Dans une union inédite, le peuple gambien a élu, jeudi 1er décembre, son nouveau président, Adama Barrow, mettant fin au régime autoritaire de Yahya Jammeh, au pouvoir depuis 1994. « C’est incroyable, c’est la première fois qu’un homme ayant dirigé ce pays durant si longtemps accepte sa défaite avant même que la Commission ne les annonce », a annoncé officiellement, vendredi, le président de la Commission électorale indépendante, Alieu Momar Njie.

« Enfin, la fin de la dictature », pouvait-on lire sur des pancartes brandies dans les rues de la capitale, Banjul, envahies par des milliers de Gambiens en liesse. « La Gambie va enfin changer, on va avoir un régime démocratique, explique Adama Faye, 18 ans, qui se dirige avec sa bande d’amis vers la maison du candidat vainqueur, dans les faubourgs de Serrekunda, la seconde ville du pays. On veut aller le voir, le remercier de nous avoir montré la voie. »

A Serrekunda, rien ne semblait arrêter l’euphorie des habitants. « Le carton rouge pour Jammeh a été confirmé, nous sommes un exemple pour l’Afrique ! », exulte une militante, la trentaine, montrant fièrement son tee-shirt à l’effigie du candidat vainqueur.

Soulagement

Recueillant 45,5 % des suffrages exprimés alors que Jammeh n’a attiré que 36,7 % des votes lors du scrutin à un tour, le candidat de l’opposition, novice en politique, a rassemblé les Gambiens dans les urnes. C’est une première dans un pays dirigé par deux hommes seulement depuis son indépendance, en 1965, et historiquement plus habitué aux coups de force qu’aux transitions démocratiques, jusque-là inexistantes puisque Yahya Jammeh avait renversé son prédécesseur Daouda Jawara par un coup d’Etat militaire en 1994.

Depuis l’annonce des résultats en milieu de journée, la réaction du président sortant, au caractère réputé imprévisible, était très attendue. Allait-il accepter sa défaite ou tenter un coup de force pour rester en place ? « C’est un dictateur qui est resté vingt-deux ans au pouvoir, comment pourrait-il partir comme ça ? », se demandait un militant des droits de l’homme.

Dans un soulagement visible derrière les sourires, le désormais ex-président a apporté la dernière pierre démocratique à un scrutin salué de tous pour sa transparence. « Je n’ai aucune arrière-pensée et vous souhaite tout le meilleur », a assuré M. Jammeh à son successeur dans un échange téléphonique diffusé à la télévision nationale, gérée par le ministère de l’information. Puis, il s’est adressé aux Gambiens : « J’ai toujours dit que si mon adversaire avait une voix de plus que moi, je respecterai votre vote. »

« Yahya Jammeh m’a appelé pour reconnaître sa défaite, il a prié pour moi et s’est adressé à moi comme le nouveau président », a confirmé Adama Barrow, un agent immobilier de 51 ans, au balcon d’une résidence surplombant des centaines de Gambiens venus l’applaudir.

Régime tenu d’une main de fer

Le président Yahya Jammeh part sur une note positive, sans doute la seule de vingt-deux années de règne très sombres. Alors que trente membres du principal parti d’opposition sont emprisonnés – dont leur président Ousainou Darboe – ainsi que de nombreux journalistes, le régime tenu d’une main de fer s’éteint sur un bilan très négatif.

« Yahya Jammeh a fait du mal à notre profession, il a bafoué le droit des journalistes », explique Mafugi Ceesay, qui travaille à The Voice, lui-même torturé et emprisonné dans les geôles du régime. « Il devra rendre des comptes pour les crimes qu’il a commis », juge Sabrina Mahtani, chercheuse au sein d’Amnesty International, appelant le gouvernement élu à libérer « au plus vite » les prisonniers politiques du pays.

Outre les droits de l’homme, l’immense chantier qui attend le nouveau président sera le redressement de l’économie du pays, aux abois. La Gambie pointe à la 172e place sur 184 en termes d’indice de développement humain (IDH). Elle a vu plus d’un quart de sa population émigrer. « Tout le monde fuit, personne ne voit de futur dans ce pays », expliquait un diplomate en poste à Banjul avant l’élection.

Mais au changement de régime devrait se coupler un retour massif de la diaspora en exil. « Je prévois de rentrer dès que possible, explique ainsi une ancienne députée gambienne depuis Dakar, dans le Sénégal voisin. Il faut qu’on travaille à redresser ce pays ! »

Prudence

Enfin, Adama Barrow devra sortir la Gambie de son enclavement diplomatique. « Nous allons rétablir les relations historiques et fraternelles entre la Gambie et le Sénégal ternies par le régime passé », a-t-il déclaré durant sa campagne. Son directeur de campagne a annoncé que le nouveau président souhaitait également interrompre la sortie de la Gambie de la Cour pénale internationale (CPI). « Attendons de voir », avance, prudent, un diplomate.

Si le processus démocratique qui a mené Barrow au pouvoir est exemplaire dans la région, les questions sur l’avenir du pays restent ouvertes. « La passation de pouvoir doit arriver en février 2017, tout peut encore arriver d’ici-là », explique un observateur à Banjul qui souhaite garder l’anonymat, comme un signe d’une inquiétude qui reste prégnante après vingt-deux ans de peur.

D’autres redoutent que « la fièvre des dictateurs », comme l’appelle un journaliste gambien, ne gagne Adama Barrow, qui s’est toujours présenté comme un candidat de transition et qui a promis d’organiser un scrutin dans trois ans.

« Ce n’est pas le moment de poser ces questions, rétorque un Gambien, drapeau de son pays à la main, Pour l’instant, l’heure est à la fête, c’est notre nouvelle indépendance aujourd’hui ! » Après les réjouissances, qui se sont poursuivies jusque tard dans la nuit vendredi, la Gambie devra penser à son futur. Et l’homme de conclure : « Nous verrons ça dès lundi prochain ! »