Hajime Tabata, réalisateur de « Final Fantasy XV », le jeu qui ne devait plus voir le jour. | Hajime Tabata

C’est l’histoire d’un jeu de rôle qui commence comme un road movie entre potes, à bord d’une décapotable. L’un d’eux est prince. Tandis que leur voiture tombe en panne, son royaume est pris d’assaut. Tel est le début de Final Fantasy XV (FFXV), un jeu de rôle attendu depuis dix ans, et qui sort enfin officiellement mardi 29 novembre sur PlayStation 4 et Xbox One.

Pour son réalisateur, le méconnu Hajime Tabata, c’est l’heure de la dernière tournée, un baroud pour promouvoir ce qui est devenu, au fur et à mesure, son jeu. C’est lui qui a fait renaître un projet voué à ne jamais sortir, l’a porté à bout de bras à travers un développement colossal, pour enfin lui donner sa forme finale titanesque.

L’homme des projets secondaires

Chez Square Enix, ce passionné de jeux de stratégie à la Civilization était jusqu’alors réalisateur de titres mineurs. Essentiellement des épisodes portables dérivés pensés pour les fans, comme le très nostalgique Crisis Core : Final Fantasy VII sur PlayStation Portable. On lui doit également Final Fantasy Type-0, un jeu expérimental mélangeant action et jeu de rôle, mais au budget bien moindre. « C’est vrai que cette fois-ci, on a fait quelque chose de très différent, » convient-il humblement.

Il lui a fallu repartir de très loin quand il reprend ce qu’il reste de « Final Fantasy Versus XIII », le titre original de Final Fantasy XV. Annoncé dès 2006 par l’éditeur Square Enix, ce qui devait être à l’origine un hors-série sombre et mégalomaniaque de Final Fantasy XIII tombe au fil des années dans le « development hell », ce triangle des Bermudes des projets de jeux vidéo mal gérés, qui pour des raisons tantôt techniques ou managériales, finissent par ne jamais voir le jour.

Final Fantasy versus 13 2006 trailer ( High Quality )
Durée : 02:07

En 2012, le bruit fuit que Versus XIII le maudit est annulé ; un an plus tard, Square Enix annonce sa résurrection, sous le nom de Final Fantasy XV. Le projet est gargantuesque, un véritable champ de bataille interne, un défi que Hajime Tabata a mené à son terme. Etait-il plus motivé que d’autres ? Pensait-il disposer de ressources et d’idées qui permettraient de donner vie à un épisode majeur ? Il ne le dira pas.

Chaque épisode propose un univers, des personnages, des systèmes différents. Les Final Fantasy sont devenus des projets qui ont la réputation de mettre à genoux ceux qui les font. « En fait, je ne me souviens pas d’autres concurrents à mon projet de relance de Versus XIII », avoue-t-il, pensif. Entretemps, la PlayStation 3 sur laquelle il avait été pensé a cédé la place à la PlayStation 4, une console plus puissante. « L’occasion idéale pour repartir sur de bonnes bases », veut-il se persuader.

Réécrire le projet

Pendant près de quatre ans, il mobilise toutes les ressources à sa disposition pour donner naissance à ce projet. « Je crois que ma force, c’est d’essayer de tirer le meilleur de tous les gens impliqués dans le projet », une équipe qu’il a recomposée lui-même. Tetsuya Nomura, le précédent réalisateur, a été écarté du projet, son nom rarement associé à ce Final Fantasy comme pour éviter de froisser les egos. Hajime Tabata a ajouté un thème dans l’air du temps, celui de la randonnée et de la balade, et inventé une autre dynamique qui s’inpire volontiers de jeux occidentaux comme The Witcher.

Final Fantasy XV - E3 2016 Trailer | PS4, PS VR
Durée : 03:23

Des idées originales de Versus XIII, il ne reste pas grand chose, si ce n’est l’univers et cette bande de quatre personnages créés par Tetsuya Nomura. « On a été à l’écoute de ce que nous disaient les fans. Les attentes sont si grandes, on n’a voulu décevoir personne. En plus, chacun a un peu son FF préféré, donc c’est un peu compliqué. » Mais quand on lui demande s’il a pu aller au bout de ses idées, s’il a pu imposer sa vision, il répond d’un « oui » franc et massif.

