Au lendemain du dernier débat de la primaire à droite qui a opposé les deux finalistes, Alain Juppé et François Fillon, Nicolas Chapuis, qui codirige le service politique du Monde, a répondu à vos questions sur ce que l’on peut attendre dimanche, jour du second tour.

PaulK5 : Le deuxième tour est-il plié d’avance pour Fillon ?

Nicolas Chapuis : Bonjour Paulk5, on va se garder de faire des pronostics définitifs, l’expérience récente montre que c’est hasardeux. Il y a plusieurs critères objectifs qui permettent de dire que la partie est mieux engagée pour Fillon.

Tout d’abord, son score de premier tour (44 %) et l’écart avec son adversaire (16 points) lui donnent une avance confortable. Deuxièmement, le ralliement de Nicolas Sarkozy pèse dans la balance auprès des sympathisants LR. Son positionnement semble enfin davantage correspondre à celui de l’électorat qui s’est déplacé en masse la semaine dernière. Cependant il y a plusieurs inconnues : quelle sera la participation ? Les mêmes personnes vont-elles se mobiliser ? Que vont faire les électeurs de Sarkozy ? Et enfin, la stratégie d’entre-deux-tours de Juppé, qui a dépeint son adversaire en réac et en ultralibéral peut-elle pousser des électeurs à changer leur vote ? Il faudra une conjonction de beaucoup de facteurs pour permettre à Juppé de recoller

Sofiane : On voit ici et là que Fillon a « remporté » le débat. Pourtant, j’ai eu l’impression qu’on approchait plus d’un « match nul »…

Ce genre d’appréciation recèle forcément une grande part de subjectivité. Mais d’une certaine façon, même si vous estimez qu’il y a eu match nul, le statu quo profite à celui qui est en tête et cela fait donc de Fillon le gagnant de la séquence. Juppé devait renverser la table, il n’a pas réussi – voire ni même essayé. Dans ce débat, François Fillon s’est défendu des critiques (sur l’IVG, sur son ultralibéralisme, sur la Russie), il n’a pas perdu son calme et c’est plutôt Juppé qui a parfois eu du mal à faire passer son message.

Nicolas : L’audience de 8,5 millions contre 5 millions pour le débat du premier tour n’est-elle pas un indicateur d’une potentielle augmentation de la participation ? Ce qui jouerait probablement en faveur de Juppé.

Cette audience est en effet excellente. C’est bien plus que pour les débats d’avant premier tour, et c’est bien plus que pour la primaire de la gauche en 2011. Cela montre qu’il y a un intérêt fort pour cette élection dans le pays. Chacun pressent que le gagnant sera bien placé pour, si ce n’est remporter la présidentielle, au moins en être l’un des favoris (même si tout cela est encore loin et qu’il faut rester prudent).

Quant à savoir à qui va profiter ce regain d’intérêt, c’est difficile de se prononcer. On peut mettre également cela sur le compte de la surprise de dimanche dernier. Beaucoup de personnes voulaient peut-être observer le phénomène Fillon qui était passé sous les radars. Dans le camp Juppé, on se réjouit qu’il y ait eu, entre les deux tours, plus de 200 000 connexions au site de la primaire pour trouver son bureau de vote. Y aura-t-il une mobilisation de nouveaux électeurs dimanche, qui n’auraient pas voté au premier ? C’est l’une des inconnues du scrutin, et c’est aussi ce qui le rend passionnant.

Henri : A quelle participation peut-on s’attendre dimanche ?

Le premier réflexe est plutôt de se dire que la participation va baisser. Il n’y a plus Nicolas Sarkozy et pour beaucoup d’électeurs que nous avons rencontrés battre l’ancien président était le principal motif de vote. On peut aussi s’interroger sur ce que vont faire les partisans de Nicolas Sarkozy. Les organisateurs étaient inquiets en début de semaine, car les sarkozystes étaient les plus nombreux parmi les personnes qui tenaient les bureaux de vote, ils craignaient une forte désaffection.

