Manuel Valls lors de son déplacement à Rouen, le 25 novembre. | CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Un premier ministre ne devrait pas dire ça… Manuel Valls le « loyal » ne veut pas que François Hollande soit candidat à un nouveau mandat, cela fait de moins en moins de doute. Mais le chef du gouvernement, s’il s’estime mieux placé que le président de la République pour concourir en 2017, n’ose pas non plus passer pour Brutus, après avoir tant reproché de l’être à Emmanuel Macron depuis la rentrée. Alors il persiste dans son travail de sape indirect, désormais quotidien, contre le chef de l’Etat. Au risque de lasser et, à la fin, d’échouer.

Tandis que bruissent les rumeurs, entretenues par l’entourage présidentiel, d’une déclaration de candidature très prochaine de François Hollande à la primaire organisée par le Parti socialiste, le premier ministre tente d’empêcher le chef de l’Etat. A ce stade, il n’a pas prononcé la phrase qui ferait définitivement basculer le couple exécutif dans une crise de régime. Il laisse ses proches, comme le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, ou le député de l’Essonne, Malek Boutih, sonner l’alerte dans les médias. Peine perdue, le président ne semble pas sur le point de renoncer, bien au contraire. « Valls veut faire craquer Hollande, mais comme il voit que Hollande ne craque pas, il s’agace et en rajoute », observe un dirigeant socialiste.

« Seul intérêt de la France, de la gauche et de sa famille politique »

En déplacement à Rouen, vendredi 25 novembre, pour signer un « pacte métropolitain » entre l’Etat et la ville, Manuel Valls a surtout profité de son escapade normande pour porter de nouveaux coups à la statue de François Hollande. Depuis la ville natale de ce dernier, voici donc le premier ministre qui s’interroge sur « qui est le mieux à même de rassembler » la gauche à la primaire de janvier, puis à la présidentielle. « Je prendrai mes responsabilités, je serai forcément un acteur de ce débat qui s’ouvre », prévient-il.

Le matin même, dans un entretien au quotidien Paris-Normandie, il avait insisté sur le « défi d’incarnation, de vision, de mobilisation que la gauche doit relever ». Sans citer François Hollande, il avait estimé que « chaque décision qui doit se prendre dans les jours qui viennent devra tenir compte du seul intérêt de la France, de la gauche et de sa famille politique ».

A Rouen, le premier ministre lance cette fois ses piques dans un cadre officiel, en préfecture de région, avec drapeaux tricolore et européen derrière lui et devant un parterre d’élus locaux socialistes. D’un air goguenard, Manuel Valls ose même une ultime provocation : « Je vous rassure, je vous inquiète ou je vous déçois, mais il n’y aura pas d’appel de Rouen, même si Jeanne d’Arc n’est pas loin. Je serai bien tenté, mais je ne céderai pas à cette tentation ».

La majorité du Parti socialiste reste malgré tout légitimiste

Le chef du gouvernement refuse que le président de la République impose sa candidature sans débat préalable. « Je lis ici ou là que tout serait réglé. Non ! On ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas des inquiétudes. Ce qui nous est promis aujourd’hui, c’est l’élimination », affirme Manuel Valls. A ses yeux, François Hollande n’est plus en capacité de briguer un nouveau mandat : trop bas dans les sondages, son image aurait été définitivement écornée par la publication, en octobre, du livre Un président ne devrait pas dire ça (Stock). « Hollande veut se représenter, mais le livre a déstabilisé la majorité et a brouillé dangereusement son image dans le pays », répète-t-il en privé depuis près d’un mois.

A l’inverse, le premier ministre estime que son heure a sonné. Il se targue d’avoir de meilleurs sondages, d’incarner réellement l’autorité de l’Etat, et de présenter des idées nouvelles sur l’Europe, la mondialisation ou l’école. Depuis plusieurs semaines, il tente également d’élargir son assise au sein du PS, en recevant à Matignon de nombreux députés, y compris des amis de Martine Aubry. Mais, pour l’instant, sauf ses soutiens déjà connus, personne au sein du PS ne se lève pour lui contre François Hollande. Guère optimiste, la majorité du parti reste malgré tout légitimiste et ne semble pas prête à renverser le chef de l’Etat.

Manuel Valls « candidat naturel » si François Hollande ne se présentait pas, juge Michel Sapin

C’est un fait rare pour être souligné : un ministre proche de François Hollande n’a pas exclu, jeudi 3 novembre, une candidature de Manuel Valls. Ce minitre c’est Michel Sapin, titulaire du portefeuille de l’économie et des finances, qui a déclaré sur France info que si le chef de l’Etat décidait de ne pas se présenter : « Le premier ministre sera évidemment un candidat parfaitement naturel pour défendre les couleurs de cette gauche, qui est une gauche de responsabilité. »

Le ministre s’est toutefois déclaré persuadé que le chef de l’Etat est « le mieux placé pour rassembler la gauche ». « C’est en fonction de la décision du président de la République qu’ensuite les uns et les autres prendront la leur », a-t-il affirmé, reconnaissant avoir parlé avec M. Hollande de sa candidature potentielle aux présidentielles de 2017.

Ces déclarations interviennent à un moment où la cote de popularité du chef de l’Etat est au plus bas dans les sondages, après la publication de ses confidences polémiques dans le livre « Un président ne devrait pas dire ça » des journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme.

Le 19 octobre 1980, Michel Rocard s’était déclaré candidat à la présidentielle de 1981, depuis sa mairie de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). A l’époque, le maître à penser de Manuel Valls, bien mieux placé que François Mitterrand dans l’opinion, espérait décourager ce dernier à concourir une troisième fois. Mais le futur premier ministre s’était engagé à respecter la décision à venir du premier secrétaire du PS. Trois semaines plus tard, le 8 novembre 1980, Mitterrand avait annoncé sa candidature et Rocard avait été contraint de retirer la sienne. Trente-six ans après, Manuel Valls n’a pas commis l’erreur de rééditer l’appel de Conflans, mais l’issue de son bras de fer avec François Hollande pourrait être identique dans quelques jours.