François Fillon, à la Maison de la Chimie, à Paris, dimanche 27 novembre. | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE / FRENCH-POLITICS POUR 'LE MONDE"

Editorial. François Fillon n’est pas seulement un amateur de course automobile. C’est aussi un redoutable praticien. Il a abordé la primaire de la droite comme la ligne droite des Hunaudières, sur le circuit des 24 Heures du Mans : pied au plancher au premier tour, il a accéléré au second pour s’imposer très largement comme le champion de son camp à la présidentielle de 2017.

Le 20 novembre, il a écarté impitoyablement Nicolas Sarkozy, dont il avait été premier ministre pendant cinq ans. Le 27 novembre, il a écrasé Alain Juppé en réunissant derrière lui les deux tiers des 4 millions d’électeurs qui ont participé à la primaire. A chaque fois, il a éclipsé un homme qui occupait le devant de la scène depuis des lustres. Voilà le premier renvoyé à ses « passions privées » et le second à ses consolations bordelaises. Si l’on ajoute l’échec cinglant de la tentative « rénovatrice » de Bruno Le Maire et le score anecdotique de Jean-François Copé au premier tour, François Fillon a donc fait un sacré ménage : il s’impose comme le chef de la droite pour les prochains mois et, s’il l’emporte en 2017, pour les années à venir. Après les déceptions du quinquennat Sarkozy et les violents déchirements qui ont miné la droite depuis quatre ans, son score triomphal impose le respect à tous les caciques de son camp.

Cette position de force est évidemment un puissant atout à cinq mois de la présidentielle. François Hollande en avait fait la démonstration il y a cinq ans : le vainqueur de la primaire aborde la campagne présidentielle porté par une précieuse dynamique. C’est d’autant plus vrai qu’au même moment la gauche fait un étalage de plus en plus calamiteux de ses divisions et de ses faiblesses : non contente de se disperser entre autant de candidats que de tribus politiques – deux trotskistes, Jean-Luc Mélenchon et sa France insoumise, Emmanuel Macron et son mouvement En Marche !, l’écologiste Yannick Jadot, la radicale de gauche Sylvia Pinel et, d’une manière ou d’une autre, un candidat socialiste –, elle est en passe de s’offrir un affrontement totalement inédit entre le chef de l’Etat et son premier ministre. François Fillon s’impose d’autant mieux comme l’homme fort de la droite que François Hollande apparaît, chaque jour davantage, comme le maillon faible de la gauche.

Rassembler les trois droites

Mais en réalité, l’exploit réalisé par l’ancien premier ministre n’est qu’une première étape sur le chemin de l’Elysée. Il est assez avisé pour le savoir. Négligé, donc protégé, tant qu’il était à l’arrière-plan et apparaissait comme un candidat de second rang, le voilà désormais placé sur la ligne de front. Et donc en position de cible numéro 1 pour tous ses adversaires. Déjà, les gauches et l’extrême droite fustigent, dans des termes similaires, la « casse sociale » que ne manquerait pas de provoquer la mise en œuvre de son programme économique. La gauche y ajoute un réquisitoire offusqué contre l’ordre moral dont il serait porteur.

Pour faire face à ces tirs croisés qui ne font que commencer, pour vaincre « l’immobilisme » de la gauche et la « démagogie » de l’extrême droite, François Fillon aura « besoin de tout le monde », selon ses propres termes au soir de sa victoire. Le défi est double. Il va devoir, d’abord, rassembler les trois droites qui se sont exprimées lors de cette primaire : la conservatrice, qui constitue le socle de son électorat et lui est acquise, la bonapartiste qui faisait confiance à Sarkozy et la centriste modérée qui soutenait Juppé. Leur rassemblement est la condition du succès, à la présidentielle, comme aux législatives qui suivront. Chacun le sait et c’est une puissante raison de faire taire divergences et dissensions.

Le second défi est encore plus décisif. Le champion de la droite a été désigné par la France traditionnelle et bourgeoise. Il ne pourra l’emporter sans entraîner et convaincre la France déclassée et populaire, dont la défiance et la colère sont les deux moteurs du vote en faveur de l’extrême droite. S’il réussit cette synthèse, François Fillon sera le prochain président de la République. Ce n’est pas gagné.