De ses nombreuses vies, Moussa Ag-Assarid a tiré le récit Y a pas d’embouteillage dans le désert !, paru en 2006 aux Presses de la renaissance à Paris. Pour ce Touareg franco-malien de 41 ans, tout avait pourtant commencé comme dans la vie ordinaire d’un enfant nomade, quelque part entre Tombouctou et Gao, dans le nord du Mali, derrière le troupeau familial de cinq vaches, deux chamelles et une dizaine de chèvres. Ici souffle le vent de la liberté absolue : pas de pièce d’identité ni de frontière, encore moins d’école.

« Au cœur de cet immense désert, les seules contraintes que nous avions étaient la recherche des points d’eau et l’accès aux marchés hebdomadaires. On suivait le troupeau au gré des pâturages, sans nous soucier d’aucune contrainte administrative », raconte assis, devant une tasse de café, le Franco-Malien. La voix trahit la nostalgie d’un passé perdu.

Fratrie de treize enfants

Sa vie bascule lorsque, en 1985, sur le campement, une équipe du rallye Paris-Dakar prend quelques photos et lui remet en souvenir Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Que pouvait alors en faire Moussa Ag-Assarid qui ne savait, à 10 ans, ni lire ni écrire ?

« Cet ouvrage a été pour moi le déclic pour prendre le chemin de l’école. Comme mon oncle Azaz était enseignant, j’ai réussi à le convaincre d’intercéder auprès de mon père pour m’inscrire à l’école. J’en ai alors profité pour embarquer mon frère Ibrahim », triomphe-t-il encore près de trente ans plus tard. Aîné d’une fratrie de treize enfants, il découvre que ses camarades de classe ont, en moyenne, la moitié de son âge, mais aussi qu’il est le seul nomade au milieu d’enfants sédentaires, songhaï, dogons, bambara, sarakolé, peuls…

De Bourem à Ansongo en passant par Taboye, Forgho et Gao, l’enfant touareg, sevré de son troupeau par l’école, suivra son protecteur Ousmane Alpha Touré devenu son tuteur au gré de ses affectations dans le nord du Mali. « L’école a été, souligne-t-il, un creuset qui a favorisé ma personnalité : je suis un Touareg qui a grandi au milieu des Songhaï. Quand je parle du peuple de l’Azawad, je n’y mets pas que les Touaregs, j’y associe aussi les Songhaï, les Peuls, les Maures. »

C’est justement à Ansongo, dans le nord du Mali, que lui préfère appeler Azawad, qu’il obtient dans les années 1990 son premier parchemin, le diplôme d’études fondamentales (DEF). Il débute ainsi ses études secondaires lorsque arrive la première rébellion armée touareg. Ses frères rejoignent les rangs de la toute nouvelle rébellion. Son deuxième tuteur, Aghatam Ag-Alhassane, qui deviendra bien plus tard ministre de l’agriculture du président Amadou Toumani Touré (ATT), finit lui aussi par aller prêter main-forte à la rébellion. Moussa Ag-Assarid s’accroche à son banc de l’école. « Parce que je ne pouvais pas abandonner le chemin de l’école, j’avais demandé à mon père de trouver une solution au départ de mon tuteur, se souvient-il avec fierté. J’étais alors convaincu que les études étaient la solution à tous les problèmes de ma famille et de mon peuple. »

Onze jours de garde à vue

Alors qu’il a résisté aux sirènes de la lutte armée, le pasteur nomade, qui alterne désormais tenue traditionnelle touareg et costume-cravate, cède à l’appel de la contestation estudiantine du pouvoir de Bamako. Entre boycottage des cours, assemblées générales et barricades, il est de toutes les agitations qui finirent en 1996 par exaspérer le premier ministre de l’époque, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). « L’actuel président de la République fut un premier ministre intransigeant, raconte le Touareg. Un jour, alors qu’on tenait à quarante-six une réunion d’étudiants dans un amphithéâtre de l’Ecole nationale d’administration (ENA), on a été cueillis par les gendarmes. »

Ce qui aurait pu s’arrêter à une brève interpellation d’étudiants agitateurs s’est transformé en parcours judiciaire assorti d’onze jours de garde à vue et d’une présentation au procureur de la République du tribunal de Bamako. « Nous étions soulagés de quitter la gendarmerie pour le palais de justice, raconte Moussa. Car, dans nos cellules, il faisait tellement chaud qu’on n’arrivait pas à fermer l’œil de la nuit. Pensant nous accorder une faveur, les gendarmes avaient mis en marche des ventilateurs qui brassaient finalement l’air chaud et sec du Sahel. »

Devant les jeunes étudiants hébétés et traumatisés par leur détention, le procureur de Bamako ordonne avec un sourire narquois la libération générale des prévenus. Les meneurs ont juste le temps de se remettre au travail pour passer le baccalauréat. Le jeune Touareg est recalé. Pour Moussa Ag-Assardi, il n’y a pas l’ombre d’un doute, cet échec est la conséquence d’une liste noire établie par le gouvernement d’IBK.

Après un retour dans son campement familial pour se ressourcer, Moussa Ag-Assarid revient à Bamako. Audacieux, il pousse les portes de la fondation d’Amadou Toumani Touré (ATT) pour l’enfance et obtient à la fois une aide pour son association, L’Ecole des sables, et une bourse d’un an pour reprendre ses études au lycée français de Bamako. La générosité de la fondation de l’ex-première dame du Mali, Adame Ba Konaré, va ensuite lui donner l’opportunité de financer son association. En juillet 1999, il décroche finalement son baccalauréat.