Sous sa baguette, la communication ultra-verrouillée de Versus XIII cède sa place à de nombreuses présentations en direct, pompeusement baptisés « Active Time Report », et des événements pour les fans. Sous son influence, sondages à l’appui, il en appelle également au public pour savoir ce qu’il souhaitait voir dans cet épisode recomposé de bric et de broc. Versus XIII était un échec japonais, Final Fantasy XV s’impose comme une résurrection mondiale.

La pression d’une sortie mondiale

Pour la première fois en près de trois décennies, un « FF » sort simultanément dans le monde entier. Il est doublé non seulement en japonais, mais aussi en anglais, en allemand et en français, sans parler des nombreux sous-titres espagnols, russes… Et autant d’escales à travers le monde pour Hajime Tabata, que la campagne promotionnelle a envoyé aux quatre coins du monde.

« Autrefois, la sortie d’un nouveau Final Fantasy était un événement purement nippon, et c’est vrai que les Japonais se sont sentis un peu dépossédés, convient-il. La série est devenue tellement mondialisée qu’il a fallu s’adapter, comme lors de notre grande conférence de presse internationale à Los Angeles en mars dernier », lorsque le plan de sortie du jeu et sa cohorte de produits dérivés avaient été annoncés. Pourtant, il n’a pas l’air de s’inquiéter des enjeux. Square Enix souhaite vendre 10 millions d’exemplaires dans le monde. Souriant, Hajime Tabata reste serein devant la pression.

Kingsglaive Final Fantasy XV - Official Trailer
Durée : 02:14

Il est devenu le capitaine d’un grand ensemble. Dessins animés, film… C’est la première fois que les produits dérivés arrivent avant le jeu lui-même. « Bien entendu, je ne réalise pas tout ce qui est lié à FFXV mais je supervise tout », dit-il fermement. Le développement du jeu ne va pas s’arrêter à sa sortie, Tabata doit encore travailler sur les nombreux patchs d’optimisation et les différents contenus téléchargeables. La fatigue est palpable pour ce gaillard qui, d’interviews en « events », donne de sa personne comme jamais aucun autre réalisateur de la série avant lui.

La fin d’un voyage

« Mon seul regret, ce sont les retards, surtout le dernier. » Annoncé en grande pompe pour septembre, FFXV a été retardé une ultime fois, de deux mois. « Trop de gens jouent sans connecter leur console, donc impossible de compter sur un patch pour réparer les bugs », se justifie-t-il. La mort dans l’âme, il l’annonce lui-même dans une vidéo à fendre le cœur des fans, là où un éditeur japonais se serait contenté d’un communiqué laconique. La peur de décevoir les fans, un leitmotiv, et de se montrer digne de l’héritage de la série est palpable.

An Important Message from Director Tabata / 田畑Dから重要なお知らせ
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Depuis, tout le monde s’inquiète pour la santé de Tabata. « Je ne m’entretiens pas, je joue à FIFA », plaisante-t-il pour rassurer. Quand on lui demande s’il est le « bon soldat » que Square Enix a désigné pour terminer un projet infinissable, il rit de bon cœur et répond : « Non, je ne crois pas que cette idée me corresponde. Je serais plutôt le dernier samouraï », s’esclaffe-t-il. Depuis, tout le monde s’inquiète pour la santé de Tabata. Il est devenu le chef et le fait savoir. « En fonction du résultat de FFXV, je vais essayer de pousser des projets plus mineurs qui n’auraient peut-être pas leur chance autrement. A titre personnel, je m’attaquerais bien à un autre sujet mais de taille plus modeste. »

Difficile de savoir si Final Fantasy XV et son road movie qui commence avec une voiture en panne va séduire les joueurs. Une des nombreuses publicités japonaises est illustrée par une photo de randonnée. Le texte dit : « Le thème de FFXV est le voyage. Alors nous sommes partis en voyage. » Avec Tabata à la barre d’un navire sans cap, le périple de ce projet de dix ans, lui, touche enfin à sa fin.