Un miroir posé sur scène place le public d’« Iphigénie » face à son propre reflet. | Franck Ferville

Au Palais Garnier, le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski présente l’opéra Iphigénie en Tauride, de Gluck, dix ans après l’avoir monté sur la même scène. Le temps a passé, et il a fait oublier qu’en 2006, le même spectacle avait provoqué un tollé, s’était vu accuser d’indécence et de manque de respect à l’œuvre originale. À l’époque, Warlikowski est inconnu du public français du lyrique. S’il s’est déjà frotté à l’opéra à Varsovie, sa réputation ne dépasse pas les cercles du théâtre contemporain.

Iphigénie en maison de retraite

Gérard Mortier, qui dirige alors l’Opéra de Paris, le découvre au Festival d’Avignon et lui met le pied à l’étrier. « Je me suis tout de suite senti à mon affaire avec cette œuvre inspirée d’une tragédie d’Euripide », se souvient Krzysztof Warlikowski, dont la pièce Les Français, consacrée à Proust, vient de s’achever à Chaillot. C’est en référence à un épisode de la vie d’Iphigénie qu’il déploie son imaginaire. « J’ai toujours été fasciné par ce moment où la déesse Diane dématérialise Iphigénie alors que son père, Agamemnon, s’apprête à la sacrifier. En Grèce, tout le monde la pense morte. Des années plus tard, on la retrouve prêtresse sur les rivages de Tauride. » De là, l’idée de faire de cette héroïne disparue la pensionnaire d’une maison de retraite. « En jouant sur la fragilité de sa mémoire de vieille dame, je voulais laisser planer le doute sur son histoire, qu’on se demande si elle est véridique ou pur fantasme. »

Le metteur en scène installe sur scène un immense miroir renvoyant l’image du public dans la salle. « J’ai fait mes études à la Sorbonne. Entre 22 et 23 ans, je passais mes soirées au Palais Garnier et j’avais gardé le souvenir d’un public vieillissant. »

« J’ai rarement vécu un tel déferlement de violence à l’opéra. Je revois encore Marc Minkowski [directeur musical] contraint de se retourner vers les spectateurs et attendre que la salle se calme. » Krzysztof Warlikowski

En renvoyant au public le reflet de son image et transformant le plateau en une chambrée pour retraitées, Krzysztof Warlikowski provoque le scandale. « J’ai rarement vécu un tel déferlement de violence à l’opéra, raconte avec émotion le metteur en scène. Je revois encore Marc Minkowski [directeur musical] contraint de se retourner pour faire face aux spectateurs, et attendre que la salle se calme avant de pouvoir reprendre. » Ce qui n’empêche pas Gérard Mortier de reprogrammer l’opéra la saison suivante. « À mon grand étonnement, tout était oublié et le spectacle fut magnifiquement accueilli lors de sa reprise sous la direction d’Ivor Bolton. J’espère qu’il en sera de même avec le chef Bertrand de Billy à la tête de l’orchestre de l’Opéra de Paris. »

Tout au bonheur de retravailler cette mise en scène aujourd’hui considérée comme un classique, Krzysztof Warlikowski passe le relais à une troisième distribution, où l’on retrouve Véronique Gens, Étienne Dupuis, Stanislas de Barbeyrac, Thomas Johannes Mayer… « Être entouré de fortes personnalités est toujours une chance à l’opéra. Je ne souhaite pas que mes interprètes regardent d’anciens enregistrements du spectacle. Comme à chaque fois, je suis d’abord à la recherche d’une aventure nouvelle. »

« Iphigénie en Tauride », de Gluck, direction musicale Bertrand de Billy, mise en scène Krzysztof Warlikowski. Opéra national de Paris, Palais Garnier, du 2 au 25 décembre.

Bande-annonce d’« Iphigénie en Tauride »

Iphigénie en Tauride - Trailer
Durée : 01:04