Ils s’appellent Furi, The Next Penelope, ou encore Last Fight. Ils ont été créés à Montpellier, à Paris ou à Arles, partagent une approche du jeu vidéo basée sur l’amusement pur, les clins d’œil aux classiques d’il y a vingt-cinq ans, et des influences japonaises assumées. Tous font mentir le cliché de la « French Touch », ce style supposé bavard, cinématographique et narcissique qui aurait fait la particularité de l’industrie tricolore durant deux décennies.

Ils sont aujourd’hui au jeu vidéo ce que les Daft Punk ont été à la musique : une nouvelle vague ancrée dans une culture de trentenaires, dans l’âge électronique et la mondialisation des imaginaires. Plus qu’une « French Touch », c’est une nouvelle école, que l’on pourrait baptiser « French Wave ».

Furi - Announcement Trailer | PS4
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Régressif, décomplexé et référentiel : telles sont ses caractéristiques de cette jeune école bercée aux bip bip électroniques et à la poésie néon des années 1980. « C’est vrai qu’on y retrouve un style visuel ultracoloré, avec des violets très assumés, un style de jeu assez rapide, avec peu de narration, peu de noirceur », résume Khao, 37 ans, codéveloppeur de Last Fight (Piranaking, 2016).

Au-delà de la « French Touch »

Les prémisses de cette nouvelle vague remontent au petit jeu dématérialisé Arkedo Series 01 : JUMP, développé par Arkedo en 2009. Mais le mouvement a vraiment pris son envol ces deux dernières années, en s’émancipant à la fois du simple « retrogaming », et du carcan de l’héritage franco-français.

Arkedo Series - 01 JUMP Trailer
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Longtemps, le jeu vidéo français a été affaire d’ambitions narratives et d’emprunts. « Quand l’industrie française répond à une demande linguistique de jeux en français, dans les années 1983 à 1987, il en ressort des thématiques très locales : des jeux d’enquête policière dans la veine du polar français, ou encore des jeux politiques », resitue Alexis Blanchet, maître de conférences en études cinématographiques et coauteur de l’ouvrage French Touche (Pix’n Love, à paraître. En 1996, le jeu à énigmes Versailles devient l’archétype de cette production.

Histoire et Jeux Vidéos - Gaming Live Versailles : complot à la cour du roi Soleil - PC/PS1
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Mais la « French Touch », terme contesté s’il en est, n’est pas homogène. Alone in the Dark (Infogrames, 1992), Another World (Delphine Software, 1991) ou encore Flashback (du même éditeur, 1992) cassent ce premier schéma. Portés par l’influence d’auteurs de SF et de fantastique comme Lovecraft, Moebius ou Jodorowsky, ils font même rayonner la France dans le monde. « La touche française est alors caractérisée par une production très narrative, avec une mise en scène cinématographique et une technique assez bien maîtrisée », résume Alexis Blanchet.

Avec la French Wave, rien de tout cela. Dans Pix the Cat (Focus Home Interactive, 2014), un chat bleu allumé poursuit des œufs dans un labyrinthe infini. « L’arcade nous a fait accepter qu’un camembert jaune pouvait gober une pastille pour pouvoir manger des fantômes, il n’y a pas besoin de justification », glisse Fabien Delpiano, le concepteur du jeu, en référence au célèbre Pac-Man (Namco, 1980).

Pix The Cat | TRAILER PS4 and PS Vita | #ThePlayers
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Renouer avec des mécaniques simples

Si leurs références ne sont pas exactement les mêmes, tous regrettent un certain âge d’or du jeu vidéo, marqué par le style arcade, nerveux, et la prédominance des productions japonaises. « On a le regret des petits jeux malins, rapides, très réactifs et sans bla-bla », résume Fabien Delpiano.

Renouer avec des mécaniques de jeu simples, un rythme échevelé, et une excitation que ne procurent plus les jeux vidéo modernes, ce fut aussi l’une des motivations d’Aurélien Regard pour The Next Penelope (Plug in Digital, 2015), jeu de course « nineties » infusé d’adrénaline.

RELEASE TRAILER - The Next Penelope (STEAM - PC/Mac/Ubuntu)
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« Ce que j’aimais dans [le jeu de course futuriste de 1990] F-Zero, c’est quand je n’avais presque plus de vie et que je ne savais pas si j’allais remporter la course ou exploser. Je ne voulais pas d’un jeu sans tension, sans risque, où on est premier tout le temps », confiait-il au Monde au moment de sa sortie.

Pour Furi (The Game Bakers, 2016), un jeu de combat épique et coloré qui sort le 2 décembre sur Xbox One, Emeric Thoa et ses collaborateurs se sont inspirés de classiques comme Punch-Out!! (Nintendo, 1984) ou Metal Gear Solid (Konami, 1998), « des jeux japonais avec des affrontements contre des boss marquants, qui exigent beaucoup de dextérité, et que l’on ne retrouve plus aujourd’hui ».

