Norbert Hofer, le 2 décembre, à Vienne. | Ronald Zak / AP

Tel le messie, il fend la foule. Sous les flashs, Norbert Hofer se fraye un chemin vers la tribune. Peut-être, dimanche 4 décembre, entrera-t-il dans les livres d’histoire. « Avec l’aide de Dieu », comme le proclament ses affiches électorales, l’Autrichien pourrait devenir le premier président d’extrême droite en Europe depuis 1945.

Dans la grande et belle salle d’apparat de la bourse de Vienne, que le candidat du Parti autrichien de la liberté (FPÖ) a choisi pour clôturer sa longue, sa très longue campagne – « les dix mois les plus extraordinaires » de sa vie –, le technicien supérieur de l’aviation salue longuement, en ce vendredi matin 2 décembre, ces chers militants de toujours qui rêvent de le voir devenir aussi le chef d’Etat le plus jeune qu’ait jamais connu leur pays.

Puis il se raconte. Parle de cet accident de parapente qui a failli lui coûter la vie en 2003 et de son long combat qui fut le sien pour remarcher. De sa femme aussi, qui se tient à ses côtés « avec autant de force que lui » malgré les « attaques » des médias. Dans la salle, on fustige la radio-télévision publique autrichienne « bolchévisée », les autorités qui refusent d’interdire « la manifestation de haine » prévue samedi contre le FPÖ et organisée « par des mouvements d’extrême gauche ».

On se gausse de cette Allemagne, dont les habitants forment « le peuple le plus imbécile d’Europe », parce qu’il a choisi de suivre la politique d’ouverture aux migrants prônée par la chancelière Angela Merkel. « Charlie Hebdo a ouvert une édition allemande, ironise d’ailleurs un militant. C’est bien la preuve de sa déliquescence ! » C’est de Vienne, le candidat en est persuadé, que viendra le renouveau ; de la capitale autrichienne que soufflera l’air chaud de la « modernité ». « Nous sommes dans la première vague d’une révolution conservatrice », annonce-t-il.

Notable avec un penchant pour les armes

Cette réalité, espère-t-il, prendra donc la forme d’un technicien supérieur de l’aviation âgé de 45 ans qui doit son ascension rapide à la chute de plusieurs barons vieillissants de l’extrême droite autrichienne, écartés de la direction du FPÖ après la mise en place d’une stratégie de dédiabolisation, en 2013.

Vice-président du Parlement, il présente le visage avenant d’un notable aux bonnes manières de sa région orientale du Burgenland, remarié, sans histoires, et père de quatre enfants. Son style courtois, calme et posé, servi par un sourire amical toujours très large et un physique avantageux, tranche avec son amour avoué pour les armes : il admet porter de temps en temps un pistolet Glock.

Si sa parole publique est maîtrisée, bien qu’elle varie souvent suivant les auditoires, Norbert Hofer n’en reste pas moins un « loup dans une peau de brebis », selon Christian Rainer, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Profil. Il a quitté l’Eglise catholique pour protester contre l’opposition du clergé à son parti et se convertir au protestantisme, minoritaire en Autriche.

A plusieurs reprises lors de la campagne, il a laissé entendre qu’il n’hésiterait pas à congédier le gouvernement (coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates) si celui-ci menait une politique lui déplaisant, ce qui laisse planer le risque potentiel d’une dérive autoritaire, car la C

onstitution donne au président, depuis 1929, un large droit d’initiative.

Sans que ce scénario soit jugé comme étant le plus probable, la presse autrichienne n’exclut pas qu’il renvoie le chancelier Christian Kern et nomme Heinz-Christian Strache, le chef du FPÖ, à la chancellerie, valide les ministres proposés et laisse à ce dernier le temps nécessaire à la préparation d’élections générales.

Une popularité croissante

En janvier, les sondages créditaient ce personnage politique mal connu de 8 % seulement des intentions de vote. C’était compter sans la colère des Autrichiens, qui estiment avoir largement subi les conséquences de la politique de l’Allemagne en matière d’accueil des réfugiés, qu’ils ont fait payer aux partis du gouvernement : les sociaux-démocrates du SPÖ et les conservateurs de l’ÖVP ont été éliminés pour la première fois dès le premier tour, le 24 avril. Depuis le 1er janvier 2015, 130 000 demandes d’asile ont été déposées en Autriche.

« Entre 35 000 et 40 000 migrants arrivent à Vienne chaque année, déplore le député FPÖ David Lasar, qui dit ne plus reconnaître sa ville. Cela crée des conflits interculturels, car ils sont majoritairement musulmans. La capitale se densifie, tout le monde a peur pour son travail. L’aide sociale reçue par ces immigrés peut atteindre des sommes phénoménales, lorsqu’ils viennent avec plusieurs enfants : elle n’est pas limitée. »

Norbert Hofer aura surtout fait campagne sur les « capacités d’accueil de l’Autriche, la globalisation, l’Union européenne, le terrorisme, l’asile et l’islam politique », selon le politologue Thomas Meyer. Il entend répondre à la demande de démocratie directe permanente des Autrichiens en se rapprochant du modèle référendaire helvétique.

Le FPÖ en avance sur les réseaux sociaux

Il sait capter le vote exutoire d’une classe moyenne ayant l’impression que ses enfants ne vivront pas mieux qu’elle et qui a délaissé la social-démocratie dans un contexte postindustriel de disparition du plein emploi et de menaces sur l’Etat providence.

Il pourrait aussi devoir sa victoire au basculement numérique : cette élection est la première à s’être aussi massivement déroulée sur les réseaux sociaux. Le FPÖ, pionnier dans l’utilisation d’Internet à des fins politiques, partait avec beaucoup d’avance sur ce terrain, qu’il laboure depuis des années.

« La communication sur les réseaux sociaux est désormais presque aussi décisive, voire plus importante même, que les médias classiques, estime le chercheur Wolfgang Bachmayer, interrogé par l’Agence de presse autrichienne (APA). Les contacts directs sur les réseaux sociaux ont un pouvoir d’influence au moins aussi grand que les médias électroniques ou les journaux. »

Quitte à délaisser le terrain ces dernières semaines et à refuser les entretiens avec les journaux pouvant le contredire, le FPÖ a bien maîtrisé un contact virtuel direct avec le « peuple » sur le Web. Car sous les dorures de ce palais belle époque qu’est la bourse de Vienne, Norbert Hofer dit se battre « pour le peuple » et contre les élites.