Moussa Ag-Assarid devant les couleurs de l’Azawad. | DR

L’aventure hexagonale

En Afrique, le bac est le passeport qui permet d’aller de la province vers la capitale pour poursuivre ses études ou partir à l’étranger. En août, Moussa Ag-Assarid prend l’avion pour Angers, ville jumelée avec Bamako, muni d’un visa de tourisme. Comme pour la fondation d’ATT, le jeune homme de 24 ans récidive en poussant les portes de la mairie d’Angers où il demande, sans peur ni crainte, à rencontrer le maire Jean Monnier auquel il raconte son parcours.

L’élu angevin est séduit par le parcours inédit de ce Touareg parti de nulle part : il intercède auprès de l’université pour qu’il puisse s’inscrire en gestion des entreprises et des administrations, qu’il complète plus tard par un master en management du développement et des formations en communication interculturelle et communication non violente. Comme de nombreux étudiants africains non boursiers, Moussa Ag-Assarid doit exercer de petits boulots pour vivre. Il devient tour à tour postier, travailleur dans les déchetteries et conteur dans des écoles élémentaires d’Angers et d’ailleurs. Parallèlement, il monte des associations au bord du fleuve Niger, qu’il fait connaître à travers des émissions à la radio. « Grâce à ces associations, raconte-t-il avec jubilation, on a créé une cantine, un jardin maraîcher et acquit une pirogue qui permettait d’aller chercher les élèves à scolariser d’une rive à l’autre du fleuve Niger. »

Le succès de L’Ecole des sables a fini par être porté à l’écran avec le téléfilm, Enfants de sable, diffusé par TF1 et France 2 en 2005. A ses heures perdues, Moussa Ag-Assarid s’est essayé au journalisme en tant que pigiste à Radio France internationale (RFI). Il a aussi joué son propre rôle dans la série Louis la brocante, dans un épisode qu’il a coécrit. Les droits qu’il en a perçus ont notamment aidé à doter son Ecole d’un véhicule 4x4.

Le rebelle et l’humanitaire

Survient alors la crise libyenne de 2011, suivie un an plus part du début de la nouvelle rébellion armée touareg emmenée par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Cette fois, Moussa Ag-Assarid n’hésite pas : il part rejoindre les rangs rebelles et décide d’assurer la médiatisation de ce combat. Chargé par le mouvement des relations avec les ONG humanitaires et les organisations de défense des droits humains, Moussa s’enorgueillit d’avoir « joué un rôle de facilitateur. Je prônais le respect des conventions de Genève pour les prisonniers de guerre, notamment la garantie de soins pour les blessés aux combats ». Mécontent de la couverture du conflit par les médias, qu’ils soupçonnent de confondre rebelles et djihadistes, lui qui a fréquenté la radio, la télé et les rédactions décide de ramener lui-même « les vraies images » du terrain pour les mettre gracieusement à la disposition de la presse internationale.

Il devient alors chargé de communication, représentant diplomatique et porte-parole du MNLA pour l’Europe, un poste clé pour une rébellion qui a fait de son image un réel enjeu. Signe de sa montée en puissance, c’est lui qui, avec Moussa Ag-Attaher, annonce le 6 avril 2012 sur TF1, France 24 et France 2 la proclamation de l’indépendance de l’Azawad.

Renoncement

Aux côtés de Bilal Ag-Acherif, secrétaire général du MNLA, « le petit nomade » de L’Ecole des sables fait désormais partie des hommes forts du mouvement. L’un des dirigeants les plus recherchés et les plus détestés par Bamako. En 2013, il fait naturellement partie de la délégation du MNLA chargée de négocier, avec le médiateur malien Tiébilé Dramé, l’accord de paix de Ouagadougou. Aux termes des pourparlers, les mouvements rebelles concèdent le respect de l’intégrité territoriale du Mali dans ses frontières actuelles. Ce sera le premier grand couac entre Moussa Ag-Assarid et ses camarades. « Nous étions clairement en porte à faux avec notre objectif majeur : l’indépendance de l’Azawad. Nous souhaitions être les interlocuteurs privilégiés de notre peuple et mettre fin à un système vieux de cinquante ans qui repose sur la seule volonté de Bamako. » Malgré la colère, il serre les rangs. Jusqu’à l’accord d’Alger de mai-juin 2015 qui lie l’Etat malien, la Plateforme (milices pro-gouvernementales) et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et ne prévoit ni indépendance, ni autonomie, mais une forme de décentralisation poussée dans les régions du nord du Mali. Pas assez pour Moussa Ag-Assarid, qui annonce, lors du congrès du MNLA, son retrait de toute responsabilité dans le mouvement rebelle.

« Quand on sort d’une négociation, on doit se dire qu’on n’a pas tout gagné mais qu’on n’a pas tout perdu non plus, analyse-t-il aujourd’hui. Ce n’est pas le cas avec l’accord d’Alger. On n’a obtenu ni l’indépendance, ni la fédération, ni l’autonomie. La solution acceptable aurait été une fédération de deux Etats maliens : le Mali du Sud et l’Azawad. »

Moussa Ag-Assarid crée alors un mouvement, qu’il souhaite « populaire », le Free Azawad, avec lequel il entend poursuivre « le combat pour la résilience et la libération nationale de l’Azawad. En réalité, l’accord d’Alger est mort-né, comme le prouvent les difficultés de sa mise en œuvre. Nous devons donc maintenant trouver le moindre mal et rechercher une alternative. »

Reste que, depuis plusieurs mois, personne ne peut dire à quoi exactement correspond le moindre mal au nord du Mali.