Cependant, la campagne d’entre-deux-tours, qui a été assez animée, peut-elle mobiliser à nouveau les électeurs ? C’est le pari de M. Juppé qui a tenté d’activer le ressort de l’antifillonisme. M. Fillon serait un ultralibéral, réactionnaire, opposé à l’avortement, et contre lequel il faudrait venir voter en masse. Mais dans son propre camp, la stratégie de M. Juppé a été peu appréciée. Reste à savoir si certains de ces thèmes ont porté.

WTF encore eux ?!? Existe-t-il d’autres pays démocratiques au sein desquels le personnel politique est aussi âgé et reste aussi longtemps ?

Vous avez raison, il est très rare dans les autres pays autour de nous que les personnalités ayant occupé les premières fonctions reviennent ainsi. Au premier tour de la primaire, il y avait deux anciens premiers ministres et un ancien président. Cependant, il ne faut pas idéaliser nos voisins : Angela Merkel a 62 ans et va briguer un quatrième mandat. En Grande-Bretagne, la désorganisation post-Brexit a fait émerger Theresa May (qui a 60 ans). En Espagne, Rajoy a 61 ans. Aux Etats-Unis, les deux candidats avaient 69 (Clinton) et 70 ans (Trump). S’il l’emporte, François Fillon avec ses 62 ans, ne dépareillera pas. Il y a peu de quadras au pouvoir chez nos partenaires, exceptés Justin Trudeau au Canada (44 ans) et Matteo Renzi, en Italie (41 ans).

Sylvain : Le débat était très lisse et polissé. J’ai eu l’impression que l’on parlait plus de leurs points communs que de leurs différences. Etait-ce vraiment la meilleure chose à faire pour Juppé ? Ne risque-t-il pas de ne pas pouvoir inverser la tendance avec un débat aussi tiède ?

En effet, le débat n’a pas été très animé. Il y a eu deux lignes cette semaine dans le camp Juppé : ceux qui voulaient taper comme des sourds sur Fillon et ceux qui pensaient que la partie était perdue et qu’il valait mieux perdre avec dignité en ne changeant pas de ligne de conduite. Le début de la semaine a donné raison aux premiers, le débat a montré que la voix des seconds a fini par l’emporter.

Amaltafta : Entre les deux candidats, sait-on pour qui voteront majoritairement les sympathisants du FN, étant donné qu’ils sont normalement plus proches de Fillon sur les sujets identitaires mais plus proches d’un Juppé plus modéré dans ses réformes libérales sur les sujets économiques ?

Ce sera la grande question de la campagne présidentielle. Si Fillon l’emporte, sera-t-il capable de ramener à lui une partie de l’électorat qui est parti au FN ? A priori, son positionnement très conservateur sur les valeurs et dur sur l’immigration peut séduire une partie de ces électeurs. Le profil du candidat, qui a une image d’homme plutôt intègre et un style jugé sobre, peut également convaincre des gens, agacés par les outrances de Sarkozy, de revenir vers la droite. Mais son programme économique peut également provoquer un effet de repoussoir auprès des couches populaires, pas spécialement tentées par le libéralisme à tous crins. Pour reprendre l’analyse habituelle un peu caricaturale de l’électorat d’extrême droite, Fillon peut parler au FN du Sud, conservateur libéral, mais aura davantage de mal à se faire entendre auprès du FN du Nord, plus populaire et qui se sent exclu de la mondialisation.

Blind_Editor : Comment se fait-il que l’écologie n’ait absolument pas été abordée hier soir ?

L’écologie a été la grande oubliée de toute la campagne. Les candidats considèrent que ce n’est pas un thème porteur auprès de leur électorat. Ou ils n’en ont rien à faire. M. Juppé l’avait érigée en priorité, mais il n’a jamais su la mettre sur le devant de la scène. C’est NKM qui a poussé pour que le thème de l’environnement figure au sommaire du deuxième débat. C’est désespérant. Je n’ai pas d’autres mots. On apprenait hier que les températures sont actuellement supérieures de 20 degrés aux normales de saison dans l’Arctique. Ce manque de préoccupation pour l’environnement, combiné à l’élection de M. Trump qui considère que le réchauffement climatique est une invention des Chinois pour pénaliser l’économie américaine, laisse présager de sombres lendemains.