Comme un symbole, plusieurs suites de classiques nippons des années 1980 sont désormais développées en France. A l’image de The Dragon’s Trap (DotEmu/, sortie prévue en 2017), remake de Wonder Boy 3 (Sega, 1989), ou de Pang Adventures (DotEmu/Pastagames, 2016), à la fois remake et suite officielle d’un classique de 1989. « Le but, c’était de donner l’impression de rejouer au jeu d’origine tel que je m’en souvenais, mais pas tel qu’il est ; on voulait faire une suite comme ils auraient voulu la faire à l’époque », assure Fabien Delpiano.

Pang Adventures - Weapons Gameplay Trailer | PS4
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Génération « Club Dorothée »

Ces créateurs ne sont pas les seuls au monde sur le créneau du retour aux sources. A leur manière, le suédois Hotline Miami (Devolver Digital, 2012), le finlandais Resogun (Sony, 2013) ou encore le canadien Far Cry : Blood Dragon (2013) ont eux aussi payé leur tribut à l’esthétique des années 1980. Mais l’ADN de la French Wave est différent, plus japonisant.

Ce qui les différencie du reste de la production indé mondiale ? « L’influence du Club Dorothée », pointe Khao, en référence à l’émission qui a popularisé les dessins animés japonais en France dès 1987. « Les Etats-Unis ont accueilli Dragon Ball plusieurs années après. Ils ont davantage été bercés par les comics, d’où un style plus réaliste chez eux. »

LASTFIGHT - Teaser Trailer | PS4
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« La génération derrière Furi, Last Fight et Next Penelope était en plein dans ce boom des productions japonaises chez nous, et ça se voit », abonde Fabien Delpiano. Dans The Next Penelope, le clin d’œil au dessin animé Ulysse 31 est d’ailleurs assumé. « Nous avons grandi avec ce type d’univers − la mythologie grecque, des trains de l’espace −, et ça a disparu. C’étaient des univers simples, un peu ridicules, mais il y avait une beauté dans leur ridicule », assure Aurélien Regard.

Métissage franco-japonais

Pour autant, la French Wave ne se résume pas à une simple imitation. « Il y a toujours ce côté français qui transpire, on a beau avoir un Japonais, notre concepteur de personnages, qui travaille sur Furi, dès qu’on modélise ses dessins en 3D, on voit que c’est français » prévient Emeric Thoa.

Wonder Boy: The Dragon's Trap - Reveal Trailer
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Si la French Wave excelle en quelque chose, c’est à panacher les inspirations. The Last Fight s’inspire aussi bien de Piège de Cristal (1988) que de l’esthétique manga. Furi pioche autant dans les premiers films de Steven Spielberg et Ridley Scott que dans le character design japonais. Et Shiness (Focus Home Interactive, sortie prévue en 2017) mêle dans un même élan les inspirations de Naruto, de Street Fighter et de Zelda.

« L’enfant qui grandit dans les années 1980 avec la télé française est exposé à une programmation transculturelle, il a un imaginaire déjà très brassé », analyse Alexis Blanchet. Et de donner l’exemple des dessins animés Les Mystérieuses Cités d’or, coproduction franco-japonaise ; et des Minipouces, œuvre franco-américano-japonaise.

Les Mystérieuses Citées d'or , le générique !
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Emeric Thoa voit dans cet élan créatif et métissé la rencontre entre un patrimoine générationnel riche et une ambition prononcée :

« La France des trentenaires, ce sont des gens qui ont lu “Akira” et “Dragon Ball” et en sont très inspirés, mais ils ont aussi lu Moebius, “Tintin” et “Astérix”. Leur style est hybride, c’est ce qui le rend unique. Et puis il y a ce côté réflexif, cette tendance à toujours ouvrir sa gueule, à refuser de ne pas être un simple exécutant. Même un graphiste designer junior, à peine arrivé, il ne veut pas exécuter, il veut faire un chef-d’œuvre. »

Fragile économiquement

Ce mouvement perdurera-t-il ? Mystère. D’autres titres indépendants français convoquent les mêmes imaginaires, comme le jeu de tir miyazakien Drifting Lands en fin d’année. Mais déjà, des disparités apparaissent : Fabien Delpiano était de la génération Goldorak ; les cofondateurs d’Enigami, responsables de Shiness, appartiennent quant à eux à la génération Naruto, bien plus jeune.

Shiness - Teaser Trailer
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D’autres productions françaises au style bien différent, comme Life is Strange (Dontnod Entertainment, 2015), Dishonored 2 (Bethesda, 2016), ou prochainement Absolver (Devolver Digital, 2017), sont également là pour rappeler que si les graphistes français brillent à l’international, la diversité de leur style n’est pas réductible à la seule French Wave.

Générationnelle et débrouillarde, cette jeune école reste toutefois modeste commercialement et fragile économiquement. « En France on est sur quelques cas, certes intéressants, mais ce n’est pas un phénomène global aussi fort que le Japon des années 1980, qui était organisé de manière industrielle » , estime Alexis Blanchet. Si Lastfight est par exemple adossé à un manga et un anime, Last Man, les autres structures restent précaires, à l’image de Pastagames, qui vit principalement de sous-traitance. Quant à The Game Bakers, le studio pourrait opter pour d’autres registres pour ses prochains projets. Mais l’ambition de se démarquer, elle, ne changera pas.