François Fillon et Alain Juppé durant le débat de l'entre-deux-tours de la primaire de la droite, à Paris, jeudi 24 novembre. | Capture d'écran France 2

A trois jours du second tour de la primaire de la droite, les deux finalistes se sont affrontés, jeudi 24 novembre, sur France 2, TF1 et France Inter. Retour sur ce qu’ont déclaré François Fillon et Alain Juppé lors de cet ultime « grand oral » avant de laisser les électeurs les départager.

  • Quel président pour la France ?

François Fillon, avançant que « notre pays est au bord de la révolte », a promis de « faire bouger les choses dans les trois premiers mois du quinquennat. Je veux clore cette première période par un référendum fondamental », sinon, a-t-il dit, « les Français se détourneront de la politique et nous risquons de voir les extrémismes gagner ».

Alain Juppé, qui désire « restaurer la dignité de la fonction, aujourd’hui abîmée, » s’est lui aussi engagé, logiquement, à « agir vite » et « à publier des ordonnances, parce qu’elles permettent d’aller plus vite ». Le maire de Bordeaux, en revanche, « ne [croit] pas aux référendums, cela remet la France en période électorale. »

Ce qui aura changé au 15 août 2017 s’ils sont élus ? Outre la réforme des retraites, qui « sera décidée », Alain Juppé annonce « deux ou trois réformes de structure qui montreront que tout change ».

« J’aurai changé par ordonnances les règles du code du travail. Je redéfinirai les règles du CDI pour mettre des motifs prédéterminés de rupture. Je veux aussi immédiatement lancer un plan audacieux pour l’apprentissage. »

Son adversaire, François Fillon, a prévu entre le 1er juillet et le 30 septembre 2017 de réformer « le marché du travail » afin que l’« on supprime la durée légale du travail ». Le candidat veut de surcroît « un nouveau code du travail allégé avec les normes sociales fondamentales ». Désireux de mettre en route une « réforme des retraites », M. Fillon souhaite aussi « la création d’une allocation sociale unique ».

Sur l’exigence de probité, François Fillon considère qu’« on ne peut pas diriger la France si on n’est pas irréprochable ».

« Les ministres et le président de la République ne doivent pas être mis en examen, doivent avoir une attitude exemplaire. Les hommes politiques ne sont pas des citoyens comme les autres. »

Alain Juppé, lui, désamorce la question en rappelant qu’il a « été condamné » [à 14 mois de prison avec sursis et à un an d’inéligibilité, en 2004, pour prise illégale d’intérêts]. Et d’ajouter : « J’ai assumé, j’ai payé, les Français m’ont renouvelé leur confiance. Pour l’avenir, j’appliquerai évidemment exactement la même règle » que François Fillon.

  • Le modèle social

François Fillon a attaqué fortement un modèle social qui, selon lui, « n’existe plus aujourd’hui ».

« Vous parlez d’un modèle social qui génère six millions de chômeurs, des millions de jeunes qui ne sont pas à l’école, pas en formation, dans la rue. »

Du côté d’Alain Juppé, la meilleure façon de consolider le système de retraite est « de décaler progressivement l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans sur plusieurs années ».

  • La santé

Alain Juppé a attaqué François Fillon au sujet de ses propositions sur l’Assurance-maladie et a souligné une « divergence assez profonde » avec son adversaire, qui prévoit des baisses de prise en charge. « Moi je ne toucherai pas au taux de remboursement dont bénéficient aujourd’hui les Français, qui a déjà été rogné dans les années passées », a déclaré M. Juppé, qui n’avait pas encore utilisé cet angle d’attaque contre son adversaire.

Pour remettre l’Assurance-maladie en situation d’équilibre financier, M. Juppé, qui demande une vérification plus stricte des conditions d’ouverture des droits, a rappelé préférer agir « sur la gestion des caisses d’assurance maladie » et sur la lutte contre la fraude, « qui est réelle ».

« Je veux “désétatiser” le système de santé français », a répondu M. Fillon. « Alors oui, je propose que la Sécurité sociale se concentre sur les risques principaux, alors tout de suite, la caricature ! »

M. Fillon, qui veut limiter à 2 % par an la progression des dépenses de santé, propose de concentrer les remboursements sur « les affections graves et de longue durée », et que ce soit les assurances privées qui prennent en charge les autres dépenses. Dans son programme, il propose que ceux qui n’ont pas accès à l’assurance privée bénéficient d’« un régime spécial de couverture accrue ».