Le Lutin : L’absence de la culture, de l’environnement et d’autres sujets d’importance tient-elle plus de leur absence dans les programmes des candidats ou de questions en ce sens chez les journalistes ? Comment se prépare un tel débat du côté des acteurs de l’information ?

La responsabilité est partagée. Nos confrères n’ont en effet pas mis ces sujets à l’honneur. Mais les candidats avaient eux-mêmes participé à la définition des sujets de discussion. Ils ont choisi ce qui, selon eux, pouvait leur permettre de marquer des points dans leur électorat respectif. Il est, à mon avis, très dommage de ne pas avoir fait confiance au sens civique et au sens de la responsabilité de leurs électeurs, qui sont tout autant que les autres Français passionnés par les questions de culture et d’environnement.

Lili : Comment expliquer le retournement ultraconservateur de la droite, illustrée par les forts pourcentages de Fillon ? Comment cette recomposition post-manif pour tous a-t-elle pu prendre autant de place sur la scène politique ?

Il y a manifestement une droitisation de l’électorat français avec aujourd’hui un FN qui représente un petit tiers des électeurs, la droite pareil, et la gauche se partage ce qui reste. Vous parlez de retournement. Je crois au contraire que c’est un lent et long mouvement. Le camp des conservateurs a remporté depuis dix ans nombre de victoires culturelles. Une partie de leurs thèmes de prédilection se sont imposés dans le débat public, qu’il s’agisse des valeurs, de l’immigration ou de la sécurité. L’extrême droite bien sûr capte une partie de cette évolution. L’épisode de la déchéance de nationalité (mesure qu’elle était la seule à prôner en 2012) n’en est que l’une des nombreuses illustrations. La responsabilité en incombe autant à la gauche qui a échoué au pouvoir, qu’à la droite qui pour vaincre le FN, lui a emprunté une partie de ses idées.

Sur l’aspect ultraconservateur, certains ont cru que le mouvement de La Manif pour tous avait perdu avec l’adoption définitive de la loi. Mais l’enjeu était ailleurs. A cette occasion, une certaine droite, qu’on avait perdu l’habitude d’entendre dans le débat public, a repris beaucoup de vigueur. Elle a vu elle-même sa puissance et sa capacité de mobilisation. Les candidats de la primaire (excepté peut-être NKM) ont tous été très prudents avec cet électorat-là. Et c’est Fillon qui a su le mieux le capter. Ça ne suffit pas à expliquer sa victoire mais c’est l’un des facteurs majeurs.

Sylvain : Peut-on envisager que le débat était cordial car ils anticipaient déjà une collaboration par la suite (intégration de l’un au gouvernement de l’autre) ?

C’est peu probable. Si M. Juppé perd dimanche, il n’aura certainement pas envie de redevenir ministre. Il a déjà été premier ministre, ministre des affaires étrangères… Cela ressemblerait à un retour en arrière. En revanche, il n’est pas dit qu’il n’y ait pas un poste honorifique à la clé. Mais je ne crois pas que ce soit l’ambition de M. Juppé.

Coubertin : Comment se fait-il que François Fillon arrive à rester à l’abri de l’antisarkozysme général, alors qu’il a été son premier ministre sans discontinuer pendant cinq ans, et a validé la politique qui a été menée pendant cette période ?

C’est une excellente question. C’est là, rendons-lui hommage, le grand tour de force de M. Fillon pendant la campagne. Il a réussi à incarner une rupture par rapport à M. Sarkozy, alors même qu’il a été son premier ministre pendant cinq ans. On a également oublié pendant la campagne l’épisode peu glorieux de la guerre avec Copé pour la présidence du parti. Oubliées encore les accusations de M. Jouyet qui affirmait auprès de deux journalistes du Monde que M. Fillon l’avait sollicité pour faire tomber judiciairement M. Sarkozy.

Il est apparu comme un homme neuf, et il a su, manifestement mieux que les autres, porter un programme de rupture, sur le plan économique, sur le plan des valeurs, et sur le plan de l’incarnation de la fonction présidentielle. J’insiste sur ce dernier point parce que tous nos reporters ont rencontré des électeurs qui ont voté Fillon parce que le style sobre et très « homme d’Etat » du personnage leur a plu.

