Un magasin H&M à Salt Lake City (’Utah)  lors du « Black Friday », le 25 novembre. | GEORGE FREY / AFP

« Le climat macroéconomique morose ne doit pas l’emporter », a affirmé Dominique Jacomet, directeur général de l’Institut français de la mode (IFM) jeudi 1er décembre en conclusion de son séminaire annuel. Les « perspectives internationales mode et textile 2017 » livrées à cette occasion ne semblent pourtant pas très engageantes. Le reprise se fait attendre…

« 2016 est un mauvais cru pour la consommation textile et habillement en France avec un recul de 2,3 % entre janvier et octobre par rapport à la même période l’an passé, et c’est l’habillement femme qui est le plus touché avec – 3,3 % », précise Gildas Minvielle, directeur de l’observatoire économique de l’IFM. La tendance n’est certes pas nouvelle (le marché a perdu 12 % de sa valeur entre 2007 et 2015) et ce ne sont pas les prévisions pour la fin de l’année (même si le mois d’octobre n’a pas été mauvais) et pour 2017 qui vont l’inverser…

Un recul de 1,8 % est attendu pour 2016 et aucune reprise en vue pour 2017 qui devrait afficher un retrait de 1,4 %. Si l’on ajoute à cela un commerce international des marchandises qui tourne au ralenti, un repli de la Chine sur son marché intérieur, un habillement pris en tenailles dans les dépenses des ménages entre les dépenses obligatoires (logement…) et celles liées aux nouveaux modes de vie (loisirs, voyages, culture, télécommunications)… le tableau peut vite paraître sinistre. Mais la conjoncture aussi décevante soit-elle ne peut faire oublier les bouleversements structurels plus profonds auxquels font face les marques et distributeurs de mode.

Opportunité à saisir

« La révolution numérique, et notamment le bond mondial du m-commerce [e-commerce par l’intermédiaire du mobile], la notion de responsabilité sociale, la nécessité d’innover sur un secteur ultra-concurrentiel… tous ces changements nécessitent des talents. C’est une bonne opportunité pour la France qui n’en manque pas », poursuit Dominique Jacomet. Une opportunité qu’il ne faudrait pas trop tarder à saisir… « On revient à notre niveau de consommation d’il y a vingt-cinq ans, les chiffres sont mauvais, on accuse la météo ou l’absence de touristes mais personne ne peut nier que pendant ce temps les enseignes étrangères comme Primark, H&M et Zara avancent », rappelle Pierre-François Le Louët, président de Nelly Rodi et président de la Fédération française du prêt-à-porter féminin.

« L’audace manque globalement aux grands acteurs de l’habillement français qui inéluctablement vieillissent. Ils doivent pourtant mieux répondre aux attentes des millenials qui n’ont jamais connu le monde sans Internet ni sans crise et qui ont un autre rapport à la consommation. »

Ce « rapport » – qui ne concerne pas seulement les millénials mais gagne par capillarité toutes les générations – est justement au cœur du renouveau du secteur textile-habillement. Face à une surabondance de biens qui induit une lassitude voire un dégoût, d’autres valeurs portent la nouvelle consommation de mode.

Des usages qui évoluent

Les achats de vêtements, encore souvent dictés par le prix évidemment, apparaissent de plus en plus marqués du sceau de la conscience « politique ». Une enquête téléphonique réalisée en novembre par l’IFM auprès de 1 000 consommateurs a montré que 59 % des personnes sondées préféraient « acheter des vêtements fabriqués en France » (dans un souci de préservation de l’emploi) et que 50 % d’entre elles s’efforçaient de « boycotter des vêtements fabriqués dans des pays lointains » (rejetant l’idée du travail des enfants).

Les usages évoluent également et la location ou l’achat d’occasion gagnent aussi du terrain. Dans le même sondage, 24 % des consommateurs disent avoir acheté des vêtements d’occasion au cours de cette année 2016, et 18 % en avoir vendus.

Un certain engagement

Enfin, alors que la distribution traditionnelle et les magasins multimarques connaissent des difficultés (les grands leaders sur le marché français restent Kiabi et Decathlon), les marques et enseignes qui sortent du lot sont celles qui ne craignent pas d’afficher une opinion, un point de vue fort et singulier (stylistique ou éthique), un certain engagement, qu’elles partagent au sein d’une communauté, réintroduisant de l’humanité dans la relation avec le client.

Elles savent aussi rompre avec les habitudes et surprendre pour mettre plus de plaisir ou de sens dans la consommation et ne pas seulement miser sur une relation marchande. Pour cela, l’utilisation intelligente de la data – souvent laissée en sommeil par les groupes français – est absolument stratégique pour cerner le profil et devancer les attentes des consommateurs.

Et Pierre-François Le Louët de citer plusieurs exemples – essentiellement étrangers – comme celui du Nike Community Store de Brooklyn, magasin écoresponsable qui ne recrute ses salariés que dans un périmètre de 1 kilomètre, ou Everlane qui n’a pas proposé de rabais à ces clients lors du « Black Friday » mais mis en place avec eux un système permettant de financer 8 000 casques de moto pour ses employés vietnamiens trop souvent victimes d’accidents de la route en allant travailler. Angélisme ? Ces stratégies semblent au contraire diablement efficaces.