Fidel Castro en visite à l’association des journalistes de la presse étrangère à New York en septembre 1960. | - / AFP

En 1974, la révolution cubaine a 15 ans et Claude Régin est le correspondant à La Havane de l’agence de presse Reuters, le seul titre anglo-saxon toléré sur l’île. L’entreprise qui était encore britannique à l’époque avait l’avantage de ne pas être américaine, le régime la considérait donc avec moins de suspicion. Pour marquer cet anniversaire, le New York Times avait demandé à Reuters que son correspondant écrive un long article pour faire le bilan du castrisme.

Aujourd’hui à la retraite, Claude Régin partageait alors avec deux collègues, l’un de l’AFP, l’autre de l’agence espagnole EFE, le privilège d’appartenir au cercle très étroit des journalistes de la presse occidentale autorisés à exercer dans cette dictature.

« L’article que l’on me demandait d’écrire était un exercice sur la corde raide. Il fallait tout autant éviter l’anticastrisme que de jouer les béni-oui-oui oui », se souvient Claude Régin. Il ne craignait pas pour sa sécurité. Au pire, il serait expulsé du pays comme l’ont été certains de ses collègues. Mais Cuba était pour lui un rêve de gosse. « J’étais adolescent lors de la Révolution, j’étais fasciné. C’était l’endroit où je voulais aller en tant que journaliste. Ce fut mon premier poste à l’étranger. Sur place, j’ai perdu mes illusions. »

« C’était une période très difficile pour Cuba. L’île en était encore à se remettre de la  « récolte des 10 millions ». En 1970, Fidel Castro avait voulu que son pays atteigne ce tonnage record dans la production de sucre. » Mais aveuglé par cette ambition, Cuba en avait oublié le reste de son économie, l’électrochoc laissa le pays exsangue. « Les magasins étaient vides ».

Ce contexte ne prêtait pas à la fête. « J’ai mis beaucoup de temps à écrire mon article. Je voulais rappeler ce que la Révolution avait apporté aux Cubains et ce qu’elle leur avait pris. J’ai toujours l’article, il est titré Hospitals, but less freedom, des hôpitaux, mais moins de liberté. »

« J’ai beaucoup tremblé après la publication de cet article », se rappelle Claude Régin. « Mais rien n’est venu. Puis, quelque temps plus tard, j’ai assisté à une réception à l’ambassade du Mexique. Castro est arrivé et s’est immédiatement dirigé vers le petit groupe de correspondants étrangers. Ma gorge s’est serrée. C’était un homme imposant par sa taille et sa verve. »

Le bilan dressé dans le New York Times rappelait notamment les lenteurs bureaucratiques qui empoissonnaient la vie des Cubains. « Castro m’a dit à ce sujet, vous avez raison, je me bats moi-même sans cesse contre ces lourdeurs », se souvient Claude Régin qui en rigole encore. « Finalement, Castro a trouvé que pour un article de la presse impérialiste, c’était du travail honnête. »

Étrangement, ce ne fut pas l’article qui valut à Claude Régin le plus d’ennuis. Deux autres papiers, l’un dans lequel il comparait Che Guevara à Robin des bois, et l’autre dans lequel il expliquait que la censure avait fait de la rumeur le secteur d’activité le plus florissant, lui causèrent davantage de problèmes. Le ministère des affaires étrangères qui le surveillait lui et ses collègues le convoqua pour signifier de façon ferme son désaccord. « Mon bureau était truffé de micros. Mais cela ne me gênait pas. À partir du moment où l’on ne faisait pas que dire du mal de la Révolution on nous laissait travailler. »

Aujourd’hui, alors que le leader maximo vient de disparaître, Claude Régin ressent une certaine tristesse, même s’il comprend les scènes de liesse en Floride où vit une importante communauté cubaine. « La Révolution cubaine était une époque flamboyante. Ce petit pays de 12 millions d’habitants a joué un rôle démesuré sur la scène internationale par rapport à sa taille. Fidel Castro reste un personnage d’une importance considérable. »