Armelle : Impossible d’avoir une réponse sur les suppressions de postes chez les fonctionnaires. Qui sera concerné ? Pourquoi aucun des deux candidats ne souhaite se prononcer. Dommage, les journalistes sur le plateau n’ont pas exigé de réponse…

Vous êtes nombreux à poser des questions en ce sens. En effet, les promesses de suppression de postes sont restées floues. Elles visent les trois secteurs (fonction publique, territoriale et hospitalière). Tout juste sait-on quels secteurs devraient être épargnés (justice, police, armée…). Il s’agirait de ne pas remplacer la moitié des quelque un million de fonctionnaires qui devraient partir à la retraite en cinq ans. Mais dans ce chiffre, M. Fillon ajoute les fonctionnaires et les contractuels. Ce qui rend son propos assez confus. Il propose aussi une augmentation de la durée de travail pour compenser ces coupes. Si vous voulez vous faire une idée de l’impact des coupes annoncées par MM. Fillon et Juppé, je vous engage à lire cet article de mon collègue Bertrand Bissuel, qui détaille à la fois les secteurs visés et la manière employée.

Tom : Pourquoi ne pas mobiliser les électeurs de gauche pour voter Juppé dimanche ? L’ultralibéralisme de Fillon vaut tout de même un effort, non ?

S’il y a une leçon du scrutin de la semaine dernière, c’est qu’il vaut toujours mieux commencer par faire campagne auprès de son camp. La mobilisation de l’électorat de gauche et du centre en faveur de Juppé a peu pesé face à celle du cœur de la droite qui a choisi Fillon. Nous verrons si le deuxième tour confirme cette maxime.

CP : J’ai du mal à comprendre la gestion de la semaine par Alain Juppé. Il a annoncé qu’il continuait le combat et a commencé très fort afin de sensibiliser l’électorat en sa faveur. Pourquoi n’a-t-il pas continué jeudi soir pendant le débat en attaquant plus sévèrement M. Fillon sur les incohérences de son programme ?

Comme je le disais plus bas, il y a eu un débat stratégique dans le camp de M. Juppé dès le soir du premier tour. Certains estimaient qu’il fallait tout tenter dans l’entre-deux-tours et faire une blitzkrieg face à M. Fillon. Alain Juppé s’est tellement focalisé sur M. Sarkozy pendant la campagne qu’il en a oublié de faire le travail élémentaire de démontage du programme de M. Fillon. Il a donc, en catastrophe, mis l’accent sur ce qu’il a identifié comme des points faibles (un programme économique trop radical, les ambiguïtés sur l’IVG, et le rapport à la Russie). Parmi les proches de M. Juppé, qui avait jusqu’à présent fait campagne en essayant d’éviter les coups bas et en gardant une certaine hauteur, le changement de stratégie a été mal vécu. Il jugeait qu’il ne fallait pas ajouter le déshonneur à la défaite. Il semble que le candidat les a entendus et il a baissé d’un ton dans le débat.

Hatem ben Arfa : A quel moment les deux candidats ne pourront plus s’exprimer publiquement ?

Ils ne pourront plus s’exprimer à partir de vendredi minuit. Ils font tous deux un dernier meeting, Fillon à Paris et Juppé à Nancy.

Alguebrune : Pourquoi le débat d’idées de l’entre-deux tours a-t-il été si mal perçu par le camp Fillon ? Il me semblait que le but d’une primaire, c’était justement de clarifier des choix, de poser des questions, de confronter des idées. J’ai été très surprise de voir les 200 parlementaires jouer le chœur de jouvenceaux outragés…

Il y avait bien sûr une part de posture politique. Le favori s’indigne de la violence des attaques de ses concurrents : c’est un grand classique. Mais en l’occurrence, ils pensent tous au lendemain du second tour et à la nécessité de se rassembler. La campagne a été parfois violente mais la limite n’a pas été franchie. Ils craignaient que le ton ne monte trop haut dans l’entre-deux-tours et affaiblissent le gagnant lundi matin.