Fidèle à elle-même, Martine Aubry a fait à Bondy ce qu’elle sait faire le mieux : distribuer les bons et les mauvais points à ses camarades socialistes. | PATRICK KOVARIK / AFP

Le rendez-vous devait être celui des anti-Valls, mais Fidel Castro et Claude Bartolone lui ont donné une toute autre coloration. Martine Aubry et ses amis au sein du Parti socialiste ont organisé, samedi 26 novembre à Bondy (Seine-Saint-Denis), leur « carrefour citoyen des gauches et de l’écologie ». Au menu, un appel au rassemblement de toutes les gauches – socialiste, écologiste, communiste – à cinq mois de l’élection présidentielle et à huit semaines de la primaire du PS. Le casting est alléchant : outre la maire de Lille, l’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira et la maire de Paris Anne Hidalgo, sont présentes, ainsi qu’un parterre de frondeurs du PS. Trois femmes qui représentent encore un tout petit espoir pour ceux qui à gauche, ne veulent ni de François Hollande, ni de Manuel Valls, ni d’Emmanuel Macron pour 2017.

Sauf que patatras… Non seulement, l’événement est percuté par l’annonce de la mort de l’ancien dirigeant cubain, qui l’occulte dans l’agenda médiatique du week-end. Mais, dès son arrivée à l’hôtel de ville de Bondy, Claude Bartolone tire également un coup de feu à la table familiale. Le président de l’Assemblée nationale, vexé par les paroles du chef de l’État à son égard dans le livre « Un président ne devrait pas dire ça » (Stock), a décidé de régler ses comptes et de porter un coup rude à une nouvelle candidature de François Hollande.

Bartolone offre un soutien de taille à Valls

Alors que le premier ministre ne cache plus ses intentions d’empêcher le président de la République pour prendre sa place à la primaire, Claude Bartolone lui offre un soutien de taille en expliquant que les deux têtes de l’exécutif peuvent sans problème concourir en janvier. « Je préférerai qu’ils participent tous les deux à la primaire, plutôt que l’un puisse se dire : « Voilà je suis éliminé sur le tapis vert, donc je m’éloigne de la campagne, je m’éloigne des socialistes, je m’éloigne de l’action gouvernementale ». S’ils se sentent porteurs tous les deux d’un projet pour la France, s’ils sentent qu’ils ont des choses à dire aux Français, autant qu’ils aillent à la primaire, et que l’on puisse les voir se rassembler au second tour de cette primaire », déclare le président de l’Assemblée nationale à la presse.

En appuyant aussi ouvertement Manuel Valls , Claude Bartolone l’absout par avance du procès en déloyauté ou en traîtrise qui ne manquerait pas de lui être fait dans les rangs socialistes, si le premier ministre devait bousculer le chef de l’État. Et il donne à François Hollande le baiser de la mort en le démonétisant . « On savait que Bartolone était prêt à aller loin, mais on ne s’attendait pas à une telle bombe. Maintenant, je vais m’asseoir avec du pop corn et observer comment ça tourne dans les prochains jours », jubile un proche de Manuel Valls. Pour l’entourage du chef du gouvernement, le président de l’Assemblée nationale « n’est pas sourd, il voit ce qu’il se passe sur le terrain, qu’il y a un problème Hollande chez les militants et les élus, et qu’il faut trouver une solution avant la catastrophe de la primaire ».

Une analyse que ne partagent pas du tout, bien sûr, les proches de François Hollande. « Ce que dit Bartolone est irresponsable. Il appelle soi disant à l’unité, mais propose en même temps d’ouvrir une crise institutionnelle au sommet de l’État, cela n’a aucun sens », s’insurge le député (Haute-Garonne) Kader Arif, venu écouter les débats à Bondy.

