Fabriquer une main aussi agile que celle de l’homme : c’est, avec la marche, l’un des défis les plus complexes de la robotique humanoïde. Et pourtant l’un des plus indispensables à l’objectif de créer un robot à l’image de l’homme – ou, de façon plus réaliste, un robot capable d’assister l’homme dans des tâches quotidiennes. Une main à l’apparence humaine, capable de saisir et de manipuler tout type d’objet ? « On en est loin, on a encore beaucoup de chemin à parcourir », estime Véronique Perdereau, chercheuse en robotique à l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (ISIR), à Paris 6.

En apparence, nous y sommes presques

La main Shadow sur laquelle travaille Véronique Perdereau. | Morgane Tual / LE MONDE

La main robotique sur laquelle elle travaille est pourtant l’une des plus avancées au monde. Shadow, c’est son nom, est de gabarit humain, dispose de cinq doigts et de suffisamment de moteurs pour copier tous les mouvements de la main de l’homme. Elle est néanmoins encombrée d’imposants capteurs et des câbles qui les accompagnent, pour les alimenter en énergie mais aussi récupérer l’information qu’ils obtiennent. Cette main est donc encore imposante et fragile, et impossible pour le moment d’imaginer la recouvrir de peau synthétique : la forme serait grossière. « Il va falloir attendre des composants encore plus miniatures, des technologies sans fil… Mais là, chacun son job ! » sourit la chercheuse, dans un clin d’œil aux fabricants de composants électroniques.

Hors de ce labo parisien, la main Shadow, fabriquée par une entreprise britannique, connaît toutefois d’autres versions légèrement plus avancées en apparence, comme celle-ci, programmée pour préparer le café et jouer du piano virtuel.

Shadow Robot Hand making coffee at the Beko stand at IFA 2016 in Berlin
Durée : 03:01

Des mouvements pré-programmés...

Mais on est est encore loin d’une main à l’apparence humaine, et celles qui s’en approchent le plus sont très peu mobiles, comme celle du robot d’Hiroshi Ishiguro, esthétiquement proche de la perfection, mais inanimée.

Car concrètement, que savent faire ces mains ? Bien programmées, elles peuvent effectuer des mouvements extrêmement précis et complexes comme servir le café. Efficace, mais décalez le gobelet d’un centimètre et la main ne saura pas l’attraper ; remplissez-le d’un peu plus de café, et celui-ci finira renversé… Et c’est là tout le problème : si les roboticiens sont capables sans trop de difficulté de faire mimer n’importe quel mouvement humain à une main robotique, cela ne fonctionne que pour une tâche unique et très précise, pré-programmée, un peu à la manière d’un automate.

Malgré son apparence humaine, la main du robot de Hiroshi Ishiguro n’est pas mobile. | Bernard Monasterolo / Le Monde

Le vrai défi consiste à créer une main capable de saisir n’importe quel objet, dans n’importe quel contexte, de le manipuler correctement et d’être capable de s’adapter aux imprévus. Un travail titanesque. Et qui commence par doter le robot d’un système de reconnaissance des objets, comme l’explique Véronique Perdereau :

« Quand je vois un stylo, je sais ce que c’est, je sais comment je vais l’utiliser et je fais des gestes adaptés. Quand vous voulez boire, vous ne prenez pas la bouteille par le dessus, vous anticipez. Pour cela, il faut reconnaître l’objet : sa forme et sa fonction, pour réaliser les mouvements en conséquence. »

Et ce n’est pas une mince affaire. Même si les programmes de reconnaissance des objets en direct, couplés à des caméras, ont considérablement progressé ces dernières années, le robot a besoin d’en savoir plus sur l’objet afin d’adapter son geste : quelle est sa fonction ? Quelles sont ses propriétés ? Est-il lourd, glissant, fragile ? Aucune main n’est capable, aujourd’hui, d’en savoir autant sur un objet qu’elle s’apprête à manipuler.

... à la main autonome

« Aujourd’hui, les mains savent faire des gestes adaptés sur une quantité d’objets limités », détaille la chercheuse. « Chez nous, c’est par exemple un verre, une canette, une tasse. Ces objets, on lui a appris, à partir de gestes réalisés par des humains. Mais l’idée n’est pas de faire de la copie, il faut que la machine utilise ces séquences pour extraire les informations pertinentes, et s’en serve pour recréer ses propres mouvements. C’est là qu’intervient l’intelligence. »

La main qu’elle développe sait donc s’adapter à plusieurs types de verres, de canettes, de tasses, posées à des endroits différents. Mais elle n’est pas pour autant capable de manipuler des objets totalement différents : il lui faut du temps.

