Donald Trump, à New York, le 8 novembre. | CARLO ALLEGRI / REUTERS

L’élection surprise de Donald Trump en tant que président des Etats-Unis, qui fait suite au vote des citoyens britanniques en faveur d’une sortie de l’Union européenne, est troublante. Elle devrait générer beaucoup d’introspection chez ceux qui font profession de décrypter l’opinion publique et ceux qui les écoutent encore. Quant à la forme et au fond des campagnes électorales victorieuses, aux ressorts qui mènent au pouvoir par les urnes, ils devraient donner aux politologues de quoi analyser en profondeur l’état des démocraties dites modernes.

Les marchés financiers ne se posent pas tant de questions. Le capitalisme est amoral et les marchés sont apolitiques. Le risque politique est très difficilement quantifiable de toute façon, et donc sort en général du périmètre d’analyse des investisseurs.

Ce que les investisseurs voient dans l’élection de Donald Trump, c’est presque exclusivement le volet économique de son programme. Ce dernier est à la fois chiffré et très hasardeux. Les chiffres de dépenses publiques en infrastructures, de réduction des dépenses sociales, de réductions de l’impôt sur les sociétés et sur le revenu sont très difficilement réconciliables, sauf à ne pas voir dans l’augmentation du déficit budgétaire et de la dette publique une contrainte respectable.

Peu importe néanmoins pour les marchés la matérialité de ces incohérences à ce stade. Les marchés font confiance, c’est même leur fondement libéral, à l’autorégulation. Ce qui compte pour eux est de se forger des convictions sur la direction du mouvement. Les excès et les incompatibilités se corrigeront d’eux-mêmes sous l’effet des forces de rappel des marchés.

Première conviction, l’allégement de la pression fiscale augmentera les marges nettes des entreprises. Cette perspective ouvre l’espoir légitime que la propension de ces dernières à investir se redresse enfin. A tout le moins, les entreprises seront davantage encouragées à investir sur le territoire américain. L’Irlande a démontré que la stratégie de l’attractivité fiscale pouvait être puissante.

A long terme ce succès pourrait inverser la décrue de la productivité de l’économie américaine. A plus court terme, il attirera les capitaux aux Etats-Unis et soutiendra la valeur de la monnaie américaine. Il s’agit d’ailleurs d’une différence cruciale d’avec le projet britannique : les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont en commun le problème d’un très large déficit extérieur, que les Etats-Unis pourront financer facilement si les capitaux extérieurs affluent.

A contrario, le Royaume-Uni est confronté à l’assèchement des entrées de capitaux du fait de l’incertitude du Brexit. En conséquence, la livre sterling se voit distribuer le rôle de variable d’ajustement en se dépréciant, tandis que le dollar monte.

Deuxième conviction, les dépenses d’infrastructures augmenteront. C’était le point d’accord, fût-ce à un degré différent, entre les deux candidats. Le phénomène n’est d’ailleurs pas qu’américain. Philip Hammond, nouveau chancelier de l’Echiquier (ministre des finances britannique), annonce lui aussi une reprise de ces dépenses.

La raison en est que l’investissement public s’est beaucoup réduit au fil des vingt dernières années, sous l’influence d’une désaffection pour les remèdes keynésiens et, depuis 2008, sous l’effet de la contrainte budgétaire. Il est donc considéré comme légitime d’attendre de nouveau de l’Etat qu’il amorce la pompe à phynance.

Troisième conviction, ces ambitions devront s’accommoder, au moins dans un premier temps, de déficits budgétaires plus élevés, d’un accroissement de la dette et d’un relèvement des anticipations d’inflation. Il est d’ailleurs probable que les programmes économiques qui s’affronteront lors des élections françaises et allemandes en 2017 s’accordent aussi sur ce point. Cette perspective annonce des taux d’intérêt qui ne pourront plus continuer de refléter une perspective macroéconomique déflationniste à l’infini.

La quatrième conviction des marchés est la plus discutable : cette transition s’effectuera en douceur. Autrement dit, les dérapages budgétaires n’alimenteront pas une crainte d’instabilité financière. La remontée des taux d’intérêt sera tempérée par une politique monétaire temporisatrice des banques centrales.

Les promesses protectionnistes ne tueront pas les bienfaits des plans de relance domestiques par l’atteinte au commerce mondial. La montée des souverainismes ne nourrira pas une prime de risque politique plus élevée. Le contraste entre des promesses populistes et des politiques économiques en réalité bien peu sociales ne déclenchera pas des déceptions violentes.

Les trois premières convictions commandent aux marchés de se positionner pour une inflexion macroéconomique majeure. La quatrième de garder les yeux bien ouverts.