  • Sur le temps de travail

Les deux hommes se sont affrontés sur la question de la durée du temps de travail dans la fonction publique, accompagné ou non d’une compensation salariale. Pour M. Juppé, « on ne peut pas demander à des fonctionnaires de travailler plus pour gagner moins ».

« J’ai entendu François dire que je ne proposais rien pour augmenter la durée du travail dans la fonction publique, c’est tout à fait inexact, je propose (…) qu’on aille progressivement vers trente-neuf heures mais pas de façon brutale, pas d’un coup », a argumenté le maire de Bordeaux.

« (…) J’ai cru comprendre que, dans la fonction publique, il voulait passer aux trente-neuf  heures dès 2017 et avec un salaire correspondant à trente-sept  heures. Est-ce que c’est bien la réalité ? », a-t-il poursuivi.

« Non », a répondu François Fillon. On ne peut pas imaginer qu’il va y avoir des accords dans les entreprises pour augmenter le temps de travail si par ailleurs les fonctionnaires qui ont la sécurité de l’emploi, restent à trente-cinq  heures, voire à trente-deux (…), ce n’est pas ma vision de la justice sociale, de l’égalité », a-t-il expliqué.

« Je pense que les fonctionnaires doivent accomplir un effort de travail supplémentaire pour permettre au pays de se redresser », a-t-il ajouté, suscitant la contradiction de M. Juppé.

  • Sur la réduction des emplois publics

François Fillon a défendu sa proposition de supprimer cinq cent mille emplois publics en augmentant le temps de travail.

« Vous aurez toujours autant d’heures de travail de policiers, infirmiers, si j’augmente le temps de travail. »

Alain Juppé l’a attaqué en affirmant que « supprimer cinq cent mille emplois publics, c’est ne recruter aucun infirmier, aucun policier ou gendarme, enseignant… », ce qu’il juge impossible. Lui propose de supprimer jusqu’à deux cent cinquante mille emplois publics.

  • Sur la sécurité

Sur la suppression ou non de postes dans la police, Alain Juppé estime qu’il « faut réarmer l’Etat » et que « nous avons eu tort de supprimer les RG ». Le maire de Bordeaux regrette par ailleurs que cent cinquante mille postes aient été supprimés durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007-2012), durant lequel François Fillon a été premier ministre.

A l’inverse, M. Fillon « ne regrette pas la suppression de postes » dans la police. « Pourquoi sanctuariser les policiers et pas les enseignants, les infirmiers, etc. ? Où sont les policiers ? Vingt mille policiers ne vont jamais sur le terrain, on peut numériser des procédures, les simplifier. »

  • Sur l’IVG

Les deux candidats sont revenus sur un débat qui avait commencé en début de semaine, Alain Juppé ayant demandé à son rival de « clarifier » sa position sur l’avortement.

« François Fillon serait devenu depuis quelques jours un conservateur moyenâgeux, serait devenu contre l’avortement… Dans mon livre, je dis aussi que jamais on ne touchera à l’IVG. Ma conscience, ça me regarde », a répondu M. Fillon.

  • Sur l’identité

François Fillon a répondu par la négative à la question de savoir si la France était une nation multiculturelle, tandis que son rival a jugé que « l’identité de la France, c’est d’abord la diversité ».

« La France a une histoire, une langue, une culture, naturellement cette culture et cette langue se sont enrichies des apports de population étrangère, mais ça reste la base, le fondement de notre identité », a poursuivi François Fillon.

« Pour ma part, ce n’est pas le choix que je veux pour mon pays, je veux que les étrangers qui viennent s’installer dans notre pays s’intègrent, s’assimilent, respectent l’héritage culturel qui est le nôtre, car c’est une revendication extrêmement forte, profonde au fond de l’âme française que de conserver nos repères, nos valeurs, une forme d’identité, naturellement qui a évolué, dans un monde qui est un monde ouvert, mais qui ne doit pas disparaître. »

« Quand on vient dans la maison d’un autre, par courtoisie, on ne prend pas le pouvoir, on respecte cet autre », a dit l’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy.