« Progressivement, elle peut réaliser de plus en plus de gestes. L’idée est qu’un système robotique intelligent puisse continuer d’apprendre pendant sa vie, comme nous. La méthodologie est validée, on a montré la faisabilité, mais on ne va pas au-delà d’un certain nombre d’objets, par manque de moyens. »

Pour apprendre, il faudrait en effet que le robot manipule, pendant des mois, voire des années, des objets différents. Et tout le monde n’a pas les mêmes moyens que… Google, qui effectue ce genre de recherche, avec 14 bras mécaniques qui ont, des milliers d’heures durant, appris à saisir des objets de nature très différente. Mais ils n’utilisent qu’une simple pince, bien plus simple et bien moins agile qu’une main humanoïde, qui se contente d’agripper les objets sans avoir à la manipuler davantage.

Large-scale data collection with an array of robots
Durée : 00:30

« D’ici quinze ans, on peut y arriver »

Les progrès qui restent à faire sont encore très importants avant de pouvoir envisager une interaction avec un humain. « Si je veux donner un verre d’eau à une personne âgée, il faut une certaine robustesse de la saisie », souligne Jean-Pierre Gazeau, ingénieur de recherche CNRS au sein de l’équipe Robioss (Roboique biomécanique sport et santé) et spécialiste de la préhension. Si le robot serre trop fort, il risque de se casser, s’il ne serre pas assez, il risque de glisser. « Et il ne faudrait pas non plus faire tomber de l’eau bouillante… » Sans compter que pour faire interagir l’homme et la machine, d’autres paramètres doivent être pris en compte :

« Il faut mettre l’humain en situation de confort. Si le robot lui propose un objet, il ne doit pas être trop haut ni trop bas. Il faut qu’il perçoive l’intention de l’humain, s’il tend la main vers l’objet par exemple, ou non. Il faut de l’intelligence et là dessus, il y a encore beaucoup de travail à faire. »

Et le tout doit fonctionner en temps réel, ce qui ajoute un niveau de complexité. Qui plus est, pour être complète, une main robotique ne devrait pas seulement être en mesure d’évaluer la forme ou le poids d’un objet, mais aussi sa texture ou encore sa température. Ce qui impose de multiplier les capteurs encombrants et qui complexifie considérablement le traitement des données en temps réel. La peau humaine, elle, est recouverte de capteurs tactiles, qui nous permettent de ressentir très finement notre environnement, avec une précision qu’aucune main robotique ne peut égaler aujourd’hui.

> La main développée par Robioss, le laboratoire de Jean-Pierre Gazeau à Poitiers :

The new ROBIOSS dexterous robot hand from PPRIME Institute
Durée : 02:06

Toutefois, rappelle le roboticien, « la main n’est pas le préhenseur optimal pour chaque tâche, c’est en adaptabilité qu’elle est la meilleure. La main humaine est un modèle pour manipuler une grande quantité d’objets ». Un discours partagé par Zhe Xu, roboticien à l’université de Yale, à l’origine d’une main très avancée, mais non-autonome. « Nous avons aussi besoin de mains robotiques spécialisées, pour réaliser des tâches qui doivent par exemple être effectuées dans un tout petit espace ou qui nécessitent beaucoup de force. Chaque main robotique a ses limites, mais l’ensemble de toutes celles existantes sait déjà faire beaucoup de choses. »

Pour Jean-Pierrre Gazeau, la création d’une main artificielle aussi dextre que celle ne l’homme n’a toutefois rien d’un fantasme. « D’ici quinze ans, je pense qu’on peut arriver à réaliser ce genre de main. C’est raisonnablement envisageable », estime le chercheur, soulignant les progrès de l’intelligence artificielle dans le domaine de l’apprentissage des machines.

En bref :

Ce dont une main robotique est aujourd’hui capable :

  • Manipuler un nombre limité d’objets

  • Réaliser avec un gabarit humain tous les mouvements de la main

Ce qu’elle ne sait pas faire :

  • S’adapter à n’importe quel objet

  • Analyser toutes les propriétés d’un objet pour le manipuler correctement

Les progrès qu’il reste à faire :

  • Améliorer l’apprentissage pour manipuler plus d’objets

  • Miniaturiser davantage les composants pour améliorer l’apparence

  • Rendre la main plus robuste

Cet article fait partie d’une série consacrée à l’état des lieux de la robotique et l’intelligence artificielle.