Président de Michelin depuis mai 2012, Jean-Dominique Senard s’inquiète d’une marginalisation de l’Europe face à la Chine et aux Etats-Unis. Pour adapter l’entreprise clermontoise aux évolutions économiques et à une concurrence accrue, M. Senard vante les mérites de la négociation, du dialogue social. Il fait aussi l’éloge de la responsabilisation des équipes.

Le monde et la Chine

« Deux blocs importants se sont constitués. Un pôle asiatique et notamment chinois, et un ensemble nord-américain extrêmement solide. Mon inquiétude, c’est que le maillon faible dans tout cela, ce soit finalement l’Europe. Une forme de marginalisation qui accroît dans les pays européens l’inquiétude née de la mondialisation. La Chine évolue. Des entreprises chinoises deviennent exceptionnelles en termes de performances, de capacités et de compétences. Et ce pays, que l’on dit toujours très attaché à son propre territoire, commence à s’étendre. Cela se manifeste par un ­certain nombre de rachats d’entreprises en Europe. L’un de mes concurrents européens, Pirelli, est aujourd’hui 100 % chinois.

Aux Etats-Unis, les entreprises sont capables de repérer une petite entreprise performante en Europe, même parfois au fond du Massif central. Vous voyez alors brutalement des forces invraisemblables qui s’activent pour acquérir cette société, avant même qu’elle ait pu naître ou se développer. Dès que l’Europe produit quelque part une technologie particulière, il existe un risque que cette entreprise soit rachetée. »

Le social

« Une des clés de l’évolution de l’économie dans les pays matures, en particulier en France, c’est l’ouverture très intense du dialogue social. La compétitivité est un fait. Si l’entreprise n’an­ticipe pas un certain nombre d’évolutions, notamment écono­miques, on peut se retrouver très vite dans un piège, et à ce moment-là les réorganisations sont douloureuses, pénibles et insupportables. Il faut faire de la pédagogie, et surtout faire confiance aux équipes, au secteur marchand, et à la négociation au plus proche du terrain.

Nous avons signé des accords sociaux dans deux usines en France, en ouvrant le dialogue avec les représentants syndicaux et les équipes de terrain. Nous avons pris le risque de tout mettre sur la table. Les groupes de travail ont généré des solutions, et l’entreprise a du coup investi des sommes importantes. Ce sont les ouvriers et les équipes qui ont décidé de travailler, non pas plus mais différemment. Ils se sont ouverts à la flexibilité pour s’adapter à la volatilité des marchés à laquelle nous faisons face.

La signature de ces accords ­extraordinairement solides me rend optimiste, alors même que je pensais que ces usines n’avaient pas d’avenir. Je sais maintenant qu’elles sont là pour les vingt années qui viennent. »

Responsabilisation

« La responsabilisation des équipes provoque un mouvement qui bou­leverse la nature des relations de travail. Ce n’est pas l’autogestion mais l’autonomie dans un cadre bien compris.

Si vous venez dans les usines Michelin maintenant, vous allez voir des îlots de production de six ou sept ouvriers, qui sont en parfaite autonomie sur la façon dont ils vont mener leur travail, dans les quinze jours qui viennent ou dans le mois à venir, avec des objectifs qu’ils se sont fixés eux-mêmes.

Ils se sont organisés pour la formation ou le remplacement des uns et des autres, pour la sécurité, pour la production. Vous n’imaginez pas comment cela change ­l’atmosphère dans nos usines. Le manager devient un coach, une aide présente et permanente. Il doit aider, résoudre les problèmes, et quand il ne peut pas, les remonter à l’échelon supérieur. »

L’industrie française

« La révolution numérique est une formidable opportunité de réindustrialisations. Nous avons créé il y a quelques semaines avec la société Fives une entreprise commune de production de machines d’impression 3D métal à Clermont-Ferrand. Cette entreprise va créer des emplois, et nous serons en mesure d’être très performants dans la fabrication et la vente ensuite de ces machines. Evidemment, ce ne sont pas des usines de 1 500 personnes, mais ce sont quand même des unités qui vont grandir, créer des emplois. Nous avons une chance formidable de relocalisation d’une forme d’industrie. Mais attention. Il faut être vigilant et anticiper. Or une des choses qui est la moins anticipée aujourd’hui, c’est la transition, et notamment la transition sociale. »