Le président du Conseil européen, Donald Tusk, le 26 octobre 2016 à Strasbourg. | FREDERICK FLORIN / AFP

« Diviser les 27 pour obtenir un meilleur Brexit. » La vieille devise impériale est remise au goût du jour par la première ministre britannique à quatre mois de l’échéance qu’elle s’est fixée pour ouvrir la procédure de divorce avec l’Union européenne. Theresa May, consciente de la tension causée par l’incertitude qui règne sur le futur statut des expatriés – 3,3 millions de ressortissants des 27 Etats de l’UE vivant au Royaume-Uni et 1,2 million de Britanniques installés sur le continent – souhaite négocier cette question individuellement avec chaque pays concerné avant même l’ouverture des négociations de rupture.

Pour Mme May, il s’agit probablement d’obtenir le maximum de contrepartie de chacun et d’éviter que la question, posée en bloc par les 27, ne donne à ces derniers un atout de poids dans la négociation globale du Brexit. La réception, lundi 28 novembre à Londres, de Beata Szydlo, la première ministre de Pologne, pays dont 800 000 ressortissants vivent au Royaume-Uni, était clairement dirigée dans ce sens.

Mais Donald Tusk, le président du Conseil européen, a sèchement opposé, mardi, une fin de non-recevoir à Mme May : « Ne seriez-vous pas d’accord pour dire que la seule source d’anxiété et d’incertitude est plutôt la décision du Brexit ? Et que le seul moyen de dissiper les craintes et les doutes de tous les citoyens concernés est le déclenchement le plus rapide possible des négociations [prévues par l’article 50 du traité de Lisbonne] ? » M. Tusk répondait à une lettre de 80 députés britanniques conservateurs et eurosceptiques qui avaient critiqué le refus de Michel Barnier, chef des négociations sur le Brexit à la Commission, d’ouvrir une discussion sur les expatriés avant le déclenchement par Londres de l’article 50. Les élus de Westminster avaient stigmatisé « l’indifférence préoccupante » de M. Barnier à l’égard des expatriés.

Exaspération grandissante

Disant vouloir éviter « une situation où les citoyens deviennent une “monnaie d’échange” », Donald Tusk confirme, au grand dam des Britanniques, ce qu’Angela Merkel a déjà affirmé : « Il est de notre intérêt [les 27] d’agir ensemble sur cette question. » Mercredi, devant la Chambre des communes, Mme May a affirmé que sa démarche visait à éviter que les Britanniques vivant sur le continent ne se retrouvent « le bec dans l’eau » tandis qu’un député tory a accusé M. Tusk de « faire passer les procédures de l’UE avant l’humanité ».

Marquant un durcissement du ton à l’égard de Londres, le tacle de Donald Tusk a été discrètement mais largement salué à Bruxelles. « Il faut vraiment que les Britanniques comprennent qu’ils ne peuvent pas commencer à négocier tant qu’ils n’ont pas activé l’article 50 », déclaraient, mercredi, plusieurs diplomates européens.

Le ton viril de la réponse du président du Conseil européen témoigne aussi d’un sentiment d’exaspération grandissant à l’égard des atermoiements britanniques, le gouvernement May semblant encore très loin d’avoir adopté une ligne commune sur le Brexit. Certains responsables politiques britanniques n’ayant apparemment toujours pas admis qu’en quittant l’Union ils n’auraient pas « le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière », comme l’a signifié mardi, peu diplomatiquement, le premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel. Il reprenait pour la contredire l’expression qui figure sur une note prise lors d’une réunion du gouvernement May sur le Brexit par l’assistante d’un député, note qui a été décryptée lundi sur une photo de presse et paraît résumer la ligne de Londres.

Pour l’instant, les 27 restent sur la même ligne, plutôt très ferme à l’égard de Londres. Ils craignent que le gouvernement May ne tente de les contourner ou de les diviser en entamant les discussions sur la future relation entre le Royaume-Uni et l’UE avec certains d’entre eux.