Les Républicains s’en félicitent, avec plus de 4,3 millions de votants, la primaire de la droite a été un succès. Mais un succès à quels niveaux ? Ces bons chiffres – à titre de comparaison, en 2011, 2,8 millions de personnes s’étaient rendues aux urnes pour la primaire de la gauche – méritent d’être remis en perspective. Qui a pris part au vote ? Ces chiffres sont-ils le signe que les électeurs sont demandeurs d’être davantage consultés sur l’offre politique ? La primaire est-elle parvenue à mobiliser un électorat d’ordinaire peu enclin à se déplacer aux urnes ? Ce scrutin vient-il démentir le fort sentiment de défiance des électeurs vis-à-vis de la politique ? Céline Braconnier, directrice de Science Po Saint-Germain-en-Laye, Professeure de Sciences Politiques et spécialiste des comportements électoraux, a répondu à vos questions.

Mich : La forte participation veut-elle dire que les Français veulent avoir leur mot à dire ?

Céline Braconnier : Rien ne dit qu’en dehors des Français très politisés, les Français se sont sentis concernés par cette primaire. Rappelons que la participation se situe autour de 10 % des inscrits, soit la proportion de Français qui vote de façon constante, à presque tous les scrutins. C’est aussi la proportion de Français qui déclarent, dans les enquêtes d’opinions, s’intéresser beaucoup à la politique. Cette participation ne constitue pas l’indicateur d’un désir de politique qui serait venu aux Français subitement.

Sandy : De quelles données dispose-t-on pour connaître le profil des votants à la primaire ?

Céline Braconnier : On s’appuie sur les chiffres officiels de la participation à l’échelle des communes. C’est cette donnée qui nous permet d’affirmer que ce sont les centres des grandes villes (là où réside la population la plus diplômée et la plus politisée) orientés à droite qui ont le plus participé. A titre d’exemple, l’ouest de Paris et les Yvelines sont les territoires où la participation a été la plus élevée. Entre les territoires les plus mobilisés et ceux qui le sont le moins, on enregistre 30 points d’écart de participation : de 2 % des inscrits à plus de 30 %. Ce que l’on peut dire, c’est que les électeurs se sont très peu mobilisés dans les quartiers populaires des grandes villes et les territoires ruraux les plus isolés.

Vlad : Y a-t-il une catégorie de population surreprésentée parmi les votants ? Urbains ? Classe moyenne supérieure ? Hommes-femmes ?

Céline Braconnier : On constate la même surreprésentation que celle qu’on enregistre pour les scrutins de moyenne ou de faible intensité (Européennes ou régionales), pour lesquels on enregistre une forte abstention. C’est-à-dire qu’ont voté aux primaires des inscrits plus âgés, plus riches, plus diplômés que la moyenne. A l’inverse, les jeunes se sont très peu mobilisés.

Eva : Que peut-on attendre en termes de participation à la primaire de gauche ?

Céline Braconnier : On s’attend à une participation différentielle qui n’est pas favorable à la gauche : les déçus de la majorité vont être beaucoup plus difficiles à mobiliser que les citoyens favorables à l’alternance. Toutes les candidatures n’étant pas encore connues et l’offre politique étant, de ce fait, difficile à décrypter, le risque de démobilisation est accentué. Les primaires mobilisent de toute façon très peu les milieux populaires. Mais, pour la gauche, le risque est aussi qu’elle ne parvienne pas à mobiliser sa clientèle électorale diplômée, à la différence de ce qui s’est passé pour la droite. On entend beaucoup dire dans les milieux où la participation est traditionnellement très élevée, que cette fois-ci, aller voter n’ira pas de soi.

Jeff22 : A-t-on une idée du profil sociologique des votants à cette primaire ?

Céline Braconnier : Sur les deux primaires organisées en France (celle de la gauche en 2011 et celle de la droite en 2016), on retrouve le même profil d’électeurs surreprésentés : des personnes âgées, des catégories sociales favorisées, diplômées du supérieur, vivant dans les centres-villes et très intéressées par la politique.

DJ : Bonjour, comment peut-on expliquer cet engouement des Français à vouloir se rendre aux urnes pour choisir un homme qui a dirigé la France, pendant cinq ans, au côté de M. Nicolas Sarkozy avec le résultat que l’on connaît ?

Céline Braconnier : Il faut tout d’abord relativiser cet engouement, comme nous venons de le préciser plus bas, et noter que ça n’est pas la première fois qu’un « sortant » parvient à se présenter comme un candidat du renouveau, de la rupture. Il suffit parfois de quelques mois de retrait pour y arriver. En 2007, Nicolas Sarkozy n’a même pas eu besoin de quitter le gouvernement pour incarner cela.

