Aux abords de la centrale nucléaire suisse de Leibstadt, en novembre 2014. | Arnd Wiegmann / REUTERS

Cinq ans après l’Alle­magne, la Suisse s’apprête peut-être à mettre fin à l’atome. Dimanche 27 novembre, le peuple helvète est appelé aux urnes pour décider de la « sortie programmée de l’énergie nucléaire ». Le pays compte quatre centrales et cinq réacteurs, qui produisent en moyenne 40 % de l’énergie suisse. Ce référendum, initié par les Verts, propose un ­calendrier afin de fixer leur arrêt définitif après quarante-cinq ans de mise en service. S’il est accepté, la première centrale (Beznau) ­fermerait ses portes en 2017, celle de Gösgen en 2024 et celle de Leibstadt en 2029. Quel que soit le résultat, la centrale de Mühleberg s’arrêtera en 2019. Le texte interdit aussi la construction de nouvelles centrales et encourage les énergies vertes.

Ce n’est pas la première fois que les Suisses s’expriment sur le sujet. Les mouvements antinucléaires ont fleuri dans le pays depuis les années 1970 et remporté quelques victoires, dont l’abandon du projet de Kaiseraugst, près de Bâle. Mais lors du dernier référendum sur la fin du nucléaire, en mai 2003, 66 % des votants s’étaient montrés défavorables à une telle perspective. Dimanche, les pronostics devraient être beaucoup plus serrés. Le oui pourrait même l’emporter, selon les analystes, dans la mesure où la catastrophe de Fukushima, en 2011, a fortement sensibilisé au risque d’accident nucléaire.

L’une des plus vieilles centrales au monde

Ces craintes sont d’autant plus fortes que la Suisse abrite dans le nord du pays l’une des plus vieilles centrales du monde, celle de Beznau, qui compte deux réacteurs. Le plus vieux, construit en 1969, est à l’arrêt depuis mars 2015, depuis que des centaines de petits trous ont été repérés dans la cuve de pression. Selon Axpo, son exploitant, le réacteur ne présente aucun défaut de sécurité. Mais la date de sa remise en service n’a toujours pas été décidée par l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire.

Les écologistes ne sont pas les seuls à prôner l’abandon du nucléaire. Le gouvernement lui-même a pris des décisions dans ce sens. Après l’épisode de Fukushima, la ministre de l’environnement, Doris Leuthard, a ­décidé de suspendre les procédures de construction de nouvelles centrales. Le Parlement a adopté le 19 septembre une « stratégie énergétique 2050 », qui engage une sortie progressive du nucléaire – sans donner de date butoir pour l’arrêt des centrales –, encourage l’essor des énergies vertes et mise sur une meilleure efficacité énergétique.

Le référendum du 27 novembre est donc une manière, pour les Verts, de pousser le Parlement, jugé trop modéré, à accélérer l’abandon de l’atome et la transition vers les énergies renouvelables. De leur côté, les ministres et les parlementaires rejettent cette initiative populaire qui entraînerait la fermeture prématurée des centrales nucléaires suisses. « Il serait impossible de compenser assez rapidement la part manquante par de l’électricité issue d’énergies renouvelables et produite en Suisse », réagit dans un communiqué le Conseil fédéral.

Près de 80% de l’énergie importée

La Suisse devrait importer massivement de l’électricité de ses pays voisins, majoritairement issue de la filière nucléaire française, du charbon allemand et du gaz italien, estime le gouvernement. Ce choix aggraverait sa dépendance énergétique à l’étranger, dans la mesure où le pays importe déjà près de 80 % de l’énergie qu’elle consomme. Sans surprise, le premier parti helvétique, l’Union démocratique du centre, considère que, dans ces circonstances, la Suisse deviendrait un « otage » de ses voisins européens.

Dans le cas où les énergies fos­siles combleraient en majorité l’énergie manquante, les objectifs de la Suisse de réduire ses émissions de CO2 de 50 % par rapport à 1990 d’ici à 2030, conformément à l’accord de Paris, seraient plus difficiles à atteindre. Mais le pays pourrait choisir au contraire d’acheter du courant 100 % renouvelable. La sortie du nucléaire n’aurait alors « pas d’impact sur le bilan carbone de la Suisse », assure l’Alliance climatique, qui regroupe 67 ONG, ­favorable au référendum. Mieux, la sortie du nucléaire donnerait un coup de fouet aux énergies vertes, par exemple à la filière solaire, qui ne représente aujourd’hui que 2 % de la production helvète.

Autre question en suspens, celle du stockage des déchets nucléaires, dont le lieu n’a toujours pas été déterminé en raison des oppositions de la population. Si la votation valide l’abandon de l’atome, des mesures de démantèlement devraient être prises très rapi­dement. En 2011, Swissnuclear, le lobby des exploitants de centrales, estimait à près de 21 milliards de francs, soit 19 milliards d’euros, le coût de ce démantèlement.