La sortie du président de l’Assemblée nationale ne réjouit pas non plus les amis de Martine Aubry. « Barto nous emmerde, on n’est pas là pour soutenir Valls », peste un proche de la maire de Lille. Car Martine Aubry a prévenu : il ne faut pas compter sur elle pour qu’elle dise ce samedi qui aura ses faveurs en janvier. « Chacun me connaît, j’ai toujours pris des positions en fonction de mes convictions. J’attends les programmes, les projets. Aujourd’hui je ne sais pas pour qui je voterai », explique-t-elle.

Martine Aubry s’en prend à Macron

Pas question pour la maire de Lille de laisser penser qu’à l’arrivée, elle se ralliera au chef de l’État, par défaut et par rejet de tous les autres candidats. Fidèle à elle-même, Martine Aubry fait donc à Bondy ce qu’elle sait faire le mieux : distribuer les bons et les mauvais points à ses camarades socialistes, et à défaut de dire qui a ses suffrages , indiquer qui ne les a pas. « Pour certains, je sais que je ne pourrai jamais être avec eux : M. Macron par exemple, lui, c’est le seul que je citerai aujourd’hui car il n’est pas à gauche », précise-t-elle. Dans son discours, elle s’en prend au nouveau candidat d’En Marche!, « celui qui n’est plus parmi nous, j’ai envie de dire heureusement ».

A la tribune, devant les quelque 400 personnes présentes, l’ancienne candidate à la primaire de 2011 se doit également d’égratigner le premier ministre. Elle sait que Manuel Valls tente de rallier à sa cause de nombreux députés, y compris des élus étiquetés aubristes. Sans jamais le citer, elle se félicite qu’« aujourd’hui, on n’a pas parlé d’islam » et estime que « ceux qui pensent à gauche que l’identité devrait supplanter l’égalité, se trompent complètement ». Au chef du gouvernement qui a théorisé des « gauches irréconciliables », elle répond par « la gauche de toutes les couleurs, rouge-rose-vert », et rend un hommage appuyé à Jean-Marc Ayrault, son prédécesseur à Matignon, qui « a été un grand premier ministre ».

Un coup pour Emmanuel Macron, un autre pour Manuel Valls. Et pour François Hollande ? Martine Aubry préserve le chef de l’État, regrettant simplement son quinquennat trop technocratique. « On ne mobilise pas un pays avec la réduction des déficits, je l’ai dit à qui de droit », déclare-t-elle, prévenant qu’« on ne gagnera pas en 2017 en disant qu’avec nous, ce sera moins pire qu’avec la droite ».

Tous semblent anticiper la défaite en 2017

Dans le bras de fer en coulisses que se livrent François Hollande et Manuel Valls, la maire de Lille a choisi son camp, mais le président de la République va devoir encore donner des gages. Cette gauche de Bondy parle par messages codés. Elle veut montrer que si elle le voulait, elle pourrait renverser tous les murs. Mais elle ne le veut pas. Citant Eluard ou Rilke, Christiane Taubira explique que « nous ne sommes pas condamnés à la déréliction qui semble frapper ». « Des mots durs, blessants, ont été prononcés sous cette législature. Des actes perturbants, imprévus, difficiles à défendre, ont été accomplis. Ces mots ne s’effaceront pas tout seuls, ces actes ne s’expliqueront pas tout seuls », ajoute l’ancienne ministre de la justice sous les applaudissements. Qui vise-t-elle ? François Hollande ? Manuel Valls ? Les deux ? Comme souvent avec Christiane Taubira, le non-dit servira de prose. « Elle dit de jolis mots, mais elle dit surtout que 2017, ce sera sans elle », décrypte un participant.

A Bondy, l’atmosphère fleurait déjà l’avant congrès socialiste. Celui qui suivra la présidentielle de 2017 et la défaite du PS que tous semblent déjà anticiper ici. Martine Aubry ne sera pas candidate, Christiane Taubira ou Anne Hidalgo non plus. Certes, elles reconnaissent que les « périls » sont « immenses » et les « défis majeurs », mais aucune ne veut monter sur le plongeoir. A Bondy, le « carrefour des gauches » refuse de choisir une direction, au risque de déboucher sur un cul-de-sac.