C’est ce qu’on appelle les aléas du direct. Emmanuel Macron était jeudi 1er décembre, depuis 19 heures sur l’antenne de RTL, invité par Marc-Olivier Fogiel, lorsqu’il a appris la décision de François Hollande de ne pas se représenter à l’élection présidentielle. « Je pense que c’était une allocution extrêmement difficile pour le président de la République », a sobrement réagi l’ancien ministre de l’économie au micro de la station, manifestement aussi surpris de la décision du chef de l’Etat que le reste du personnel politique.

« Je pense que c’est une décision qu’il a prise en conscience [et] compte tenu du contexte, c’était une décision courageuse à prendre », a ajouté M. Macron, indiquant qu’il ne « ferait pas d’autres commentaires », notamment sur les conséquences que le retrait de M. Hollande pourrait avoir. « Il y a une part de décence dans la vie politique », a-t-il justifié, la mine grave et les bras croisés sur sa veste.

L’ex-protégé du chef de l’Etat le sait : les prochains jours ne vont pas être faciles pour lui. Depuis sa démission du gouvernement le 30 août, M. Macron était la cible des proches de François Hollande, qui lui reprochaient d’avoir trahi la confiance de celui qui l’avait appelé à l’Elysée avant de l’envoyer à Bercy. Le président de la République avait beau demander à ses soutiens de « ne pas en faire trop contre Emmanuel », afin de ne pas injurier l’avenir et compromettre un éventuel ralliement à sa candidature, les hollandais ne pouvaient s’empêcher de lâcher leurs coups.

Un coupable idéal

« Macron, c’est le joueur de Monopoly qui veut aller directement à la rue de la Paix sans passer par le boulevard de la Villette », expliquait un jour un ministre. « Il a beaucoup de charme pour séduire les vieux messieurs mais il n’a pas de fond, aucune maturité, pas de culture politique », ajoutait le lendemain un visiteur du soir. « Macron a joué à cache-cache avec Hollande en permanence, alors que c’est le responsable politique que le chef de l’Etat a le plus protégé », abondait un membre de la garde rapprochée, allant jusqu’à qualifier l’ex-ministre de « charmeur manipulateur ».

Le président de la République renvoyé sur son Aventin, l’antienne de la trahison va repartir et de nombreux responsables socialistes vont vouloir en profiter pour coller définitivement une étiquette de Brutus sur le costume de l’ex-ministre. Les soutiens de Manuel Valls, notamment, y ont tout intérêt : leur champion n’est pas pour rien dans la décision de François Hollande et l’énarque de 38 ans fait un coupable idéal. « Comme pour César, qui a été assassiné par une vingtaine de conjurés, ils vont vouloir qu’on ne retienne que le coup porté par Macron », anticipe un député frondeur.

Conscient du risque, le candidat d’En marche ! a immédiatement tenté de désamorcer le procès qui l’attend. « J’ai toujours exprimé mon respect à l’égard de la personne et de la fonction » du chef de l’Etat, a-t-il déclaré sur RTL. « Emmanuel Macron a quitté le gouvernement sur des désaccords politiques mais n’a ensuite jamais affaibli l’autorité et la fonction du président de la République, abonde Richard Ferrand, député (PS) du Finistère et secrétaire général d’En marche ! Même lorsqu’il était ministre, il n’a jamais mis en cause l’incarnation du chef de l’Etat, ce qui n’a pas été le cas de tout le monde. » Comprendre : Manuel Valls mériterait plus le costume de Brutus que lui.

Sur le fond, l’ex-ministre assure que le renoncement de François Hollande ne change rien à son positionnement. Il ne compte toujours pas se présenter à la primaire socialiste, prévue les 22 et 29 janvier. Dès l’annonce du chef de l’Etat, de nombreux responsables à gauche ont pourtant appelé à la « responsabilité » des candidats. « L’exigence pour les gauches est colossale », a tweeté Christiane Taubira, l’ancienne garde des sceaux. « Parce qu’il se soustrait à la primaire, Macron prend le risque de faire perdre la gauche », a aussi expliqué Aurélie Filippetti, députée (PS) de Moselle et compagne d’Arnaud Montebourg, interrogée sur Franceinfo.

Mais M. Macron n’en a cure. L’absence de François Hollande a beau lui épargner un affrontement direct avec son ancien mentor, chose qu’il voulait à tout prix éviter, l’ex-ministre reste persuadé que la primaire ne permet qu’un compromis bancal entre des lignes politiques trop éloignées. « Nous voulons construire une dynamique de rassemblement sur un projet, pas sur un arrangement tactique dont les Français ne veulent plus, explique Richard Ferrand.

Quant à savoir si le renoncement de M. Hollande après les évictions de Nicolas Sarkozy et d’Alain Juppé est le signe d’une vague de renouveau, dont M. Macron pourrait profiter, ses soutiens restent prudents. « La disparition de Hollande du paysage rebat les cartes à tous les niveaux, estime un proche de l’ancien haut fonctionnaire. Mais ce n’est pas l’état civil qui fait la pertinence, on l’a vu avec les scores de Bruno Le Maire ou de Nathalie Kosciusko-Morizet à la primaire de la droite. C’est la pertinence du projet qui compte. » Cela tombe bien, Emmanuel Macron a promis de détailler son « projet de transformation » dans les semaines qui viennent.