« Pour moi, a répondu Alain Juppé. L’identité de la France, c’est d’abord la diversité et j’ai peut-être là une divergence avec François. Parce que nous ne sommes pas tous pareils : nous avons des origines différentes, des couleurs de peau différentes (…), nous avons des religions différentes, certains n’en ont pas, nous avons aussi des idées politiques différentes. »

« C’est une richesse, c’est une force, la diversité de la France, à la condition que cela ne conduise pas au communautarisme», a poursuivi le maire de Bordeaux. C’est-à-dire à l’enfermement de chaque groupe dans ses propres lois ou dans ses propres modes de vie et que ça conduise au contraire à une unité renforcée dans la nation. »

  • Sur les relations avec la Russie

Les questions sur les relations franco-russes ont principalement concerné François Fillon, dont la russophilie a été critiquée. Ce dernier a affirmé que « l’intérêt de la France n’est évidemment pas de changer d’alliance » en se tournant vers la Russie plutôt que vers les Etats-Unis, tout en renouvelant sa volonté de « retisser un lien » avec la Russie.

Interrogé sur les éloges du président russe, Vladimir Poutine, qui voit en M. Fillon « un grand professionnel » qui « se distingue fortement des [autres] hommes politiques de la planète », le député de Paris a répondu ne pas avoir « entendu du tout de soutien » du Kremlin.

« Il se trouve que nous avons travaillé ensemble, car j’ai été premier ministre pendant cinq ans et il a été premier ministre pendant cinq ans », a poursuivi M. Fillon au sujet de M. Poutine. « Ce sont les seules relations que nous avons. »

M. Fillon a toutefois qualifié d’« absurde » la politique conduite par François Hollande à l’égard de la Russie, estimant qu’elle menait ce pays à « se durcir, à s’isoler, à actionner les réflexes nationalistes ».

« Or il se trouve que la Russie est le plus grand pays du monde, bourré d’armes nucléaires, donc un pays dangereux si on le traite comme nous l’avons traité depuis cinq ans », a poursuivi M. Fillon. « Ce que je demande c’est que l’on s’asseye autour d’une table avec les Russes sans que l’on demande l’accord des Etats-Unis et que l’on retisse un lien, si ce n’est une confiance, qui permette d’amarrer la Russie à l’Europe. »

  • Questions politiques

François Fillon a été interrogé sur le soutien que lui ont apporté certains hommes politiques d’extrême droite, à l’instar de Carl Lang. « Il y a trois personnes d’extrême droite qui ont annoncé me soutenir, » a minimisé M. Fillon, alors qu’« il y a trois cents élus du nouveau centre qui ont annoncé me soutenir. »

« Ce que je veux, c’est réduire la part des extrémismes dans ce pays, réduire le nombre de Français tentés par l’extrémisme ; la deuxième chose, c’est ouvrir le gouvernement et la majorité à des gens venus de l’extérieur qui ont réussi dans leur vie professionnelle. »

Alain Juppé a assuré ne pas vouloir « faire entrer des ministres socialistes sans prévenir personne », allusion à l’ouverture opérée en 2007. Mais il a toutefois réaffirmé sa volonté de rassembler le plus largement possible à la présidentielle :

« Nous n’avons jamais gagné d’élection quand nous n’avons pas rassemblé la droite et le centre. Je connais énormément de Français déçus par nous qui sont allés voter Hollande en 2012, et ce ne sont pas des socialistes. Si nous fermons la porte aux déçus du sarkozisme, nous ne gagnerons jamais. »
  • Une fierté ? Un regret pendant cette campagne ?

François Fillon, pour sa part, a exprimé « la fierté d’avoir imposé une certaine partie des thèmes de campagne et d’avoir gagné une bataille idéologique ; il n’y a pas de victoire électorale sans victoire idéologique. » Le député de Paris a cependant concédé « le regret d’avoir mis autant de temps à convaincre. »

Quant à Alain Juppé, le maire de Bordeaux s’est estimé fier « d’avoir été systématiquement à la rencontre des Françaises et des Français » et « d’avoir construit [s]on projet avec eux ». En revanche, il se fait plus évasif quant à d’éventuels regrets. « J’en ai beaucoup », dit-il d’abord. Avant de se raviser : « Eh non, en fait pas tant que ça… »