Le CinéCyclo en marche. On pédale, et le film se projette sur écran, à Dakar. | Cinécylo

Produire de l’électricité à la force du mollet ? Un vélo, une dynamo, tout le monde fait ça depuis des lustres sur son biclou pour s’éclairer la nuit venue. Mais fabriquer une génératrice assez légère pour être transportée sur un vélo et assez puissante pour alimenter un projecteur, une télévision, un ordinateur, c’est une autre affaire. Le changement de braquet s’impose. Iba et Cédric se creusent les méninges depuis un an dans leur atelier du quartier Liberté 6 à Dakar : « Nous avons désormais trois batteries prototypes, avance Iba. Nous les connectons à une dynamo elle-même reliée à un vélo et en pédalant assez vite, mais pas trop, nous arrivons maintenant à fournir 250 watts d’électricité. »

Présentation de notre série : Traversée d’une Afrique bientôt électrique

« Nous voulons apporter la lumière et le cinéma dans les villages les plus reculés du Sénégal, explique Cédric, qui s’occupe de l’aspect administratif du projet. L’idée, c’est de pédaler une heure pour avoir environ six heures de courant. Cela permettrait aux gens de recharger leurs portables pendant qu’on leur fait découvrir le cinéma en diffusant des films éducatifs ou de fiction. »

Kung-fu, blockbusters et films d’auteurs

Leur projet est né dans le sillage de Vincent Haurion, un Bourguignon qui a fait le tour du Sénégal à vélo de novembre 2015 à juin 2016 pour projeter des films dans des villages non électrifiés, du Sine Saloum à Dakar. Ce Cinécyclo tour, Vincent Haurion l’a d’abord réalisé en solitaire avant d’être rejoint par un réalisateur français et un interprète sénégalais. Au bout de la route : 3 000 km, près de 100 projections et 10 000 spectateurs. « L’idée était d’entrer en contact avec des associations locales qui connaissent bien les problématiques et les attentes de la population afin de voir quels films projeter », raconte Vincent.

Cédric et Iba travaillant dans leur Cinécyclolab sur un prototype de génératrice. | Matteo Maillard

Le soir tombé sur les villages éteints, Vincent invitait les habitants à pédaler une heure sur son vélo relié à une dynamo afin de permettre la projection. La cinquantaine de films sur sa clé USB concernait pour la plupart des solutions pratiques pour la fabrication de foyers améliorés, de charbon à partir de paille, la replantation ou la valorisation des ressources naturelles. Si l’aspect informatif en intéressait certains, d’autres rentraient chez eux déçus de ne pas pouvoir voir un film de kung-fu ou le dernier blockbuster.

« La jeune génération de la brousse sénégalaise a un rapport quasiment nul au cinéma. Les plus vieux sont peut-être allés dans un ciné à une époque où il y avait encore des salles en ville mais, pour le reste, si on trouve un téléviseur dans un village, le programme est bien souvent une telenovela mal doublée ou un match de foot. Il y a peu de films culturels avec une portée un peu plus poussée. »

Hormis les films « éducatifs » sélectionnés par Vincent et ses partenaires locaux, des courts-métrages d’animation étaient aussi diffusés pour détendre l’atmosphère. « Je n’étais pas là pour apporter la lumière ou donner du matériel. Je pense que la démarche de solidarité internationale, donner des choses comme ça a des gens qui n’ont rien demandé, ça crée une grosse dépendance et un sentiment d’assistanat des populations locales. Ce que j’ai légué aux Sénégalais, c’est une structure indépendante. »

Boîtes de conserve et imprimante 3D

Le frère d’Iba construit depuis plusieurs mois une imprimante 3D | Matteo Maillard

Cédric et Iba ont récupéré le flambeau du Cinécyclo et veulent développer le concept avec leur rêve de batterie plus puissante et bon marché pour pouvoir la reproduire en série. Le Cinécyclo leur a donné l’impulsion de créer leur propre atelier à projets, le Cinécyclolab. Installé au premier étage d’un petit bâtiment encore en construction où vit Iba avec sa famille, le laboratoire de la débrouille est l’endroit où se retrouve une petite bande d’amis pour bidouiller des batteries, concevoir des petits fourneaux à base de boîtes de conserve et construire une imprimante 3D. « Lorsque je ne travaille pas sur des machines de chantier pour gagner ma vie, explique Iba, je reçois des jeunes ici pour les aider à réaliser leurs projets. »

Quant à Cédric, il veut que l’association Cinécyclo continue sa mission cinématographique en diffusant dans les banlieues de Dakar et les villages du Sénégal. « Récemment, nous avons projeté le film d’un réalisateur sénégalais sur un lutteur local dans son quartier, en pleine rue. Un lieu où d’habitude il n’y a ni cinéma ni électricité. Ça a attiré plus d’une centaine de spectateurs. » Une expérience que Cédric souhaite diffuser le plus largement possible en lançant en 2017 un ciné-club itinérant, de Dakar à Kédougou, à l’extrême sud-est du pays. Et si les financements le permettent, il prévoit d’offrir des vélos, des batteries et des dynamos dans les villages traversés. Une façon de faire découvrir à tous les Sénégalais la richesse du cinéma… en pédalant.

Iba est électro-mécanicien sur son temps libre mais travaille sur des machines de chantier pour gagner sa vie. | Matteo Maillard

A l’occasion de la COP22 qui se déroule à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé la série Traversée d’une Afrique bientôt électrique en allant voir, du Kenya au Maroc, en passant par le Burkina, la Côte d’Ivoire, le Cameroun ou le Sénégal, l’effort d’électrification du continent.

Le sommaire de notre série Traversée d’une Afrique bientôt électrique

A l’occasion de la COP22 qui s’est déroulée à Marrakech du 7 au 18 novembre, Le Monde Afrique a réalisé une série d’une vingtaine de reportages qui vous emmèneront au Kenya, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Sénégal et au Maroc pour découvrir l’impact d’un effort d’électrification du continent sans précédent.