean-Philippe d’Hallivillée].

A l’époque, les pouvoirs publics dissolvent les associations et le président Robin Leproux présente son plan de sécurisation. Pouvaient-ils faire autrement ?

Honnêtement, je ne sais pas. Ça aurait été compliqué. Mais ça aurait été plus juste et moral, car tout le monde a payé pour quelques abrutis. Du jour au lendemain, il y a eu une rupture totale des relations avec le PSG et la préfecture, à la suite d’un article qui nous a broyés, nous a fait porter toute la responsabilité du drame. Là, tu débarrasses le local, tu détruis les voiles, les tifos que tu avais fabriqués. On te donne une demi-journée pour tout faire disparaître sous la surveillance des flics, des stewards. C’est un climat très, très bizarre.

Comment expliquer que les ultras aient mis six ans à remettre un pied au Parc des Princes ?

La peur des hommes politiques et des policiers. Car les mêmes acteurs continuent à graviter autour du club. Côté PSG, le responsable de la sécurité est toujours le même. Des indépendants de Boulogne vont toujours au stade et certains leaders du Collectif Ultras Paris (CUP) sont issus de la K-Soce Team, un sous-groupe des Supras qui n’a pas, à l’époque, contribué à apaiser le climat avec Boulogne.

Des membres du Collectif Ultras Paris brandissent un drapeau mentionnant la « K-Soce Team », lors de leur retour au Parc des Princes face à Bordeaux le 1er octobre 2016. | FRANCK FIFE / AFP

C’est donc une peur légitime.

Il pourrait y avoir un début de confrontation entre les tribunes mais cela n’irait pas plus loin, car les pouvoirs publics sont passés d’un extrême à l’autre, d’un excès de laxisme à un excès de sévérité, sanctionnant même ce qui n’est pas sanctionnable. Certains pourraient avoir des envies mais ce serait vite tué dans l’œuf.

Je sais qu’au moment des incidents du Trocadéro, lors de la célébration du titre de champion en 2014, le président Nasser Al-Khelaïfi réfléchissait sérieusement à un retour des ultras. Les incidents l’ont refroidi.

Retour des ultras : « Je ne l’aurais jamais fait »

Depuis octobre, progressivement, des membres du Collectif Ultras Paris ont le droit de se regrouper en tribunes et d’organiser des animations dans le stade. Quel regard portez-vous sur leur combat ?

Ils ont été très malins, ont su convaincre les Qataris et agglomérer des sous-groupes non identifiables en un collectif massif, visible. Mais personnellement, je ne l’aurais jamais fait. Pas dans ces conditions.

Je suis un ultra, je laisse pas mes couilles à l’entrée du stade. Si demain je devais revenir au stade avec un groupe, la première chose que l’on ferait serait d’afficher un message sur le prix trop élevé des abonnements. Et le PSG enverrait un steward pour l’enlever. Or, la liberté d’expression et le combat pour un football populaire sont des choses essentielles pour un ultra.

Il y a un an, les Qataris ont pris contact avec nous via un conseiller de Nasser Al-Khelaïfi. Ils voulaient qu’on revienne au stade. On lui a dit : “Avec nos fumigènes et nos messages ?” Il a répondu : “Oui oui bien sûr, on se revoit lundi, avec nos avocats” (le PSG et les Supras ont un conflit juridique en cours) Bien sûr, on n’a jamais eu de coup de fil.

Qui a gagné selon vous, entre le PSG et les ultras ?

Je ne vois pas de vainqueur. Il y a des intérêts communs qui poussent les uns et les autres à faire des concessions : le PSG à prendre un risque sur la sécurité, le CUP à abandonner une partie du délire ultra. Je ne suis pas sûr que ce soit viable à long terme. S’ils croient en un football populaire, ce qui est le cas, ils vont vouloir sortir une banderole. Quelle va être leur attitude quand on va leur arracher ce message et quand les mecs qui le portaient seront interdits de stade ? Je suis très dubitatif.

Ils ont le savoir-faire et l’argent, avec 1 500 adhérents, mais il manquera la liberté et la marge de manœuvre nécessaire au mouvement pour recréer l’ambiance d’antan.