Olympe : Connait-on le pourcentage des électeurs de gauche pour la primaire de la droite ? Comment ces électeurs ont-ils voté ? Merci !

Céline Braconnier : Les données de sondages sortie des urnes montrent qu’au premier tour, environ 15 % des électeurs de la primaire revendiquaient leur positionnement à gauche. Au second tour, ils étaient un peu moins de 12 %. A ces électeurs déclarés de la gauche s’ajoute un fort pourcentage de votants qui ont refusé de se positionner sur l’axe gauche/droite. Il faut prendre ces données, qui sont des données déclarées, avec précaution. Il n’est pas forcément aisé à la sortie d’un bureau de vote d’une primaire de la droite, alors que l’on vient de signer une charte d’adhésion aux valeurs de la droite et du centre, d’assumer cette contradiction. Ce qui est certain, c’est que l’essentiel des électeurs se disant de gauche a soutenu la candidature d’Alain Juppé.

Voltaire : Finalement, 3 millions de personnes décident du candidat pour 40 millions de personnes…

Céline Braconnier : La primaire est aujourd’hui unanimement vantée comme un exercice éminemment démocratique. Il est vrai que 4,5 millions de personnes se mêlent aujourd’hui du choix d’un candidat qui revenait auparavant aux seuls militants (à gauche) ou cadres (à droite) des partis politiques. Mais la surreprésentation parmi les votants des primaires des catégories les plus âgées et les plus favorisées montre qu’il s’agit aussi d’un processus de présélection du futur président monopolisé par une toute petite partie de la population. En cela, la dimension démocratique de la primaire a des limites.

Blanqui : Bonjour, vous soulignez que les jeunes, les électeurs des quartiers populaires des grandes villes et des territoires ruraux les plus isolés ont peu participé à cette primaire, comme à d’autres scrutins. Sont-ils moins intéressés par la politique ? Rencontrent-ils des obstacles spécifiques qui les éloignent du vote ? Comment y remédier ?

Céline Braconnier : Les quartiers populaires cumulent les obstacles à la participation : ils sont peuplés par des citoyens plus jeunes, moins diplômés, plus au chômage que la moyenne. Autant de caractéristiques qui maintiennent à l’écart des urnes. Malgré tout, l’élection présidentielle s’est jusque là montrée capable de mobiliser massivement ces territoires qui s’abstiennent en revanche très largement pour les autres scrutins. Cette année, la déception engendrée par le quinquennat de François Hollande risque de cumuler ses effets à ceux d’une situation économique dégradée. D’autant qu’à ce jour, aucun candidat de la gauche n’est parvenu à incarner un espoir de changement susceptible de les mobiliser. On pourrait donc enregistrer une abstention plus forte que celle habituelle pour une élection présidentielle.

AJ : Bonjour, je suis une élève de première économique et sociale. J’aimerais savoir quel est le taux de participation à la primaire des jeunes ? (env.18-25 ans) Pensez vous qu’il y a un désintérêt pour la présidentielle chez les jeunes ? Merci d’avance.

Céline Braconnier : En France, les jeunes s’abstiennent massivement à tous les scrutins (et moins ils sont diplômés, plus ils s’abstiennent), sauf à la présidentielle où ils votent presque autant que les 50-64 ans, qui constituent la catégorie d’âge la plus participationniste. C’est une question d’âge et de génération : plus on est intégré socialement, plus on vote. Donc les jeunes se mettent à voter plus régulièrement après avoir constitué une famille, trouvé un travail. Ce qui arrive de plus en plus tard. Les jeunes culpabilisent aussi moins de s’abstenir que les générations précédentes et ne se déplacent plus seulement par devoir. Ce qui est le cas des personnes plus âgées qui peuvent voter même si elles ne croient plus en la capacité des politiques à changer les choses. Paradoxalement, c’est la démocratisation scolaire qui est sans doute à l’origine de ces évolutions : les jeunes sont plus exigeants vis-à-vis des candidats et de l’offre électorale, ils ne se déplacent pas « pour rien ».

Enfin, il y a un problème particulier lié à l’inscription des jeunes sur les listes électorales. Ils ont bénéficié de l’inscription d’office l’année de leurs 18 ans. Mais quand ils partent de chez leurs parents, par exemple pour faire des études loin de chez eux, ils ne se réinscrivent pas là où ils habitent effectivement et votent donc beaucoup moins que les autres. Cela explique que même les étudiants, plus prédisposés à voter que les jeunes chômeurs, s’abstiennent beaucoup.